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Évidemment, le nouveau venu qui payait si largement les apéritifs, et Chonchon la vedette allaient avoir à causer de choses qui ne regardaient pas les camarades.

Boum-Voilà en eut rapidement, d’ailleurs, la confirmation.

Il était allé rôder auprès du couple composé de Fandor et de Chonchon. Il revint quelques instants après à l’office, et d’un air dédaigneux, annonça au patron :

— Voilà déjà qu’ils discutent d’un rendez-vous.

M. Jules haussa les épaules.

Fandor, en effet, avait à brûle-pourpoint, posé la question décisive à Chonchon :

— Alors, avait-il dit, quand soupons-nous tous les deux ? Demain ? après-demain ?

La bonne grosse figure de Chonchon devint tout d’un coup sérieuse. Il ne s’agissait plus de plaisanter :

— Ma foi, dit-elle, ce serait avec plaisir, mais demain j’ai mon ami.

— Ah, fit Fandor dépité, il n’y a pas moyen de le lâcher ?

— Oh, s’écria Chonchon très choquée, vous n’y pensez pas.

— Et après-demain ? poursuivit Fandor.

— Après-demain, c’est la même histoire. J’ai mon amant.

— Votre ami ? votre amant ? interrogea Fandor, n’est-ce donc pas le même ?

— Vous êtes trop curieux.

Fandor prit la main de la jeune femme.

— Alors, dit-il, ce sera entendu pour ce soir.

Le journaliste espérait que devant son attitude décidée, la chanteuse allait céder. Évidemment, Chonchon était très ennuyée d’opposer un refus aux demandes si flatteuses de son compagnon de rencontre.

— Je suis désolée, avoua-t-elle sincèrement, mais justement, ce soir, j’ai un rendez-vous et…

— Alors zut, grommela Fandor, qui, faisant mine d’être très vexé, se leva brusquement.

Chonchon le rattrapa par le bras :

— Vous fâchez donc pas, après tout, cela pourrait peut-être s’arranger. Écoutez. Je ne vous promets pas absolument pour ce soir, parce que, comme je vous l’ai dit, j’ai déjà un rendez-vous avec quelqu’un, mais je ne connais pas plus que ça cette personne, et si des fois c’était une blague, qu’elle ne vienne pas, eh bien, nous pourrions passer la soirée ensemble. Venez toujours au spectacle, vous m’applaudirez, et puis, on se verra avant minuit et on décidera de ce qu’il y a à faire.

***

Fandor, à sept heures et demie, errait seul et désemparé, dans les rues du Mans.

Il avait rendez-vous sans avoir rendez-vous, il était obligé d’aller passer la soirée à ce café-concert qui ne l’intéressait que médiocrement, et il n’était pas sûr de pouvoir finir utilement sa soirée en interrogeant, comme il en avait l’intention, la fameuse Chonchon, sur ses relations avec Chambérieux. Car c’était là le but que se proposait Fandor.

Machinalement, Fandor s’était arrêté devant une boutique brillamment illuminée et considérait à travers la glace un assortiment superbe de fleurs de luxe.

— Si j’étais galant, se dit le journaliste, j’entrerais dans ce magasin et je marcherais de vingt francs pour envoyer à ma future conquête une corbeille de fleurs !

Le journaliste entra dans le magasin. Une petite employée vint au-devant de lui :

— Sapristi, pensa Fandor, en voilà une qui est rudement plus gentille que la grosse Chonchon. Qu’elle va me trouver bête de faire de semblables dépenses pour un pareil tableau.

Fandor fit part à la vendeuse de ses intentions.

— Veuillez dire à la caisse, monsieur, conclut celle-ci avec un gracieux sourire l’adresse de la personne à qui il faut porter ces fleurs.

Fandor se rapprochait du bureau où trônait une majestueuse personne, et à la manière d’un écolier en faute, il balbutia :

— C’est pour Mlle Chonchon.

