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— Tu reprends les cours à quelle heure ? J’aimerais qu’on aille manger quelque part.

— Pas le temps, et même si j’avais le temps, je viendrais pas.

— Tu sais ce qu’a fait ta mère ? T’es au courant pour le mot ?

Elle croisa les bras, le torse bombé sous son gros manteau, comme pour dresser une barrière encore plus franche entre son père et elle.

— Que tu dormes dans un hôtel miteux en baratinant que tu vis dans un appartement, c’est déjà pas cool, papa.

— Je ne voulais pas que… Enfin, ce n’est pas rigolo d’avoir un père qui dort à l’hôtel, j’ai voulu t’éviter ça.

— Merci pour l’attention. Mais tu sais, ce qui est surtout dégueu, c’est que t’as oublié mon gala annuel de danse. Je te demandais même pas d’y assister, je sais que c’est au-dessus de tes forces, je voulais juste que tu m’y conduises, avec ta brouette. Mais vous étiez pas là, devant la maison, au moment où ça comptait le plus pour moi !

— Je… Je sais, je… Il y a cette enquête qui m’est tombée dessus, les trucs avec ta mère, et… plein de choses… Et… pourquoi tu ne m’as pas appelé, bon sang ? Je serais tout de suite venu, je…

— Maman a pas voulu que je t’appelle. Mais ça va, on s’est débrouillées comme d’hab, pas de souci.

— Ma puce, ton gala, j’y ai pensé tout le week-end, je te promets, c’était même écrit en grand sur la porte de ma chambre.

— La porte de ta chambre ? Tu pouvais pas enregistrer ça, je sais pas, dans ton téléphone ?

— Y aurait trop de trucs dedans, et… et surtout, je ne penserais pas à regarder. Tu sais comment ça marche, non ? Ces engins censés remplacer la mémoire, c’est pas fait pour moi. Écoute, je voulais t’accompagner et venir, je te promets, mais je suis rentré trop tard à l’app… à l’hôtel hier soir. C’est compliqué en ce moment pour ta mère et moi. Et toi, t’es au milieu de tout ça.

Il observa les lattes vertes du banc, en face de lui. Douze lattes parallèles, espacées de cinq centimètres, peut-être six. Était-ce le cas pour le banc de droite, et l’autre, juste derrière ? Il se ressaisit et fixa sa fille dans les yeux.

— Je ne voudrais pas que tu parles de ça au juge.

— Maman a déjà prévu de le faire. C’est entouré en rouge sur son carnet. Et elle va pas oublier, elle.

Le téléphone de Vic sonna au plus mauvais moment. Vadim. Il voulut couper la sonnerie et s’empêtra à cause de ses gants, si bien que l’appareil lui glissa des mains et chuta au sol. Coralie poussa un de ces soupirs d’adolescent.

— T’es même pas fichu de t’occuper de toi-même, p’pa, ou de te louer un simple appartement pour vivre, c’est pourtant pas compliqué. Un jour, t’oublieras de nourrir MammaM et on la retrouvera morte de faim, c’est pour ça qu’elle peut pas rester avec toi. T’as la mémoire de dix éléphants mais, malgré ça, tu serais capable d’oublier de respirer. Maman est fatiguée, p’pa, elle n’arrive plus à gérer tout ça.

Le flic ramassa son téléphone dans un grognement et, lorsqu’il se redressa, Coralie s’éloignait. Il fit deux, trois pas, mais elle traversait déjà.

— Tu seras avec moi pour le réveillon de Noël ? On pourrait aller, je ne sais pas, dans un restaurant chinois ? Il y en a un pas loin de l’hôtel et…

Sa fille se retourna, elle secoua la tête, les lèvres pincées, des lèvres qui, lui sembla-t-il, voulaient dire oui, des lèvres qui résistaient néanmoins, et elle s’éloigna à toute vitesse, son crâne caché sous son bonnet. Vic ne réagit pas, au milieu des flocons qui s’étaient mis à tomber, entouré des parents qui, depuis leur voiture, avaient assisté à ce pitoyable spectacle d’un père en perdition.

