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Marguerite se pencha sur le globe, et vit le petit carré de terre s’agrandir, devenir multicolore, se transformer en une sorte de carte en relief. Puis elle distingua le mince ruban d’une rivière, et au bord de celle-ci, un petit village. Une maison de la dimension d’un petit pois grandit et prit la taille d’une boîte d’allumettes. Soudain, sans aucun bruit, le toit de cette maison sauta en l’air dans un nuage de fumée noire et les murs s’écroulèrent, et de la petite boîte de deux étages, il ne resta plus qu’un tas de ruines d’où montait de la fumée. S’approchant encore, Marguerite aperçut une petite figure de femme étendue par terre, et près d’elle, un enfant qui gisait dans une mare de sang, les bras écartés.

– Et voilà, dit Woland en souriant. Celui-ci n’a pas eu le temps de commettre beaucoup de péchés. Le travail d’Abadonna est impeccable.

– Je n’aurais pas voulu être dans le camp ennemi de cet Abadonna, dit Marguerite. Dans quel camp est-il ?

– Plus nous parlons, dit aimablement Woland, plus je suis convaincu que vous êtes très intelligente. Je vais vous rassurer. Abadonna est d’une rare impartialité, et sa sympathie va également aux deux camps opposés. En conséquence, les résultats sont toujours semblables des deux côtés. Abadonna ! appela doucement Woland, et, aussitôt sortit du mur un homme maigre à lunettes noires. Ces lunettes produisaient sur Marguerite une impression si forte qu’elle poussa un faible cri et cacha son visage sur la jambe de Woland.

– Cessez, voyons ! s’écria Woland. Comme les gens d’aujourd’hui sont nerveux !

Il lança une grande claque dans le dos de Marguerite, au point que tout le corps de celle-ci résonna.

– Vous voyez bien qu’il a ses lunettes. Il n’est encore jamais arrivé et il n’arrivera jamais qu’Abadonna apparaisse à quelqu’un avant terme. Et puis enfin, je suis là. Vous êtes mon invitée ! Je voulais simplement vous le montrer.

Abadonna restait immobile.

– Est-ce qu’il peut enlever ses lunettes, juste une minute ? demanda Marguerite en frissonnant et en se serrant contre Woland, mais déjà curieuse.

– Cela, c’est impossible, dit sérieusement Woland en congédiant du geste Abadonna, qui disparut. Que veux-tu me dire, Azazello ?

– Messire, répondit Azazello, si vous le permettez, je voulais vous dire que nous avons deux étrangers : une jolie fille, qui pleurniche et supplie qu’on la laisse rester avec madame elle et – excusez-moi – son cochon.

– Étrange conduite, que celle des jolies filles ! remarqua Woland.

– C’est Natacha, Natacha ! s’écria Marguerite.

– Bon, qu’elle vienne auprès de madame. Mais le cochon, à la cuisine !

– On va l’égorger ? s’écria Marguerite épouvantée. Par grâce, messire, c’est Nikolaï Ivanovitch, qui habite au rez-de-chaussée ! C’est un malentendu, vous comprenez, elle l’a barbouillé de crème…

– Permettez, coupa Woland, qui diable vous parle de l’égorger, et pourquoi le ferait-on ? Qu’il reste avec les cuisiniers, voilà tout. Je ne puis tout de même pas, convenez-en, le laisser entrer dans la salle de bal.

– Ça, c’est…, dit Azazello, qui s’interrompit et annonça : Il est bientôt minuit, messire.

– Ah ! bien. (Woland se tourna vers Marguerite :) Alors, si vous voulez bien… Et je vous remercie d’avance. Gardez toute votre tête, et ne craignez rien. Ne buvez rien non plus, que de l’eau, sinon vous étoufferez de chaleur et vous serez très mal. Allons, il est l’heure.

Marguerite se leva de la descente de lit, et Koroviev parut à la porte.

