Ses yeux tombèrent sur un livre particulier. Cette couverture… Elle se baissa : c’était bien L’Homme du cimetière, l’un de ses titres. Elle se mit à genoux et fouilla parmi les autres ouvrages. Elle était cernée de romans policiers, dont les siens. Il ne s’agissait pas de ceux volés chez elle qui, à la différence de ceux-ci, affichaient un tampon « SERVICE DE PRESSE » en première page.
Elle se redressa, s’appuya sur le bureau. Ces romans, ça ne voulait rien dire, Grégory Giordano était juste un amateur de polars et l’un des lecteurs d’Enaël Miraure, comme des centaines de milliers d’autres.
Elle respira, tenta de rester concentrée, observa les papiers au sol. Des factures, des photocopies, des brouillons. Elle nota la présence de câbles, mais pas d’ordinateur. Jullian l’avait-il embarqué pour le consulter à la villa ? Pas impossible, il s’en était sans doute débarrassé après.
Son cœur faillit lâcher lorsque son téléphone sonna. Colin. Elle ne répondit pas, écouta le message qu’il laissa sur son répondeur : « Léane ? Il faut que tu répondes, s’il te plaît. C’est au sujet du sang dans le coffre. J’attends ton appel. »
Elle se dirigea vers la fenêtre, jeta un œil discret vers la rue, toujours aussi déserte. Elle rappela Colin aussitôt.
— J’ai eu ton message…
— Où es-tu ? Il est à peine 10 heures, je viens de passer chez toi, j’ai encore trouvé porte close. Idem à l’hôpital : personne. Tu joues les fantômes depuis deux jours, tu ne me rappelles même pas pour savoir comment avance l’enquête. Ça ne t’intéresse plus ? Qu’est-ce qui se passe ?
— Un… Un souci à Paris, j’ai dû rentrer en urgence, je n’ai eu le temps de prévenir personne, désolée. Je… Je suis accusée de plagiat pour mon dernier livre.
Léane en avait peut-être trop dit, mais elle devait paraître crédible.
— Plagiat ? De qui ?
— Un petit auteur inconnu qui cherche juste à se faire de l’argent sur mon dos. Ça arrive de temps en temps. Je serai de retour dans la journée. (Elle se prit le front.) Bien sûr, que l’enquête m’intéresse, je ne pense qu’à ça. Tu parlais du sang dans le coffre. C’est… C’est celui de Sarah ?
— Non. Le groupe sanguin est identique, mais les profils ADN divergent.
Un silence. Léane le savait déjà, mais elle répliqua :
— J’ignore si je dois être soulagée ou pas… Et on a une chance de savoir à qui il appartient, ce sang ?
— Ce n’est pas une chance, Léane, on sait à qui il appartient, on connaît son propriétaire. T’es bien accrochée, tu n’es pas en train de conduire, au moins ?
Léane se figea. Bien sûr… Grégory Giordano avait appartenu à la police, son profil ADN devait traîner dans un fichier. Comme les criminels, les policiers laissaient parfois sur les scènes de crime leur ADN, que les techniciens pouvaient prélever par erreur. Le fichage évitait les fausses pistes et les recherches inutiles.
Il fallait se fier à l’évidence : Jullian et elle étaient fichus. Colin viendrait ici, constaterait la disparition, les fouilles dans la maison, il n’aurait plus aucun doute sur leur culpabilité. Elle dut respirer un bon coup pour que sa voix ne tremble pas.
— Qui est-ce ?
— Ton mari. Jullian.
32
Léane encaissa le choc, figée au milieu de la pièce.
— Jullian ? C’est… C’est impossible.
— Et pourtant, c’est son sang et son ADN, Léane, on en est sûrs à cent pour cent. On a comparé avec l’ADN de son sang prélevé à l’hôpital, il est rigoureusement identique. Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, c’est Jullian qui était enfermé dans le coffre de sa propre voiture. C’est lui qui a gravé en lettres de sang « VIVANTE », et c’est probablement lui qui a caché le bonnet sous la moquette, au niveau de la roue de secours, le prenant pour celui de ta fille.