Mais la caissière s’arrêta interdite : au moment où Fandor, placé à sa droite, venait de lui nommer la destinataire du bouquet, un autre acheteur s’approchait d’elle du côté gauche et d’une voix nette articulait :

— Les fleurs que je viens d’acheter sont destinées à Mlle Chonchon.

Les deux hommes s’étaient entendu donner leurs ordres respectifs.

Ils levèrent les yeux, se regardèrent et demeurèrent un instant interloqués.

Puis, à l’ahurissement de la caissière et de la vendeuse, ils déposèrent simultanément un louis sur le comptoir, et confirmaient pour ainsi dire ensemble, leurs instructions :

— C’est pour Mlle Chonchon, de l’Alcazar, avait répété Fandor.

Et l’autre client avait répété lui aussi :

— À l’Alcazar, pour Mlle Chonchon.

Imperturbable, la caissière, dont la main tremblait cependant un peu – car elle était désolée de cette coïncidence fâcheuse, qui faisait se rencontrer au même moment, devant elle, deux adorateurs de la chanteuse – nota l’adresse.

Lorsqu’elle releva le nez, les deux clients avaient disparu, mais ils n’étaient pas loin, et, tous deux, dans la rue, dissimulaient mal un inextinguible rire.

— Fandor.

— Juve.

— Eh bien, mon petit Fandor, je t’y pince à envoyer des bouquets à des chanteuses de beuglant.

— Je vous conseille de parler. N’essayez pas de dissimuler, Juve. Je constate que vous êtes en train de vous plonger dans la plus sombre débauche. Est-ce raisonnable de la part d’un homme de votre âge, de faire de semblables folies ?

— Soit, conclut le policier, allons dîner ensemble. J’ai deux heures à te consacrer, après, je te quitterai.

— Juve, s’écria Fandor, vous me quitterez peut-être, mais moi, je ne vous lâche pas. J’ai besoin de savoir comment vous allez passer votre nuit.

— Gros malin, tu t’en doutes peut-être.

— Parbleu, Juve, si je m’en doute. Vous avez invité Chonchon à souper.

Juve sourit :

— Et après tout, pourquoi pas ? Mais comment diable le sais-tu ?

— Je le sais, répliqua le journaliste, parce que je l’ai moi-même invitée et qu’elle viendra avec moi, si elle ne vient pas avec vous.

— À moins que…

Les deux hommes se regardèrent en riant :

— À moins que, reprirent-ils l’un et l’autre, nous soupions tous les trois ensemble.

9 – CHONCHON ET SES AMANTS

M. Morel, juge d’instruction à Saint-Calais, était un homme pacifique et paisible, qui n’aimait pas les émotions, cela tenait, comme il le disait lui-même, à ce qu’il avait le cœur délicat et à ce fait également qu’il commençait à être d’un âge où les passions humaines et leurs conséquences ne font plus sur nous qu’une impression très superficielle.

M. Morel allait être bientôt remplacé. Sur sa demande, on liquidait sa retraite, on lui cherchait un successeur et il n’en éprouvait pas d’amertume. Bien au contraire. Respectueux toutefois de son devoir, et résolu à le remplir avec la plus parfaite correction, sinon avec le plus grand enthousiasme, jusqu’à l’heure du repos, M. Morel cependant ne négligeait rien de ses affaires. Et c’est pour cette raison que ce matin-là, dès huit heures moins le quart, on le vit dans les rues de Saint-Calais, se rendant à petits pas au palais de justice.

Un pli barrait son front. M. Morel était soucieux. Ses préoccupations étaient nées depuis le jour du vol de bijoux, commis à l’Hôtel Européen.

Ce jour-là, précisément, M. Morel prévoyait une grosse matinée, car il avait convoqué à son cabinet, pour complément d’enquête, le bijoutier Chambérieux, le marquis de Tergall et l’abbé Jeandron.

M. Morel, en arrivant au Palais de Justice, fut assez étonné de ne pas trouver son fidèle greffier en train d’épousseter la banquette sur laquelle attendaient d’ordinaire les personnes citées par le magistrat.