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— Je vois ce que c’est. Un tour de passe-passe ?

Mais Fantômas l’interrompit :

— Tais-toi, Bébé. Tu ne vois pas du tout ce que c’est, et il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe. C’est beaucoup plus grave.

— Du raisiné ?

— Du raisiné.

Puis Fantômas expliqua :

— Écoutez-moi, les gars. Quand je me suis tiré des pattes de la prison de Louvain, il y a eu quelqu’un qui m’intéresse, qui y est entré à ma place.

— Malgré lui ?

— Cela ne vous regarde pas. Cet individu dont je n’ai pas à vous dire le nom, tout le monde croit naturellement que c’est Fantômas. Bien. Ce faux Fantômas on va l’extrader. Le conduire ici à Saint-Calais. Il va crier mon imposture.

— Mais alors, nom de Dieu, Fantômas. Toi, qu’est-ce que tu vas devenir ?

— Il ne faut pas justement que le faux Fantômas soit conduit ici. C’est-à-dire que toi, Bébé, et toi, l’Élève, vous allez vous arranger pour faire échapper le bonhomme, que l’on veut extrader et amener ici. Vous allez vous arranger pour le faire échapper coûte que coûte. Peu importe que vous soyez arrêtés, pourvu que vous ne le soyez qu’après avoir tué cet individu.

— Il faudra qu’on le tue ?

— Oui.

— Vilaine commission, Fantômas.

— Allons donc. Tu ne réfléchis pas à ce que tu dis, Bébé, qu’est-ce que vous risquez ?

— Ce que nous risquons, tiens, tu es bon. Si on zigouille ton individu et que nous soyons faits, c’est notre tête que nous risquons. Ni plusse ni moinsse.

— Imbécile, tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. Je te dis, moi, que vous ne risquez rien. Quand même vous seriez arrêtés après avoir tué l’individu que je vous signale, il n’en résulterait rien de fâcheux pour vous. Arrêtés, on vous reconduit ici. Tu me comprends Bébé, ici à Saint-Calais ? devant moi, qui, bien entendu, m’arrange pour vous remettre en liberté.

Profitant encore une fois de sa qualité de juge d’instruction, le bandit avait fini par convaincre les deux apaches de la nécessité qu’il existait pour eux d’exécuter ses ordres.

Et Fantômas avait si bien manœuvré, si bien mis en œuvre tous les éléments de persuasion qu’il pouvait tirer de sa situation de magistrat, qu’après une heure de causerie, Bébé, tout comme l’Élève, étaient décidés à tuer l’ex-détenu de Louvain.

Fantômas-Pradier, avait donc signé une première ordonnance de mise en liberté, permettant aux deux apaches de partir pour exécuter la mission dont il les chargeait.

***

Fantômas, pourtant, le soir même de cette extraordinaire journée où il avait appris que Juve allait être extradé et ramené à Saint-Calais, où il avait trouvé moyen de parer à ce terrible danger en organisant l’assassinat du policier avec l’aide de l’Élève et de Bébé, arrêtés par lui la veille et remis en liberté à cette fin, Fantômas était inquiet.

Aussi bien un étrange événement venait de le troubler.

Fantômas sortant de table – il était pensionnaire de l’Hôtel Européen – avait été fort surpris en effet en se coiffant de son chapeau, de s’apercevoir que ce chapeau pris au portemanteau s’enfonçait sur sa tête jusqu’aux sourcils. Comment était-ce possible ?

Tout naturellement Fantômas avait imaginé d’abord qu’il s’était trompé de coiffure. Mais un examen rapide l’avait convaincu du contraire. Il n’y avait point d’autre chapeau accroché au portemanteau et, de plus, les initiales C. P. « Charles Pradier », qu’il lisait sur la coiffe, le convainquaient, qu’il avait bien pris son chapeau et non un autre. Mais pourquoi n’était-il plus à sa taille ? Brusquement Fantômas blêmit en comprenant la cause de ce mystère. Quand il avait adopté la personnalité du malheureux Pradier, tué par lui dans le wagon de marchandises, Fantômas avait troqué ses propres vêtements contre ceux que portent le magistrat. Il n’avait toutefois pas changé de chapeau, gardant sur sa tête une casquette de voyage. Plus tard, arrivé à Saint-Calais, il avait pris tout naturellement livraison des bagages du mort dont il avait trouvé un récépissé d’expédition dans le portefeuille du véritable Pradier.

