Colin hocha la tête.
— Dans ce cas, nous avons un vrai point commun. Le lendemain, mardi, quelqu’un agressait violemment Jullian sur la digue, fouillait sa maison et effaçait toutes les recherches sur la disparition de Sarah. Mardi, ou peut-être ce même lundi, on enfermait Jullian dans le coffre de sa voiture, on ignore encore où. Venez voir…
Il les emmena au sous-sol, ouvrit le coffre et désigna le compartiment de la roue de secours, sous le tapis.
— Ici, Jullian cachait un bonnet qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui que portait sa fille le jour de son enlèvement et là… (il désigna l’inscription sur la tôle) il a écrit « VIVANTE » avec son sang. Et, vivante, Sarah l’était sûrement à ce moment-là. Quatre ans après la disparition, alors que tout le monde pensait Sarah morte, ce mot disait vrai.
Il tourna son visage vers Jullian.
— TU disais vrai. Et si c’était toi, le fameux élément déclencheur ?
47
La question laissa tout le monde sans voix, Vic le premier. Jullian Morgan était-il le fusible entre les deux affaires, lui, l’homme sans mémoire ? Avait-il déclenché l’échange de SMS entre Moriarty et le Docteur Watson et tout ce qui avait suivi ?
Jullian, face à lui, se passa la main sur le crâne. S’il avait pu s’arracher les cheveux, il l’aurait fait.
— Je me sens impuissant, prisonnier de ma mémoire, j’ai les pieds et les poings liés. Je VEUX vous aider, mais je ne peux pas. Des souvenirs reviennent, malheureusement ce ne sont pas les bons. Je me souviens d’une connerie de tortue qui nage, mais je ne sais pas où j’ai trouvé le bonnet ni pourquoi je me suis cassé les ongles à écrire ça. Je suis désolé.
Vic imaginait sa détresse, lui l’hypermnésique. Mais sans doute valait-il mieux avoir trop de souvenirs que pas du tout. Sans eux, le passé n’existait pas et, sans passé, l’existence elle-même se résumait à une queue de comète.
Vadim se tourna vers Léane.
— Le bonnet dont on parle, il ressemble à celui de votre fille, ou c’est celui de votre fille ?
Léane répondit sans l’once d’une hésitation :
— C’est le sien. Même si on a trouvé un cheveu noir qui n’appartenait pas à Sarah, je suis sûre que c’est le sien. Quelqu’un d’autre peut très bien l’avoir porté. Il a été tricoté par sa grand-mère, il n’y en a pas deux comme celui-là. Je suis formelle.
Vadim acquiesça et s’adressa à Jullian.
— Dans ce cas, il n’est pas impossible que vous ayez vu votre fille en vie. Que, après toutes ces années, vous ayez été meilleur que nous et que vous l’ayez retrouvée par vos propres moyens. Que, d’une façon ou d’une autre, un individu vous ait attrapé, violemment agressé, enfermé dans le coffre de votre propre voiture et ramené ici. Pourquoi quelque chose d’aussi complexe et risqué pour votre agresseur ? Je l’ignore. Je veux dire, il aurait été facile pour lui de vous tuer et de vous faire disparaître. Non, il tenait à ce que vous restiez en vie… En tout cas, cette suggestion du lieutenant Bercheron n’est pas aberrante : possible que vous ayez allumé une mèche qui a déclenché tout le reste, et qui fait que nous sommes ici aujourd’hui.
Léane enfouit son visage dans ses mains, silencieuse. Jullian s’était mis à faire les cent pas, tête baissée.
— Je l’aurais retrouvée… J’aurais réussi à retrouver ma fille…
Vadim acquiesça.
— C’est pourquoi il est important de bien réfléchir, d’essayer de comprendre le processus qui vous a incité à agir de la sorte. C’est capital. Si vous n’avez aucun souvenir d’un voyage en montagne, peut-être avez-vous conservé un ticket de péage ou de plein d’essence sur une aire d’autoroute, le week-end dernier ? Des preuves matérielles qui indiqueraient que vous avez voyagé dans la Drôme, à une date et une heure précises, entre vendredi et lundi, par exemple ?
