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— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Demander une recherche complète et plus poussée dans l’habitacle de la voiture, ainsi qu’une recherche dans ta maison. S’il s’est installé au volant, s’il a conduit, s’il s’est déplacé chez toi, notre agresseur a peut-être laissé des empreintes sur les meubles, dans la voiture… Enfin bref, un détail nous permettra peut-être de l’identifier. Je compte venir dans l’après-midi avec une équipe. Seize heures, ça ira ?

Léane jeta un œil à sa montre.

— Dix-huit heures plutôt, si c’est possible pour toi. Le temps que je finisse ce que j’ai à faire à Paris.

— OK. Mais si tu rentres avant, évite de mettre tes empreintes partout, notamment sur les poignées de portes. Je sais que tu en as déjà déposé pas mal depuis que tu es revenue, et je veux me laisser une chance de découvrir des traces étrangères.

Soudain, Léane entendit un claquement de portière dans la rue. Elle se précipita vers la fenêtre. Un homme et une femme sortaient d’une voiture blanche sérigraphiée aux couleurs de la nation. Lui rajustait sa veste grise, elle fermait son blouson. Léane aperçut l’éclat d’un pistolet.

Des flics.

33

— Un nettoyeur ?

En ce vendredi soir, sur l’insistance de Vic, les deux collègues étaient revenus dans la pièce cachée de la cave de Félix Delpierre. V&V avaient de nouveau affronté la route, le froid, les virages, et même si la plupart des voies avaient été déneigées, rouler demeurait dangereux et pénible, surtout en montagne. Morel, occupé par les autopsies, n’avait pas assisté au brief que Vic avait fait à l’équipe après la visualisation des DVD. Pour l’heure, il croquait dans son deuxième thon-mayonnaise de la journée et chassait du dos de la main les miettes qui se déposaient sur le col de son blouson. Vic regarda sous les tentures rouges.

— Un nettoyeur, oui, c’est ce que je pense. Félix Delpierre se débarrassait juste des corps, il ne les torturait pas. Certaines des victimes présentent de nombreuses brûlures de cigarette, notamment sur les parties génitales et les seins. Ehre t’a bien dit que Delpierre n’était pas un fumeur ?

— Ouais. Poumons et dents propres, bouts des doigts sans traces de nicotine. À confirmer par la toxico, bien sûr. Mais il fumait peut-être à l’occasion ? Ou il achetait des cigarettes uniquement pour ses tortures ?

Morel lança un regard vague, pupilles éteintes, vers l’endroit où, la veille, ils avaient découvert le cadre avec le corps dans la position de l’Homme de Vitruve. Les autopsies, en particulier celle de la « chose », si on pouvait appeler ça une autopsie, avaient été un chemin de croix. Ehre et deux assistants s’étaient attachés à déconstruire ce que Delpierre avait conçu, et à isoler chaque morceau de peau prélevé sur le squelette en métal. Des échantillons étaient ensuite partis dans les services de toxicologie et de biologie. Un puzzle macabre.

Le flic se ressaisit et croqua un bon coup dans son sandwich. Comme à son habitude, Vic ne lui avait pas donné la raison de leur retour dans la ferme et avait maintenu le mystère.

— Me dis pas qu’on est revenus dans ce trou à plus de 20 heures pour chercher des cigarettes ? On a fait le tour, on n’en trouvera pas. Il n’y a pas un seul cendrier qui traîne.

— De toute façon, je te l’ai dit, ce n’est pas Delpierre qui a brûlé ces filles. Un téléphone portable… Voilà ce qu’on cherche.

Vadim tourna sur lui-même.

— Un portable ? Mais on l’a déjà. Posé au milieu de la table quand on est venus ici.

— On cherche un second portable non référencé. Un téléphone qu’il devait utiliser pour autre chose. La preuve est sur le dernier DVD. Alors qu’il s’apprêtait à tuer Apolline, une sonnerie d’arrivée de SMS a retenti, et ce n’était pas le « coassement de grenouille » du portable de la table du salon. Un message a tout déclenché, cette nuit-là. On doit découvrir de quoi il s’agissait.

— Delpierre nous attendait de pied ferme. Il a fait le ménage. S’il avait un deuxième portable caché, il s’en est débarrassé. Sinon, il l’aurait laissé sur la table du salon, avec l’autre, accompagné d’un petit mot à notre intention comme il l’a fait avec les DVD, du genre : « Éclatez-vous bien, les amis. »

Vic chercha une dizaine de minutes, puis frotta ses mains l’une contre l’autre.

— On va faire ses poubelles.

— Très romantique. Une heure de route pour fouiller des ordures.

Ils remontèrent vers la cuisine.

— Donc, d’après toi, ils seraient deux ?

— Oui. Delpierre n’a pas mutilé lui-même les victimes. Primo, il choisissait des parties de corps exemptes de toutes blessures ou brûlures pour les écorcher et construire sa « chose ». On le voit sur certains films, ces mutilations le dérangent. Secundo, c’est son comportement avec Apolline qui me le fait penser : il en prenait plutôt soin, il voulait l’abîmer le moins possible. Elle était un objet sexuel pour lui, c’est certain, un sujet d’excitation, mais il ne prenait pas son plaisir dans la torture. Ce n’était pas sa came.

— Sa came, c’était juste violer des cadavres et de les peler ? Ouf, ça va alors.

Morel se passa les mains sur le visage dans un souffle.

— Excuse-moi. Hier, ma femme m’a demandé sur quoi je travaillais. Je rentre tard, je suis crevé, je zappe Noël… J’ai encore dû mentir, parce que, ce qu’on vit, ce n’est pas racontable. Ma fille a l’âge de toutes ces victimes, bordel, et pendant que j’assistais à l’autopsie, il n’y a pas une seule putain de seconde où je n’ai pas imaginé Hélène à la place de n’importe laquelle d’entre elles.

Il enfonça machinalement le reste de son sandwich dans l’emballage et le posa sur la table, avant de sortir dans la cour avec un sac-poubelle et de le retourner. Vic, lui, s’occupa du contenu de la grosse poubelle en plastique. Il avait allumé la lumière du perron.

— J’ai tendance à oublier que c’est bientôt Noël. Je suis désolé.

— Ça va. Revenons-en à nos moutons.

— OK. Lundi dernier, Delpierre reçoit un message alors qu’il vient de trancher les mains d’Apolline pour terminer son œuvre. Il s’agit d’un message urgent, imprévu, puisque Delpierre en oublie de faire le plein d’essence, lui qui est si organisé. On lui demande de venir, je pense que c’est pour récupérer un corps et nettoyer une scène de crime : celle de la fille au visage écorché. Tu te rappelles la présence des serpillières humides et ensanglantées dans le coffre, les bidons de Javel, les seaux et même la chaux vive ?

Morel acquiesça, les mains dans les détritus.

— Il change sa plaque d’immatriculation, embarque le corps, fait du nettoyage, mais au lieu d’aller se débarrasser directement du cadavre, il refait un détour rapide par chez lui pour prélever les yeux, le visage et les mains. Les yeux d’Apolline ne lui plaisent pas, sans doute ce strabisme qui le dérange. Quant aux mains, puisqu’elles sont abîmées par les coupures en braille, il faut bien qu’il en trouve d’autres. Il n’a pas le temps de filmer, contrairement à d’habitude. Il agit cette fois dans la précipitation. Il coupe les mains, récupère le visage et les yeux de la nouvelle victime. Ceci fait, il rembarque le corps mutilé, les mains inutilisables d’Apolline et prend l’autoroute pour aller enterrer le tout. On connaît la suite avec l’épisode de la pompe à essence.