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— Juve, j’imagine qu’immédiatement vous avez été faire part de vos découvertes au Parquet de Saint-Calais, qu’immédiatement vous avez pris les mesures nécessaires pour que l’on coffre le plus rapidement possible la bande des Ténébreux en entier.

— Eh bien, répondait-il, je n’ai rien fait de tout ça. Non. Sachant que les Ténébreux étaient des complices de Fantômas, mon petit Fandor, j’ai pensé que, de sa prison de Louvain, Fantômas devait avoir organisé cette affaire. Je supposais, pour tout dire, que Fantômas entretenait toujours des intelligences avec les apaches groupés dans la bande des Ténébreux. De là à me dire que je ne devais rien tenter contre les Ténébreux, de peu d’importance en somme, tant que je n’aurais pas pu m’emparer de Fantômas, et cela afin que le bandit ne soit pas informé de mes projets, il n’y avait qu’un pas. Mon petit Fandor, persuadé que les Ténébreux étaient les auteurs du vol, j’ai laissé les Ténébreux tranquilles. J’ai même fait autre chose.

— Quoi ?

— Est-ce que tu le devines ?

— Ma foi, non, Juve.

— C’est pourtant bien simple. Je t’ai téléphoné de la part de Fantômas. Je t’ai envoyé une dépêche signée Fantômas.

— Et pourquoi faire Juve ?

— Pour commencer, par ton intermédiaire, Fandor, à faire parler de Fantômas à propos des vols de Saint-Calais. J’ajoute que je n’ai pas eu à me repentir de cette ruse. Tu n’étais pas depuis vingt-quatre heures au Mans et à Saint-Calais, mon bon Fandor, que, malgré ta discrétion, hum, ou à cause de ta discrétion, comme tu voudras, l’opinion publique « parlait » en effet de la culpabilité possible de Fantômas. Est-ce juste, Fandor ?

— C’est juste, mais je ne vois pas…

— Tu vas voir. Jusque-là, mon cher Fandor, j’avais bien soin, chaque fois que l’on citait Fantômas, de hausser les épaules. Hier, au contraire, l’opinion publique étant tout à fait décidée à considérer que l’Insaisissable seul avait pu oser les deux vols, je pouvais lancer mon ballon d’essai. Tu l’as vu, hier, Fandor, froidement j’ai déclaré au juge d’instruction et au procureur général qu’à mon avis, il n’y avait pas de doute, Fantômas était le coupable. Or, comme l’opinion publique m’avait préparé les voies, ni le procureur général ni le juge d’instruction n’ont même sursauté à cette hypothèse. Maintenant, tu vas saisir en vertu de quel plan j’ai agi. Fandor, je me suis dit ceci, qui est bien simple : les vols de Saint-Calais sont aux yeux de la justice très mystérieux. Je vais les grossir. Je me garde de les expliquer. Puis, en coup de théâtre, brusquement je déclare que Fantômas est le coupable. « Fantômas », c’est la réponse que je fais à la perplexité des magistrats. Et ces mêmes magistrats seront si heureux de posséder cette réponse qu’ils adopteront immédiatement ma thèse, qu’immédiatement ils m’accorderont de faire les démarches nécessaires pour obtenir l’extradition du bandit.

— Mais cette extradition ne vous avance à rien.

— En effet. Mais compte sur moi, Fandor, pour compliquer un peu les choses. Suppose donc qu’avant le moment où l’extradition sera opérée, Fantômas ait fichu le camp de sa prison et ait été, par exemple, secrètement arrêté par deux policiers français, Léon et Michel, pour ne pas les nommer. Suppose qu’en même temps, au moment précis où Fantômas aidé par des complices de bonne volonté sera sorti de sa prison, un personnage ait pris sa place dans sa prison, de telle façon que nul ne se soit aperçu de l’évasion du vrai Fantômas. Vois-tu ce qui va se passer, Fandor ?

— Dites.

