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— C’est ici qu’il les retenait vivantes… Il devait mettre ce cerceau en acier autour de leur cheville.

Il retourna vers la « chose » et se pencha sur la poitrine, deux boules énormes en silicone tapissées de peau. On devinait à peine les taches bleues, noires, marron, tant le fond de teint recouvrait l’ensemble. Vic renifla.

— Elle sent bon. Le parfum… Les cheveux sentent le shampoing.

— « Elle » ?

Vadim se redressa, fébrile et en colère, ses lèvres retroussées sur ses canines qui luisaient dans la lumière ultraviolette.

— Tu parles de qui, bordel ? De la propriétaire du visage ? De ces morceaux de peau cousus les uns aux autres sur cette saloperie de mannequin en fer ? Comment tu peux dire « elle » ?

— Il faut bien la nommer. La peau du visage, les mains sont encore fraîches. Le reste semble beaucoup plus ancien.

— Je n’ai jamais vu un truc pareil. Et pourtant, j’en ai vu, des trucs glauques, dans ma vie. Mais là, c’est le summum.

Morel se mit à tourner autour du cadre, observa la moindre suture.

— Combien d’êtres humains écorchés pour… fabriquer ça ?

Un flic désespéré est sans doute ce qu’il y a de pire à voir. Comme un chien qu’on abat avec un flingue, et qui vous adresse un dernier regard.

— On cherchait Apolline… Je crois qu’on l’a trouvée… Peut-être ce pied, ce bras… Un morceau de dos…

Vic se dirigea vers le meuble qui supportait la chaîne hi-fi et l’écran vidéo. À l’écart, bien visibles, il y avait une pile de boîtiers de DVD anonymes avec, posé sur le dernier d’entre eux, une enveloppe. Il la retourna, elle était entrouverte. Il appela Vadim.

— Tu crois que c’est pour nous ? Un message d’adieu ?

— Ce fumier continue à jouer. Ouvre…

La gorge serrée, il rajusta ses gants et écarta avec prudence le rabat de l’enveloppe, persuadé que pouvait en jaillir un serpent. Mais à l’intérieur, il n’y avait qu’un simple bout de papier arraché, sur lequel était inscrit : La surprise vous a plu ? Et maintenant voici mon héritage, enculés de poulets. Bon film.

26

Contrairement à ce qu’affirmait la phrase sur la photo de Sarah, le prisonnier du fort n’avait pas menti.

Son portrait en gros plan, trouvé sur Internet, était affiché sur l’ordinateur portable de Léane. Des airs d’Al Pacino, même gueule sombre, un visage tout en arêtes. D’après les données que la romancière avait pu récupérer sur le Web, Grégory Giordano, 46 ans, était lieutenant de police à la brigade de répression du proxénétisme à Lyon. Son nom ressortait sur plusieurs sites, mais surtout dans de vieux articles de presse concernant la traque des réseaux de traite des êtres humains. Il avait travaillé sur les filières de prostitution des pays de l’Est et sur l’esclavagisme moderne. Son affaire médiatisée la plus récente datait de sept ans, autour du démantèlement d’un réseau venu de Roumanie. Depuis, plus rien.

Son téléphone sonna. Colin… Pas le moment. Elle ne répondit pas.

Elle eut beau fouiller dans les moteurs de recherche, elle ne trouva aucune info après 2010, et rien de privé sur Giordano. Où vivait-il ? Avait-il une femme ? Des enfants ? Elle voulut se connecter à Facebook et voir s’il avait un compte mais se ravisa. Peut-être sa disparition avait-elle été signalée et que, en ce moment même, on surveillait les connexions à son profil. Léane avait appris ces astuces grâce à ses recherches pour ses thrillers et à force de côtoyer des flics : il fallait rester prudente et se contenter de ces maigres données.

Des miettes de pain.

