Maxime zooma sur le visage et fixa Léane d’un air grave.
— On dirait le bonnet de Sarah, non ?
Léane se pencha vers l’écran, scruta le visage, avec l’espoir que… Mais bien sûr, ce n’était pas Sarah, même s’il y avait de vagues airs de ressemblance. La fille était beaucoup plus petite. L’article parlait du Téléthon et des jeunes athlètes de Mâcon, qui avaient couru durant vingt-quatre heures pour reverser l’argent récolté à l’association « Les pistes de l’espoir ». Elle se recula sur sa chaise.
— Le pompon, les couleurs… Le bonnet de Sarah, il a été fait main, il est unique. Oui, c’est le sien.
— Dans ce cas, qu’est-ce qu’il fait sur la tête de cette nana, quatre ans après ?
Maxime lança une impression couleurs et la lui tendit.
— L’article provient du magazine de la ville de Mâcon, il date d’il y a quinze jours. Peut-être que l’un des internautes qui suivent ton mari sur les réseaux sociaux a lu le magazine complètement par hasard, a reconnu le bonnet que Sarah portait le soir de sa disparition et a envoyé le scan par message privé ?
Léane fixa le visage au large sourire sur le papier. Qui était cette fille ? Elle comprenait mieux l’origine du cheveu teint en noir trouvé dans le bonnet par Colin. Cette photo avait vraisemblablement déclenché les événements : l’enlèvement de Giordano, l’agression…
Elle se sentait de plus en plus mal, taraudée par le doute, chahutée telle une bouteille de verre à la mer.
— Tu n’as rien d’autre ?
— C’est déjà pas mal, non ?
Elle plia la feuille, la mit au fond de sa poche. Maxime débrancha le câble connecté à l’ordinateur et regarda Léane dans les yeux.
— Ce bonnet, ce n’est peut-être rien du tout. On sait tous qu’Andy Jeanson est le coupable. Il finira par dire où il a enterré Sarah. C’est à cela que tu dois te préparer, et non pas entretenir de faux espoirs. Ça fait quatre ans…
Léane se leva.
— Qu’est-ce que tu ferais, à ma place ?
— Ah, moi, tu sais… Ce qui est sûr, c’est que, le connaissant, Jullian est sûrement allé voir cette fille. Il avait la ville, le nom de l’association, la date de l’article, facile de la retrouver. La preuve…
Il lui tendit un papier, sur lequel était inscrit Roxanne Braquet, 17 ans, 8 bis, rue Pillet, Mâcon. Léane écarquilla les yeux.
— Ce n’était pas compliqué, le 06 de l’association est sur Internet. Un petit coup de fil, et le tour était joué. Le responsable n’avait pas le souvenir d’un autre appel au sujet de Roxanne, mais Jullian est peut-être passé par la mairie ou un autre biais pour obtenir les coordonnées de la fille. Mais c’est sûr qu’il y est allé. Que s’est-il passé ensuite ? Je n’en sais rien. Ce club, le Donjon noir, on ne peut pas en tirer grand-chose en l’état si on ne sait pas quoi chercher. Ton mari a été agressé, Léane, il s’est peut-être mis dans de beaux draps à cause de cette photo ou de ses recherches… Je serais toi, j’irais voir la police dès demain matin, ils s’occuperont d’interroger la fille, elle aura forcément une réponse claire à leur donner et tu verras que ça n’a rien à voir avec la disparition de Sarah.
Il lui colla l’ordinateur entre les bras et lui adressa un petit sourire.
— C’est bon de te savoir dans le coin, même si ce n’est pas dans les meilleures circonstances. J’ai lu ton dernier livre, tu sais ? Il est hard, mais formidable. J’arrête pas d’en parler à l’école.
— Merci, Maxime. Pour tout. J’ai un dernier service à te demander…
— Je t’écoute.
Elle lui prit le papier des mains.
— Ne parle de ça à personne. Ni de ma visite ni de tes découvertes. Tu n’as jamais vu l’ordinateur de Jullian ni entendu parler de Roxanne Braquet. C’est très important.