— Il se passera ceci : le faux Fantômas ayant remplacé dans la prison de Louvain le vrai Fantômas sera extradé et conduit à Saint-Calais. À ce moment, ce faux Fantômas se fera reconnaître. Il dira par exemple : « Je suis Juve… » Oui. Ne sursaute pas. Il dira : « Je suis Juve. Il y a trois mois, on m’a arrêté sous le nom de Fantômas et à la place de Fantômas en m’accusant d’avoir tué le prince Nikita. C’est moi qui ai toujours été dans la prison de Louvain. En Belgique, on ne voulait pas en convenir. En France j’espère qu’on va le reconnaître. » Tu devines la suite ?

Fandor, enthousiasmé, fit le geste d’applaudir.

— Eh oui, parbleu, je devine la suite. À ce moment, n’est-ce pas, on relâche le faux Fantômas et, à ce moment encore, comme par hasard, on apprend que le vrai Fantômas a été arrêté en France. Le vrai Fantômas, dès lors arrêté par des agents français, est considéré comme n’ayant jamais été prisonnier belge, jamais été extradé, et par conséquent on l’envoie sur l’échafaud. C’est tragique au possible, et farce comme tout, en même temps. Faire évader Fantômas de force. S’arranger pour le faire reprendre immédiatement. Trouver moyen d’organiser un procédé légal de rompre les effets d’une extradition, Juve, c’est tout simplement génial. C’est infernal aussi.

— Peuh, ce n’est pas trop mal, voilà tout. Dans cette histoire, tu devines le rôle de chacun des personnages, j’imagine ? Toi, Fandor, tu vas dès demain retourner à Saint-Calais, histoire de surveiller les agissements de la bande des Ténébreux qu’il ne faut tout de même pas oublier. Moi, je vais partir en Belgique, pour prendre à Louvain la place de Fantômas. Léon et Michel m’accompagneront et à la sortie de prison de Fantômas, ils pisteront le bandit qu’ils arrêteront dès qu’il sera en France et qu’ils amèneront à Saint-Calais au moment où j’y serai moi-même conduit, en tant que Fantômas, entre deux gendarmes, en exécution de cette ordonnance d’extradition. Tout de même, en a-t-il, de la chance, le petit tribunal de Saint-Calais. Si jamais on m’avait dit que ce serait dans sa modeste salle d’audience qu’auraient lieu les premiers interrogatoires du roi des criminels !

Mais brusquement, Juve s’interrompit :

— Et puis, zut, en voilà assez, Fandor. Il est trois heures du matin, il est grand temps d’aller au lit.

11 – QUE VOULAIT LE D. 33 ?

L’un après l’autre, tous les trois, le major, la sentinelle et le gardien de l’aile D, étaient arrivés dans le petit vestibule aux allures de parloir misérable qui attenait au cabinet de M. Van den Goossen, directeur du bagne de Louvain.

Les trois hommes faisaient piètre figure.

La sentinelle qui, pour une fois, avait laissé ses armes au corps de garde et ne savait où mettre ses mains, soulevait perpétuellement son képi pour se gratter le front.

Près d’elle, les deux gardiens échangeaient des regards atterrés d’abrutis.

— Quoi c’est qu’on t’a dit ? interrogea le major.

— Tout simplement que M. le directeur me demandait, qu’il voulait me parler au sujet du D. 33,

— C’est comme moi. On ne m’a pas donné d’autres explications.

La sentinelle s’approchait des deux hommes :

— Ah, bon Dieu de malheur, s’exclama le soldat, c’est tout de même pas de veine que je n’aie pas pu le dégringoler d’un coup de fusil.

— Oui, opinait le major, maintenant on n’aurait pas d’histoires. Tout se serait parfaitement passé, et même tu toucherais demain matin la prime d’évasion.

La porte du cabinet directorial s’ouvrait, M. Van den Goossen apparut en personne.

— Allons, entrez.

À son invitation, les deux gardiens et le soldat pénétrèrent dans la pièce assez élégante qu’était le bureau de M. Van den Goossen.

Le digne M. Van den Goossen se jeta sur un fauteuil dont les ressorts grincèrent sous son poids. Il s’écria :