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— Mais, monsieur le juge, vous savez bien que l’argent a été versé à la Caisse des Dépôts.

— C’est un tort, s’écria Fantômas. C’est un grand tort. Votre patron le greffier ne devait pas se séparer de cette somme sans mes ordres. Comprenez donc que j’ai besoin des billets de banque volés, de façon à les identifier avec les numéros de ceux qui ont été dérobés au marquis de Tergall. Il me faut cet argent, il me faut ces billets.

— Monsieur le juge, comment faire ?

— Débrouillez-vous, Croupan, allez vous entendre avec M. le greffier en chef, je vous donne une heure pour me les rapporter.

Et le brave homme, se faufilant à pas rapides et menus dans les couloirs du Palais de Justice, marmottait en levant les bras au ciel :

— Quelle maison, mon Dieu, quelle maison, plus ça va, et plus le Tribunal a l’air d’un asile d’aliénés.

Fantômas, resté seul dans son cabinet, regarda fiévreusement sa montre.

— Trois heures et demie, fit-il, en se mordant la lèvre, et la marquise qui n’est pas encore là. Va-t-elle venir ? Hier, déjà, elle devait me rencontrer, puis, c’était ce matin, ce matin c’était encore remis à cet après-midi, pourvu que… Mais non, c’est certain. Elle va venir, et elle va venir maintenant, d’une minute à l’autre.

Fantômas prêta l’oreille.

De tous côtés, on percevait des rumeurs insolites dans le Palais habituellement paisible et silencieux. Et en effet le tribunal tout entier était agité, troublé. Les coups de théâtre se succédaient ininterrompus. On avait d’abord eu la veille la surprise d’apprendre que le fameux extradé annoncé de Louvain s’était évadé à la gare de Connerré. Puis, ce matin même, une autre nouvelle plus inattendue, plus confondante encore, avait abasourdi la magistrature locale tout entière. On avait informé le Parquet que l’extradé arrivait par le prochain train, qu’il était bel et bien entre les mains des gendarmes chargés de le conduire, qu’il avait passé la nuit à la prison du Mans, qu’avant la fin de la journée il arriverait à Saint-Calais.

Dès lors, Fantômas avait éprouvé une effroyable inquiétude. Les événements se liguaient contre lui et plus il allait, plus il prolongeait son séjour à Saint-Calais, plus il paraissait enfermé dans un dédale qui se compliquait au fur et à mesure. Ah que ne pouvait-il fuir, disparaître en emportant les fortunes que le hasard combiné avec son adresse lui avait permis de réunir autour de lui. Mais qu’il ne pouvait pas encore effectivement tenir entre ses mains.

Certes, Fantômas avait devant lui, sous les yeux, la petite boîte cachetée de cire dans laquelle se trouvaient les bijoux dérobés par Ribonard au bijoutier Chambérieux. Certes, ces bijoux représentaient une fortune. Elle ne suffisait pas à la cupidité de Fantômas et s’il partait incessamment, comme il l’avait décidé, il prétendait au préalable avoir fait main basse sur l’argent du marquis de Tergall et sur la fortune que sa veuve semblait si disposée à lui abandonner. Le jeu était dangereux. Fantômas se rendait compte que le désir qu’il avait exprimé d’avoir immédiatement à sa disposition ce qu’il appelait : « les pièces à conviction » du procès Chambérieux-Tergall avait étonné le commis-greffier. Le soupçonnait-on par hasard de quelque chose ? Non, cela n’était pas possible, rien n’avait encore transpiré de sa supercherie, mais Fantômas ne s’illusionnait pas et se rendait fort bien compte que d’un moment à l’autre il pouvait être découvert. Lorsqu’il était revenu au Palais, après un rapide déjeuner, il avait fait une rencontre qui l’émouvait au plus haut point. Deux hommes étaient dissimulés dans un couloir obscur, peut-être n’avaient-ils pas vu le faux Pradier, mais celui-ci les avait aperçus dans la pénombre et les avait reconnus. Or, ces deux hommes n’étaient autres que Léon et Michel. Que faisaient-ils là, les inspecteurs de la Sûreté, qui n’étaient plus déguisés en gendarmes comme la veille ?

