— Sol propre. Pas de poussière alors qu’il y en a sur la motoneige et même la bâche qui la recouvrait.
— Lavé récemment ?
— J’ai l’impression.
Il se redressa, en pleine réflexion. Une multitude d’outils pendaient au-dessus d’un établi sur lequel s’entassait du matériel de bricolage. Vic s’empara d’un gros élastique bleu, suspendu avec des dizaines d’autres à un clou, et le tendit à Vadim.
— Le même genre d’élastique a été utilisé pour maintenir le plastique autour de la tête de la victime du coffre.
— T’es certain ?
— Cent pour cent. Un élastique bleu, bien épais. C’est ici que ça s’est passé. Va chercher Mattioli. Et rapporte le Bluestar.
Vadim s’exécuta, tandis que Vic sentait la sève de l’angoisse monter dans sa gorge. Il savait ce qu’il risquait de découvrir ici. Deux minutes plus tard, son collègue revenait avec Mangematin, le propriétaire, ainsi qu’un flacon pulvérisateur rempli de produit qui permettait, dans l’obscurité, de révéler les traces latentes de sang, même effacées ou nettoyées.
Vic se tourna vers Mangematin.
— Je vais éteindre. Surveille-le.
Le collègue serra le bras de Mattioli, et Vic appuya sur l’interrupteur. Le pulvérisateur en main, il se positionna au milieu de la pièce et se mit à actionner le pistolet.
Le sol se para alors d’une couleur bleue luminescente, si intense que le visage et les mains des policiers et de Mattioli apparurent blanchis et donnèrent l’impression de voler. Vic se déplaça de trois mètres, renouvela l’opération. Partout la même réaction.
— C’est beaucoup trop étalé et régulier. J’ai l’impression que le sol a été entièrement nettoyé à l’eau de Javel. Elle contient du sodium qui fait réagir le Bluestar et empêche la détection du sang.
— Qu’est-ce que vous racontez ? Je ne comprends rien à votre jargon, je n’ai jamais fait une chose pareille !
Au bout d’une trentaine de secondes, la luminescence commença à s’estomper. Vic alla rallumer et fixa Mattioli au fond des yeux.
— Il va falloir nous expliquer.
— Vous expliquer quoi ? Vous débarquez ici, chez moi, me passez les menottes, vous mettez ce produit dans ma cave, vous… Mais putain, qu’est-ce que vous cherchez ? Qu’est-ce qui se passe ?
Vadim l’attrapa par le col et le plaqua contre le mur.
— Il se passe qu’une pauvre fille qu’on a retrouvée lundi soir dans le coffre d’une voiture a probablement été butée dans votre putain de sous-sol. Et que, après avoir fait ça, l’assassin a tout nettoyé pour ne laisser aucune trace. Vous allez parler, monsieur Mattioli, maintenant, ou le cul au fond d’une cellule.
Soit Mattioli était un parfait comédien, soit il accusait vraiment le coup. Quand Vadim le relâcha, il croula contre le mur, jusqu’à se retrouver assis, les mains dans le dos. Groggy. Il lui fallut plus d’une minute pour lâcher le premier mot :
— Je… Je suis arrivé ce matin à « L’Edelweiss », vous… vous pouvez demander à mes enfants. Ma femme doit nous rejoindre demain matin pour… qu’on prépare le réveillon. On reçoit vingt personnes demain soir, ici ! Hormis quelques périodes que… que je me réserve en famille, je loue le chalet sur des plates-formes en ligne, comme LocHolidays. Le… le chalet était loué depuis une semaine, jusqu’à ce matin.
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Suite aux propos de Mattioli, les flics se dévisagèrent comme des adolescents qui voient pour la première fois une femme nue. Vadim revint vers le propriétaire.
— Loué par qui ?
— Je ne sais plus, mais j’ai toutes les infos sur mon ordinateur portable, si vous…
— On y va.
Ils lui ôtèrent les menottes et remontèrent au rez-de-chaussée. En trois clics, Alexandre Mattioli se rendit sur le site LocHolidays et se connecta à son compte. À l’autre bout de la pièce, les enfants regardaient un dessin animé au calme, tandis que Dupuis fumait dehors, le téléphone à l’oreille. Le propriétaire montra dans un premier temps la petite annonce, avec une vingtaine de photos du chalet, du sous-sol à l’étage.
— Voilà ce que les gens peuvent consulter. Ça fait six ans que je loue « L’Edelweiss ». Jamais un problème. Je n’arrive pas à y croire.
Il cliqua sur un lien qui l’emmena sur sa page de gestion.
— Voilà… Loué par un certain Pierre Moulin, de samedi dernier à ce matin.
— « Un certain » ? Vous avez bien son adresse, son numéro de téléphone ?
— Absolument pas. Juste son mail.
Il afficha le mail en question : pie.moulin22@yopmail.com. Une fausse adresse, bien sûr. Il montra l’écran.
— Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur lui ? À quoi il ressemble ?
— Je ne l’ai jamais vu.
Vadim posa les deux poings sur le bureau, façon gorille.
— Ça commence à bien faire, tout ça. Bordel, vous louez votre chalet à un type que vous n’avez jamais vu ?
L’homme mettait du temps à répondre, choqué, ce qui agaçait d’autant plus Vadim, dont la patience était limitée.
— C’est le principe de la location en ligne, et ça se passe souvent de cette façon. Allez sur les forums, vous verrez. À l’arrivée des locataires, je laisse toujours la clé dans un endroit que je leur indique. En général, je fais un rapide état des lieux en leur présence le matin de leur départ, mais ceux-là étaient déjà partis à mon arrivée. Le chalet était impeccable, les draps de l’un des lits dans la machine à laver, et propres. La clé se trouvait au même endroit, alors je n’ai pas cherché plus loin. Et puis, nous avions eu des échanges de mails très cordiaux. L’homme m’a dit qu’il venait avec sa femme et sa fille de 6 ans. Il semblait sérieux, il a même payé quinze jours à l’avance. Vu le prix de la location à la semaine, on a forcément affaire à des personnes en qui…
— … en qui vous pouviez avoir confiance, c’est ça ? Parce que des mecs friqués, forcément, ils ne vont pas vous piquer des petites cuillères, hein ?
Vadim était sur les dents. Il incita Mattioli d’un coup de menton à cliquer sur le profil de Pierre Moulin. Membre sur le site depuis cette année. Pas de description ni de commentaires. La photo d’un type trop parfait : mèche blonde, sourire éclatant, col de chemise bien visible. Évidemment, il n’avait loué aucun bien avant celui-ci.
— On vérifiera, mais il est fort probable que tout soit bidon. Faux mail, faux nom, faux profil créé pour l’occasion et, sans doute, fausse photo. Pierre Moulin, initiales PM, comme le Professeur Moriarty. Le fantôme toujours dans l’ombre, l’homme invisible dont on est incapable de décrire le physique.
— Le Professeur Moriarty ?
— Comment il a réglé ?
Alexandre Mattioli afficha une autre page.
— Virement sur mon compte de mille deux cents euros par Western Union.
Encore une piste impossible à explorer. Vadim eut un geste rageur. Western Union était un réseau d’agences mondial qui permettait des transferts d’argent par tous les biais, entre un donneur et un receveur. Vous pouviez entrer dans l’une des agences avec une somme en liquide et la virer sur le compte en banque d’un parfait inconnu, et ce n’importe où sur Terre. On ne vous posait aucune question. C’était par exemple comme ça que les prostituées venues de l’Est alimentaient les comptes de leurs proxénètes restés au pays.
— Et ça ne vous a pas interpellé, Western Union ? Personne ne paie de cette façon !