CHAPITRE XXIII. Un grand bal chez Satan

Minuit approchait, il fallait se hâter. Marguerite distinguait confusément les objets qui l’entouraient. Elle garda le souvenir des bougies, et aussi d’un grand bassin d’onyx où on la fit descendre. Quand elle y fut, Hella, aidée de Natacha, versa sur elle un liquide chaud, épais et rouge. Marguerite sentit un goût salé sur ses lèvres, et comprit que c’était du sang. Puis cette robe écarlate fit place à une autre, épaisse aussi, mais transparente et d’une teinte rose pâle, et Marguerite fut étourdie par le parfum de l’essence de roses. Ensuite, on la fit allonger sur un lit de cristal et, à l’aide de grandes feuilles vertes, on frictionna son corps à le faire briller.

À ce moment, le chat vint à la rescousse. Il s’accroupit devant Marguerite et se mit à lui frotter les pieds, avec les mimiques d’un cireur des rues.

Marguerite ne put se rappeler qui lui confectionna des souliers, en pétales de roses blanches, ni comment ceux-ci s’agrafèrent d’eux-mêmes à ses pieds avec des boucles d’or. Une force inconnue la fit lever et la conduisit devant une glace, et elle vit étinceler dans ses cheveux les diamants d’une couronne royale. Sorti on ne sait d’où, Koroviev passa au cou de Marguerite une lourde chaîne à laquelle était suspendu un lourd portrait ovale qui représentait un caniche noir. Cet ornement fut une charge accablante pour la reine. Tout de suite, elle sentit que la chaîne lui blessait le cou, et que le portrait qui pendait sur sa poitrine la tirait en avant. Si quelque chose compensa, dans une certaine mesure, l’extrême embarras que causait à Marguerite ce caniche noir, ce fut le profond respect que lui témoignèrent alors Koroviev et Béhémoth.

– Rien, rien, rien ! grommela Koroviev à la porte de la salle au bassin. On n’y peut rien, il le faut, il le faut, il le faut… Permettez-moi, reine, de vous donner un dernier conseil. Parmi nos invités, il y aura des gens divers – oh ! très divers –, mais à aucun, reine Margot, à aucun d’eux, vous ne devez marquer la moindre préférence ! Si quelqu’un ne vous plaît pas… je comprends bien, naturellement que vous n’irez pas le montrer par l’expression de votre visage, non, non, il ne faut même pas y penser ! Il le remarquerait, il le remarquerait à l’instant même ! Il faut l’aimer, reine, il faut l’aimer ! La reine du bal en sera récompensée au centuple. Encore une chose : ne négliger personne ! Un simple sourire, si vous n’avez pas le temps de dire un mot, ou ne serait-ce que le plus petit signe de tête ! Tout ce que vous voudrez, mais surtout, pas d’inattention – cela les ferait tomber immédiatement en décrépitude…

Sur ces mots, Marguerite, accompagnée de Koroviev et Béhémoth, quitta la salle au bassin et se retrouva dans une obscurité complète.

– C’est moi, moi, murmura le chat, c’est moi qui donne le signal !

– Donne ! répondit, dans le noir, la voix de Koroviev.

– Bal ! glapit le chat d’une voix perçante.

Marguerite poussa un léger cri, et ferma les yeux pendant quelques secondes. Le bal – lumières, bruits et parfums – était tombé sur elle d’un seul coup. Entraînée par Koroviev qui l’avait prise par le bras, Marguerite se vit d’abord dans une forêt tropicale. Des perroquets à gorge rouge et à queue verte s’accrochaient aux lianes et s’y balançaient en criant d’une voix assourdissante : « Je suis ravi ! Je suis ravi ! » Mais la forêt prit fin rapidement, et sa lourde chaleur d’étuve fit place aussitôt à la fraîcheur d’une salle de bal dont les colonnes de pierre jaune jetaient mille feux. Cette salle, comme la forêt, était entièrement vide, à l’exception de nègres nus, coiffés de turbans argentés, qui se tenaient debout près des colonnes. D’émotion, leur visage prit une teinte d’un brun sale quand Marguerite fit son entrée, accompagnée de sa suite à laquelle s’était joint, on ne sait comment, Azazello. Koroviev lâcha le bras de Marguerite et chuchota :