Un instant Fantômas blêmit. La question se posait nette à son esprit :

— Si je suis à l’heure actuelle démasqué, découvert, dois-je me considérer comme pris ?

Le formidable bandit jetait un regard circulaire autour du cabinet paisible et tranquille dans lequel, depuis quelques semaines, il avait vécu une si extraordinaire existence. Les murs en étaient robustes et épais, l’unique fenêtre donnait sur une cour intérieure. Fantômas machinalement s’en approcha.

— Il y a deux étages, remarqua-t-il, avant d’arriver au sol, et ce sol c’est celui d’une cour, d’une cour fermée de tous côtés. Quant aux toits, ils sont inaccessibles.

Impossible de songer à s’enfuir par là le cas échéant, au surplus, d’ailleurs…

Fantômas n’achevait pas de formuler sa pensée, mais elle se devinait, car le bandit avait remarqué qu’à l’intérieur de la cour se trouvaient des hommes, des ouvriers qui, assurément, ne manqueraient pas de signaler si quelque chose d’anormal se produisait dans leur voisinage. Mais Fantômas reprenait courage.

— Non, se dit-il, il n’y a rien à craindre, j’ai encore devant moi une bonne heure au moins, après quoi, peu m’importe.

Un coup discret fut frappé à la porte du cabinet.

— Entrez, fit Fantômas.

C’était la marquise de Tergall, vêtue de noir, dont le visage fatigué par les émotions et la pâleur accroissaient encore la distinction. Ses traits étaient presque entièrement dissimulés par un long voile de crêpe.

Fantômas courut à elle, les deux mains tendues :

— Ma chère sœur, entrez je vous en prie, asseyez-vous.

Mais la marquise ne répondait point à l’étreinte cordiale que spontanément lui offrait celui qu’elle prenait pour son frère.

— Vous refusez ma main ? interrogea Fantômas, surpris.

La marquise hésitait encore un instant, puis, prenant une résolution, elle abandonnait ses doigts frêles et tremblants à l’étreinte du faux magistrat.

— Qu’avez-vous donc ? interrogea celui-ci, vous paraissez m’en vouloir ?

Antoinette de Tergall, après ce premier mouvement d’irrésolution, s’était ressaisie. La jeune femme releva son voile et fixant ses grands yeux sur ceux du bandit, elle répliqua :

— Eh bien oui, franchement, je vous en voulais…

— Pourquoi donc, Antoinette ?

— Charles, je m’en vais vous le dire.

« Oh, murmura la marquise d’une voix entrecoupée de sanglots contenus, vous m’en voudrez peut-être mais il faut que je vous exprime ma pensée, toute ma pensée. Charles, vous m’avez trompée et je me suis méprise sur votre compte.

La marquise, cependant, précisa :

— Lorsque mon pauvre mari est mort, dit-elle, vous m’avez certes mon cher frère, prêté votre appui, votre concours dans les douloureuses circonstances au milieu desquelles je me trouvais, mais vous m’avez également irrémédiablement blessée dans mon amour-propre et dans mon honneur. Vous m’avez soupçonnée, moi sa femme, moi votre sœur, presque accusée d’avoir assassiné Maxime, mon mari. Et tout d’abord, j’étais tellement désorientée, tellement affolée, que je n’ai su que vous répondre, que je me suis contentée de gémir, de pleurer, d’accepter ce que vous me proposiez. J’ai même fait pis, Charles, je vous ai supplié de ne point révéler à notre entourage nos liens de parenté, afin que vous puissiez rester le magistrat chargé d’enquêter sur la mort mystérieuse de mon pauvre mari. Depuis, je me suis ressaisie. Charles, reprenait la marquise, vous m’avez entendue et comprise, n’est-ce pas, je me suis ressaisie, j’ai réfléchi et j’ai compris. Il faut que la lumière soit faite sur cette affaire, sur la mort affreuse de mon pauvre Maxime. Je ne veux bénéficier ni de votre sympathie blessante, ni de l’obscurité, ni du doute. La vérité doit éclater, elle éclatera. Charles, nous allons dire à tout le monde qui nous sommes, vous vous dessaisirez de l’instruction, on nommera un autre juge à votre place et si celui-là croit bon de m’interroger sur la mort de mon mari, je serai heureuse de lui répondre.