La Drôme… Là où Giordano avait trouvé le bonnet. Léane eut l’impression de recevoir un uppercut. Elle avala sa salive et, tentant de garder son calme, demanda :
— La Drôme, vous dites ? Quel coin ?
Vadim échangea un regard avec Vic, il ne voulait pas en dire trop mais son collègue acquiesça : il était de leur intérêt de lâcher un peu de lest, avec l’espoir de récupérer des informations en retour.
— Le Vercors, du côté des hauts plateaux. Pourquoi, ça vous évoque quelque chose ?
— Non, on n’a pas d’affinité particulière avec cette région. Et on n’a retrouvé aucun papier dans la voiture.
Colin apporta sa pierre à l’édifice :
— Et rien d’étrange sur les comptes en banque. Je les ai déjà épluchés. S’il s’est déplacé là-bas, il a tout payé en liquide.
Léane ne voulait pas rater le coche, elle devait en savoir davantage, pousser les flics à en dire plus.
— On parle de mon mari, de ma fille. Vous savez des choses, vous savez ce qui s’est passé, ce que Sarah faisait là-bas, dans le Vercors. Mon mari s’est battu pendant quatre ans, contre vents et marées ; il a collecté des éléments qu’on nous a dérobés. Quelqu’un est venu ici et a effacé les traces de Sarah, mais je suis convaincue qu’on peut vous aider. La mémoire de Jullian lui revient avec des objets, des photos… Montrez-nous, racontez-nous ce que vous pouvez. S’il vous plaît, faites-le, peut-être qu’il va se souvenir. On ne peut pas se quitter comme ça, vous de votre côté, nous du nôtre, sans avoir fait le maximum. Ma fille a été vivante pendant quatre ans alors que je la croyais morte. On a le droit de savoir.
Les deux flics parurent ennuyés, et Vadim finit par s’emparer de son téléphone portable.
— Très bien. On ne peut malheureusement pas vous en dire davantage sur l’enquête, j’espère que vous comprenez. Mais je vous montre juste l’environnement où nous pensons que vous auriez pu trouver ce bonnet ou apercevoir votre fille. Ne nous en demandez pas plus, d’accord ?
Jullian se rapprocha de l’écran, Léane vint se coller à lui. Vadim afficha les dernières photos, celles prises à l’extérieur et à l’intérieur du chalet d’Alexandre Mattioli. Il les fit défiler d’un mouvement de doigt. Façade, jardin, alentours, intérieur. Les chambres, le sous-sol. Jullian secouait la tête.
— Rien… Rien ne me revient. Je suis désolé.
Léane serrait les lèvres sans rien dire. Où était situé ce chalet, précisément ? Giordano avait-il trouvé le bonnet de Sarah près de cette habitation ? Y avait-il réellement un chemin de randonnée qui passait par là ou Giordano s’était-il approché de cet endroit en connaissance de cause ? Y avait-il croisé Sarah ?
Vadim sélectionna une dernière photo qui transperça le cœur de Léane. Il s’agissait de la gravure d’un poisson avec une longue nageoire caudale.
Trait pour trait le dessin tatoué sur l’épaule de Giordano.
Jullian, lui, paraissait dépité.
— Non, je ne vois pas. Cette gravure dans le bois, qu’est-ce que c’est supposé être ?
— Nous l’ignorons. Peut-être un sigle, une signature, laissée par l’assassin de votre fille, ou par Moriarty. Ou peut-être que ça n’a rien à voir avec l’enquête. On ne sait pas.
Cette fois, Léane avait la preuve irréfutable que Grégory Giordano était impliqué. Elle le tenait, ce salopard, comme Jullian avait dû le tenir et réussir à lui faire cracher le morceau. C’était sans doute les aveux forcés du flic qui avaient orienté son mari vers ce coin paumé de la Drôme.