Il plissa les yeux et garda le silence quelques secondes.
— Tu ne vas pas aller voir les flics, c’est ça ?
— Je peux compter sur toi ?
— Je suis prêt à t’aider. N’hésite pas si tu as besoin de moi. Mais fais attention, surtout.
Léane le remercia encore et regagna sa voiture. Le temps avait filé, minuit approchait. La mer montait, une grosse mâchoire noire qui dévorait tout sur son passage. Pour le moment, la partie basse des remparts du fort devait commencer à être immergée. Les rochers entre la berge et la porte d’entrée seraient sous l’eau quand elle arriverait. Il était trop tard pour aujourd’hui.
Elle fixa le papier avec l’identité et l’adresse. Elle se raccrocha à l’espoir d’obtenir une réponse à ses questions dès le lendemain pour surmonter le fait que, coupable ou innocent, Giordano allait passer une nuit supplémentaire en enfer.
28
Ils avaient visionné le premier DVD en groupe à 4 heures du matin, dans une salle de réunion de la brigade. Cinq hommes réunis autour d’une table, les traits creusés, qui avaient affronté de plein fouet quatre-vingt-dix minutes de pure démence. À l’aide d’une caméra posée sur un trépied, Félix Delpierre avait filmé ses actes au fond de la cave. Un bouillon d’horreur, un déversement des instincts les plus primaires et bestiaux de l’être humain, gravés pour l’éternité sur une surface de polycarbonate en une série de 0 et de 1.
Dans un premier temps, Vic avait hérité de la mission de passer la journée à visionner les huit autres films et à en sélectionner les éléments importants, qu’ils pourraient verser au dossier. Parce qu’on estimait qu’il n’y avait pas meilleur observateur que lui et qu’il était un vrai magnétoscope sur pattes.
Merci du cadeau.
Si l’auteur des crimes était mort, il fallait encore retracer sa sinistre épopée, dénombrer et identifier toutes ses victimes, retrouver les corps, y compris celui d’Apolline. Des pelleteuses et des hommes munis de détecteurs allaient fouiller dans la matinée les environs de la ferme, tandis que la légiste se pencherait sur la « chose », qui avait demandé une heure à deux hommes afin qu’ils en ôtent tous les fils, les hameçons et la décrochent de son cadre.
On avait souhaité bonne chance à Vic avant qu’il ne reparte chez lui, après plus de vingt heures non-stop, les copies des films et un lecteur sous le bras. Il retourna dans sa chambre d’hôtel où il ne restait pas beaucoup de place pour circuler, à cause de ses affaires, des cartons, qu’il n’avait pas voulu laisser dans un box : neuf mètres carrés pour vivre, dont cinq encombrés de vieux souvenirs, la plupart inutiles, mais Vic n’aimait pas jeter. Il y avait aussi, posé sur une table, un jeu d’échecs, avec l’Immortelle de Kasparov en cours, que les obsessions de Vic poussaient à rejouer sans fin, coup après coup, à la recherche des secrets de Jeanson. La femme de chambre était prévenue, et le gérant tolérait cette situation atypique — Vic était un client sans problèmes, généreux en pourboires, et grâce à qui il arrondissait ses fins de mois, avec la pension pour MammaM.
Au petit matin, Vic ouvrit la fenêtre pour chasser les odeurs et s’effondra sur le lit surélevé qui frôlait presque le plafond. Après avoir enfoncé des boules Quiès dans ses oreilles, il s’endormit aussitôt, émergea quatre heures plus tard, frigorifié : il avait oublié de refermer la fenêtre. Il mit le chauffage électrique à fond, but deux cafés d’affilée, avala une tranche de pain avec de la confiture récupérée au buffet du petit déjeuner et s’installa devant le téléviseur, après avoir branché son lecteur de DVD. À 9 heures du matin, il était temps d’affronter Félix Delpierre dans les yeux. Caresser les ténèbres.