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— Andy Jeanson, 45 ans.

— Oui, un chef de chantier au chômage, obsédé par les casse-tête, les problèmes de logique. Le chiffre 2 et ses multiples, ainsi que des coups de parties d’échecs noircissent les murs de sa chambre, dans sa maison située près de Lyon. Des centaines de constructions en métal, en bois, des cadenas à chiffres encombrent des pièces entières. Un vrai taré. L’affaire est d’abord gérée par la gendarmerie, mais les flics de Lyon ne tardent pas à être mis au courant de ce dossier et sont persuadés de tenir enfin le kidnappeur, l’homme invisible qui leur donne du fil à retordre depuis trois ans… Andy Jeanson.

Léane avait croisé les yeux noirs d’Andy Jeanson une seule fois, lors de la reconstitution de l’un des enlèvements à Villefranche-sur-Saône. Un rideau de policiers les avait séparés du tueur, son mari et elle, et avait fini par les emmener à l’écart parce que Jullian, devenu incontrôlable, avait voulu se jeter sur Jeanson. Le tueur les avait considérés avec une absence totale d’émotion. Pas la moindre compassion derrière sa moustache grise et ses yeux éteints.

Colin revint avec deux verres d’eau et but le sien cul sec, avant de poursuivre :

— … Problème : Jeanson ne livre pas toute la vérité, il dilue ses informations au compte-gouttes. Il ne nie pas les neuf enlèvements mais, dans les premières semaines de détention, ne révèle pas l’endroit où se trouvent les corps. Mais même sans ces corps, il n’y a aucun doute, c’est bien lui. Les enveloppes trouvées dans le tiroir d’un meuble de sa maison sont les mêmes que celles contenant les mèches de cheveux reçues par les proches des victimes. Son camping-car regorge, dans des compartiments cachés qu’il a fabriqués lui-même, d’entraves, de rouleaux de ruban adhésif, de sédatifs et drogues en tout genre, et on découvre une cache astucieuse sous le lit, de la taille d’un corps, servant à y enfermer ses victimes.

Léane se tourna vers les volets fermés, écouta le sable frapper les lattes, imagina l’obscurité, à l’extérieur, et les ombres qui s’y tapissaient.

— … Depuis les barreaux de sa prison, il finit par parler. Il indique, après trois mois d’incarcération, l’emplacement de trois cadavres dans des forêts de montagne, dans les Alpes. Ce salopard emmène les flics sur les lieux et leur donne les coordonnées GPS exactes des tombes. À cause…

Il hésita. Léane lui signifia d’un geste qu’il pouvait poursuivre :

— Je te l’ai dit, je peux entendre, Colin.

— Très bien. À cause de leur état de dégradation dû à l’humidité des sols et à la chaux vive, les corps sont impossibles à identifier, mais l’ADN parle et révèle que ce sont ceux des première, troisième et septième filles kidnappées. Jeanson revendique les viols et les mutilations, il donne tous les détails avec une jubilation à faire vomir. Voici son mode opératoire : il garde ses victimes quelques jours dans son camping-car, les force à des actes sexuels, avant de les tuer à mains nues, la plupart du temps, en les étranglant ou en les frappant à la tête pendant leur sommeil. Puis il s’en débarrasse dans la nature, les enterrant profondément, les saupoudrant de chaux vive qu’il achète dans des magasins de jardinage à droite, à gauche, pour ne pas se faire repérer. Une ordure qui se complaît dans ses explications et qui aime jouer avec la police.

Léane inspira bruyamment. Quand Jeanson avait été arrêté, elle avait voulu savoir, tout connaître du calvaire de sa fille, affronter la bête, comme Jullian, comme les autres parents. Les flics n’avaient pas réussi à leur cacher la vérité.

— Du fond de sa prison, il se souvenait au chiffre près des coordonnées GPS de chaque corps.