Elle ôta ses lunettes de lecture et s’enfonça dans son siège. Inspiré par ses écrits, son mari avait séquestré, nourri avec des conserves, tabassé et laissé pour mort un flic de la police judiciaire. Malgré le brouillard derrière ses paupières, elle essaya de réfléchir. Giordano travaillait dans les locaux de la PJ de Lyon, là où la brigade criminelle gérait le dossier Jeanson. Mais la BRP et la Criminelle étaient deux services différents, l’hôtel de police avait la dimension d’un gros immeuble. Jullian était allé plusieurs fois là-bas pour tenter d’avoir des nouvelles du dossier. Y avait-il croisé Giordano ? Avait-il entendu des propos au détour d’un couloir qui avaient attiré son attention ? Ça paraissait improbable. Mais comment diable en était-il venu à enlever ce flic dont la presse vantait le travail ?

Quoi qu’il dise, il ment. Mais non, il n’avait pas menti. Jullian s’était trompé, sur ce coup-là. Elle se leva et fixa la baie vitrée, avec l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle pensait bien sûr aux propos de Colin, à sa conviction que le tueur en série Jeanson était peut-être étranger à la disparition de Sarah. Ça lui paraissait dément, et pourtant…

N’importe qui au courant de l’histoire des cheveux et de la disparition aurait pu vous envoyer le courrier, avait dit Colin.

Grégory Giordano, bien qu’employé dans un autre service, était à l’évidence au fait des éléments sensibles de l’affaire Jeanson. Les policiers discutaient en permanence de leurs dossiers respectifs. Et alors ? Ça en faisait un coupable ?

Entre les dunes, l’onde noire se rapprochait de la côte, comme une mare de pétrole. D’ici à deux heures, le fort serait inaccessible, les vagues des grandes marées dévoreraient la digue et Giordano passerait une nuit de plus menotté dans sa cave, à attendre qu’on vienne le libérer. Que faire ? Léane n’en pouvait plus, de son impuissance et, en même temps, de son pouvoir. Elle tenait le sort de trois existences entre ses mains : le sien, celui de Jullian, celui de Giordano. Trois destins désormais emmêlés telle une pelote de laine inextricable.

Elle avait le temps de tenter une dernière chose avant de prendre une décision. Elle imprima une photo de Giordano extraite d’Internet, récupéra un vieux blouson à elle plié dans un tiroir du dressing et se rendit à l’hôpital.

Il était presque 22 h 30, les couloirs étaient quasi déserts. Juste les bips des appareils, le glissement des semelles souples des infirmières sur le linoléum, le battement des portes des sas.

Avant d’entrer dans la chambre de Jullian, elle reçut un SMS de Colin.

« Je suis passé chez toi en début de soirée, personne. J’ai essayé de t’appeler : pas de réponse. Premier retour du labo : ils ont découvert un cheveu au fond du bonnet. Il est naturellement blond, mais teint en noir. La suite demain, avec l’analyse du sang trouvé dans le coffre. J’espère que tout va bien, appelle-moi pour me rassurer. Colin. »

Un nouveau choc, qui laissa Léane groggy et multiplia plus encore ses doutes. Sarah avait les cheveux blonds au moment de son enlèvement, mais si on les lui avait teints en noir ? Et si ce cheveu lui appartenait vraiment ?

Elle hésita à faire demi-tour et à rappeler Colin dans la foulée. Tout lâcher. Elle pénétra néanmoins dans la chambre. Jullian dormait. Elle s’approcha en silence et s’installa sur une chaise, juste en face de lui. Le calme l’apaisa un peu. Ça faisait des années qu’elle ne l’avait pas regardé dormir.

Elle jeta un coup d’œil vers les romans empilés sur la table de nuit. Il s’agissait de ses histoires. Vu la position du marque-page, son mari avait le nez dans L’Homme du cimetière, le deuxième thriller qu’elle avait écrit, celui qui mettait en scène une héroïne amnésique. Jullian risquait d’y découvrir une résonance forte avec sa propre histoire. Lui aussi avait été agressé, et lui aussi avait perdu la mémoire. Léane ne put s’empêcher de penser que, ces derniers jours, la fiction flirtait un peu trop avec la réalité.