Léane s’assit sur le sol et regroupa ses jambes contre son torse.
— Léane ? Tu es toujours là ?
— Oui, oui… Je… J’essaie d’y voir clair. Il… Jullian était enfermé dans le coffre de son propre 4 × 4… Et on le retrouve blessé après une agression sur… sur la digue.
— Peut-être qu’il n’a pas été agressé sur la digue, justement. J’ai une hypothèse là-dessus, quelque chose de saugrenu, mais qui pourrait fonctionner, même si ça n’explique pas tout. Tu te rappelles, l’autre fois, tu m’as dit que Jullian détestait les applications de santé, qu’il ne les utilisait jamais ?
Léane émit juste un son en guise de réponse.
— Imagine, quelqu’un l’a enfermé dans le coffre. Jullian tient le bonnet qu’il prend pour celui de Sarah, récupéré on ne sait comment, et est persuadé que votre fille est en vie. Il le cache dans le logement de la roue de secours pour qu’on le retrouve plus tard et grave comme il peut ce mot, « VIVANTE », pour nous laisser un message. Peut-être qu’il pense qu’il va mourir, qu’on va l’exécuter. Peut-être que la voiture roule, qu’elle vient d’une autre ville. Là où il a récupéré le bonnet ? Bref, elle s’arrête au bord de la digue, dans un endroit à l’abri des regards, pas loin du phare, ce n’est pas ce qui manque. Ensuite, l’agresseur de Jullian ouvre le coffre, assomme ton mari, prend son téléphone portable et va marcher le long de la digue…
— … pour faire croire que c’est Jullian qui a parcouru le trajet.
— Exactement. Puis il revient au coffre, transporte Jullian où on l’a trouvé, va remettre le 4 × 4 devant la villa, et non dans le garage comme le fait systématiquement Jullian. Ensuite, il disparaît dans la nature.
Léane vit soudain des papillons noirs, elle se sentit fébrile, comme vidée de son sang.
— Pourquoi l’agresseur aurait fait une chose pareille ?
— Pour qu’on n’y comprenne rien, pour nous tromper, nous mettre sur de mauvaises pistes. C’est un fichu manipulateur, j’ai l’impression. C’est probablement quelqu’un de plus proche qu’on ne le croie, quelqu’un qui gravite autour de vous…
— Mais qui, bon sang ?
— Je le découvrirai. J’ai autre chose d’incroyable, écoute bien. Je suis allé à l’agence de sécurité voir le type qui est venu arrêter l’alarme le soir où tu es rentrée dans la villa. Tu te rappelles, Jullian avait appelé l’agence de surveillance la nuit d’avant, vers 1 heure du matin, il avait prétexté ne plus se souvenir des codes à cause de l’alcool.
— Oui.
— J’ai montré la photo de Jullian à l’agent. Malheureusement, il est incapable de m’assurer que c’est ton mari qu’il a vu cette nuit-là, il ne s’en souvient plus, en fait.
— Tu… Tu crois que c’est l’agresseur qui lui a ouvert ? Ce qui expliquerait qu’il ne connaissait pas les codes ?
— J’en suis certain. L’agent a dit que l’homme avait la clé de la porte d’entrée et qu’il était éméché. Il n’y avait pas d’effraction, alors l’agent a naturellement pensé que c’était le propriétaire. Il a coupé l’alarme, puis lui a fait signer la fiche d’intervention, que j’ai sous les yeux. Ce n’est pas la signature de Jullian. L’homme qui a fait sonner l’alarme était un imposteur.
Léane n’y comprenait plus rien. Qui était l’inconnu qui avait investi leur maison, agressé son mari ? Était-il celui qui avait déjà cambriolé « L’Inspirante » deux mois plus tôt et volé ses livres ? Était-ce lui qui avait fait disparaître tous les documents, les dossiers sur Sarah ? Elle repensait aussi à l’ordinateur de Jullian, vidé de son contenu. Quelqu’un avait eu un intérêt à effacer ses découvertes. Et ça ne pouvait pas être Grégory Giordano, qui avait été, selon toute logique, enfermé dans le fort avant l’agression de Jullian.