Dans ces bagages, Fantômas avait découvert plusieurs chapeaux. Ces chapeaux étaient trop grands pour lui mais il avait pu s’en servir néanmoins, en garnissant leurs coiffes de bandes de papier journal.

Si maintenant le melon qu’il prenait au portemanteau lui entrait si avant sur le crâne c’est que le journal qui rétrécissait la coiffe, en avait été enlevé. Or, qui donc avait retiré le journal ? Fantômas se le demandait avec inquiétude. Il se le demandait même avec d’autant plus d’effroi que l’hôtelier lui avait annoncé quelques minutes avant :

— Vous savez, monsieur Pradier, je vous annonce la visite à Saint-Calais d’un journaliste parisien, M. Jérôme Fandor.

Et Fantômas maintenant, rentré dans sa chambre, songeait avec effroi :

Ne serait-ce pas Jérôme Fandor qui a touché a mon chapeau ?

26 – ÉVASION COMBINÉE

Avec un grand bruit de sabres, d’éperons heurtés, de bissacs jetés à la volée sur les banquettes, au milieu d’un concours de population rassemblée dans un élan de commune admiration, les gendarmes qui amenaient Juve de Louvain à Saint-Calais, le considérant toujours comme étant le redoutable Fantômas, venaient de s’installer dans le wagon de deuxième classe réservé. C’étaient de braves gendarmes, respectueux des consignes qu’on leur confiait. Ils se montraient, à l’égard de leur prisonnier, d’une scrupuleuse et savante méfiance.

— Mettez-vous là, ordonna l’un des pandores, désignant à Juve le coin du wagon. Mettez-vous là, prisonnier, et ne vous avisez pas de vouloir faire le malin.

Juve sourit, s’assit avec une docilité parfaite à la place qu’on lui indiquait.

Depuis le temps qu’il croupissait en prison, Juve avait pris l’habitude de ne jamais se révolter, de ne jamais récriminer. Il acceptait tout avec une parfaite quiétude d’âme. Aussi bien, à quoi aurait-il donc servi à l’excellent policier de se plaindre ? S’il était prisonnier, si c’était lui que ramenait en France l’ordonnance d’extradition enfin signée, c’était parce qu’il l’avait voulu et rien n’arrivait jusqu’ici qui n’eût été combiné, machiné par Juve. L’inspecteur de la Sûreté pouvait bien pour mieux jouer son personnage, feindre une âme de résignation, prendre une attitude apitoyante. En réalité, au fond de lui-même il était radieux.

— Dans quelques heures, pensait le policier, je serai à Saint-Calais et une fois à Saint-Calais, bien malin sera celui qui m’empêchera de débrouiller toutes les affaires qui m’intriguent en ce moment. Bien malin si Fantômas ne finit pas en me retombant entre les mains.

Or, tandis que Juve se plongeait dans des réflexions que la certitude d’une victoire proche faisait joyeuses, tandis que les gendarmes qui l’accompagnaient, s’étendaient à leur tour sur les banquettes, en des poses nonchalantes, tandis que les voyageurs commençaient à monter dans les compartiments voisins, car le train allait bientôt partir, un employé essoufflé sautait sur le marchepied du wagon, appelait :

— Hé, messieurs les gendarmes.

— Présents, qu’est-ce qu’il y a ?

— Il y a, continuait l’employé, que je ne comprends rien du tout à ce qui arrive. C’est bien vous qui ramenez un prisonnier de Belgique ? C’est bien pour vous que l’on a retenu ce wagon ?

Le gendarme, chef de convoi chargé du transfert de Juve, exhiba un papier crasseux, jaunâtre, déchiré, et le tendit au fonctionnaire :

— Voilà notre réquisition, commençait-il, il y a tous les cachets voulus et vous pouvez lire qu’il y est dit qu’à la gare Montparnasse, on nous réservera un wagon, ainsi…