— Oui. Et, jusqu’à ce jour, il a livré l’emplacement de huit des neuf corps, la dernière révélation remontant à plus d’un an. Il lui reste une victime à livrer, et c’est Sarah…

Léane baissa ses yeux qui s’embuaient. Elle aurait tout donné pour savoir comme les autres parents. Être fixée, une fois pour toutes. Mais il fallait des derniers, et c’étaient Jullian et elle qui souffriraient jusqu’au bout, jusqu’à ce que ce salopard se décide à parler.

— … Il donne les emplacements dans le désordre. Il brouille les pistes, il s’amuse. Il aime attirer toute l’attention sur sa personne, alors il fait durer les révélations, un jeu de plus pour lui, une façon de se distraire derrière les barreaux et de revivre ses fantasmes. Chaque révélation est un moyen pour lui de sortir prendre un bon bol d’air dans la nature. Quand tu penses que cette ordure de tueur en série reçoit des lettres de femmes de tous âges fascinées par lui… Tout ça me dégoûte.

Une grimace vint appuyer ces mots.

— À son domicile, on n’a pas retrouvé la moindre trace des filles, il ne les y emmenait jamais. Il était soigneux, nettoyait souvent son véhicule. Les techniciens de l’Identité judiciaire n’ont pas grand-chose. Ce fumier est une vraie savonnette, qui sait se montrer impassible quand tu plantes devant son nez les photos des disparues. C’est comme s’il livrait un énième problème à résoudre aux enquêteurs. Ça fait presque deux ans qu’il est enfermé, et son procès n’est pas près d’avoir lieu, vu la complexité du dossier. Mais pourquoi ne révèle-t-il pas où est Sarah, alors qu’elle fait partie des premières disparues ? Pourquoi toutes les autres, et pas elle ?

Il referma son carnet d’une main et fixa Léane d’un air sombre. Elle faisait tournoyer le fond de son verre, incapable d’oublier les traces de griffes dans le coffre du 4 × 4. Le message téléphonique de Jullian l’obnubilait. « Il faut que je te parle de Sarah. J’ai découvert quelque chose de très important. »

— Je ne devrais peut-être pas te dire ça, mais avec la découverte du coffre… Tu sais, il n’y a qu’un seul vrai élément qui relie en définitive Sarah à Jeanson, c’est cette mèche composée de cinq cent douze cheveux. C’est un lien solide qu’on ne peut pas remettre en question. Mais est-ce que ça fait du tueur en série le coupable à coup sûr ? N’importe qui au courant de l’histoire des cheveux et de la disparition aurait pu vous envoyer le courrier. Et il y a du monde. Des flics, des juges, des proches des victimes…

— T’es en train de me dire que l’un d’eux pourrait avoir fait une chose pareille pour faire porter le chapeau à Jeanson ?

— Pourquoi omettre cette piste ? Un kidnappeur qui n’a rien à voir avec Jeanson, qui détient Sarah, coupe une mèche de cheveux, vous l’envoie, et le tour est joué. Il y a eu quelques fuites, des gens pouvaient savoir. Ça expliquerait que Jeanson n’ait pas encore révélé l’emplacement du corps : il ne sait pas. Tu écris ce genre d’histoire tordue dans tes bouquins. Tu es mieux placée que quiconque pour savoir que l’imagination de certains individus en matière criminelle est sans limites.

Léane lança un regard vers la bibliothèque.

— Et donc, tu mets Jullian dans le lot… Toujours ces soupçons sur lui… Non, non, ça ne fonctionne pas, il ne pouvait pas savoir pour les cheveux avant qu’on reçoive la mèche. Il n’est jamais allé à Valence ou je ne sais où pour poster ces fichues lettres. Jeanson connaissait cet endroit, il est venu ici, à Berck. Il a décrit Sarah comme il a décrit les autres victimes, il a parlé de la baie, des dunes, de la maison. Comment tu l’expliques ?