Il fixa l’écran de son portable en miettes.

— Et merde !

Dieu merci, l’engin fonctionnait, l’écran tactile réagissait encore. Vic écouta le message de Vadim et, quand il regagna sa voiture, il connaissait le nombre de lattes des autres bancs. Et chaque fois qu’il passerait devant ce lycée, il se souviendrait de ce nombre, de chaque mot de leur discussion dans ce parc, des flocons qui s’étaient mis à tomber à 12 h 22 et de ce gala de danse qu’il avait, dans une exemplaire médiocrité, oublié.

12

Une demi-heure plus tard, la paire V&V se reconstituait devant le laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques humaines, pas loin du parc Hoche. Julien Ferrigno, l’anatomopathologiste mandaté par le substitut, voulait les voir d’urgence. Il se tenait devant les deux mains dont l’extrémité des dernières phalanges avait été pelée au scalpel.

— On ne sait toujours pas à qui sont ces mains ?

— Non. Les retours des analyses ADN ne tomberont pas avant deux ou trois jours. L’affaire Chamrousse sature le labo. C’est pénible, ces histoires de priorités, comme si un double homicide, ce n’était pas important. Pour l’instant, on n’a pas assez de critères pour rechercher quoi que ce soit dans le fichier des disparitions. Quant au SALVAC[4], il ne renvoie aucun crime comparable ces dernières années. En l’état actuel, nos deux victimes restent anonymes.

Ferrigno portait la blouse fermée jusqu’au col, il avait le teint cireux de ses gants en latex qui lui collaient aux doigts comme une seconde peau.

— J’ai plusieurs choses à vous annoncer.

Il s’empara d’une scie à métaux et la plaqua entre les mains de Vic.

— En préliminaires, les membres de vos deux victimes — la propriétaire de ces mains d’un côté, et celle aux mains manquantes de l’autre — ont été découpés avec ce modèle de scie, à denture alternée. On le voit à la forme des stries sur l’os, j’ai aussi détecté des traces de revêtement bleu antirouille. J’ai relevé quelques particules de métal laissées par la scie, je vous les transmettrai pour analyses si vous en voyez l’utilité.

Vic observa la scie, le genre d’outil banal qu’on trouve dans n’importe quel magasin de bricolage. Leur tueur avait œuvré de manière artisanale. Le médecin saisit la main gauche.

— J’ai une bonne et une mauvaise nouvelles. Je commence par laquelle ?

Vadim fut le plus rapide :

— La bonne.

— Très bien. J’ai peut-être des éléments qui vont vous aider dans votre enquête.

Il exposa la main à la lentille d’une loupe à bras articulé.

— Bon, il y a cette grande cicatrice disgracieuse au dos, ça remonte à longtemps, chirurgie réparatrice, pas grand-chose à en tirer. Mais… (il tourna la main) vous voyez ces coupures sur la paume ? Elles sont récentes.

Vic fronça les sourcils. Les cicatrices semblaient regroupées et régulièrement espacées.

— On dirait qu’elles ont été faites volontairement et qu’elles forment des motifs.

Ferrigno acquiesça.

— Vous avez raison. Et c’est pareil sur l’autre main. Les motifs sont identiques. Aucun hasard ici, la propriétaire de ces mains s’est infligé ces blessures, comme pour signifier quelque chose.

— Ou alors, c’est l’assassin qui l’a fait.

Ferrigno eut un sourire franc.

— Je ferais un bien mauvais flic. Ce n’est pas tout. Venez.

Il les emmena à proximité d’un microscope. Sous ses lentilles, des morceaux de peau étaient aplatis entre des lamelles de verre. Le spécialiste alluma un écran qui présenta le dessin d’une trace papillaire.

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4

Système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes.