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Aux alentours de 5 heures, Léane retrouva le froid de la rue et son impasse, elle savait, d’après le site Internet, que le Donjon fermait ses portes à cette heure-là. Elle lorgna la photo récente de Mistik, et se concentra sur la porte. Le pistolet pesait dans la poche intérieure de son blouson.

Les employés sortaient un à un. Son pouls s’accéléra quand elle reconnut la femme, un quart d’heure plus tard. C’était bien elle. Mistik fit deux bises au crâne tatoué avant de marcher le long du trottoir. Léane s’apprêtait à la suivre à pied mais elle entendit le bruit caractéristique d’une alarme qu’on désactive et vit des feux de voiture clignoter, cent mètres plus loin. Elle se précipita alors vers son propre véhicule, s’engagea dans le sillage de la berline rouge et n’alluma ses phares qu’après le croisement. Au fur et à mesure qu’elle parcourait les rues de la ville, son angoisse grandissait. Peut-être que le moment de vérité approchait.

Les routes glissaient, ce qui facilita la filature car Mistik ne roulait pas vite, et Léane pouvait se tenir à distance pour ne pas se faire repérer. Mistik s’engagea sur le boulevard périphérique Nord, la nationale 6, puis emprunta l’autoroute A6, sur une dizaine de kilomètres. Sortie Chasselay. Les lampadaires laissèrent place aux ténèbres de la campagne, avant que n’arrive la petite ville. La neige sur les toits, les rues brillantes et vides : tout était figé, gelé, mort, comme dans une boule à neige posée sur un meuble. Léane gardait la voiture rouge en ligne de mire. Celle qui la précédait traversa la ville et, après quelques virages, mit son clignotant devant un portail qui s’ouvrait au ralenti, gyrophare orange en action.

Plutôt que de s’arrêter et d’attirer l’attention, Léane poursuivit sa route, comme si de rien n’était. Dans son rétroviseur, elle vit le véhicule s’engager dans l’allée. Elle ne fit demi-tour que bien plus loin et attendit.

Dix minutes plus tard, elle sautait un muret et pénétrait dans le jardin. Face à elle, sous un ciel de lune et d’étoiles, une belle maison aux murs en pierre brute, aux fenêtres cintrées en bois, enfoncées comme des yeux curieux dans la façade. Seule une lumière filtrait par un soupirail à la vitre opaque, au ras du sol. Qu’est-ce que Mistik faisait dans un sous-sol ou dans une cave, à 6 heures du matin ?

Léane faillit avoir une crise cardiaque quand un chien surgit derrière elle. Un fox-terrier nerveux qui lui renifla les chaussures, le pantalon, puis s’assit devant la porte. Léane sortit son arme et, sans bruit, tourna la poignée de l’entrée. C’était ouvert.

61

Léane empêcha le chien d’entrer et fonça dans la maison. Elle arriva dans un couloir dont toutes les portes étaient fermées sauf une, d’où jaillissait un rai de lumière rouge. Léane avait l’impression de s’enfoncer dans la gueule d’un monstre.

Elle ouvrit plus grande la porte avec les dents serrées, redoutant qu’elle ne grince. Des marches, qui tournaient vers la gauche. Elle descendit et dut se baisser pour passer sous une voûte en pierre, au-delà de laquelle se déployait une salle de torture au plafond très haut. Clous, lames, fouets, agrafeuses brillaient sur un établi. Une table avec des entraves attendait sur la droite. Elle marqua un temps d’arrêt lorsqu’elle aperçut, accroché à côté de fouets, cravaches, bâillons, matériel sexuel divers, le xiphophore avec sa lame de rasoir. Il y avait encore un peu de sang séché sur le métal.

Elle retenait son souffle et entendait des doigts taper sur des touches, dans une autre pièce. Elle poussa un rideau en lanières, qui cliquetèrent. Autre salle de torture, autre type de matériel. Notamment, une cage à oiseaux géante, une espèce de sarcophage vissé au mur, et un bassin en forme de cylindre vertical, rempli d’eau et surmonté d’un système de chaînes et de poulies qui permettaient d’immerger un corps en suspension.

Mistik était dans un coin, avec son corps tout en nerfs, un pantalon de cuir et un maillot sans manches blanc, assise face à un ordinateur portable. Elle se retourna brusquement, les yeux écarquillés. Léane la braqua.

— Bouge un seul doigt, et je tire.

— T’es qui, putain ?

Léane décrocha une paire de menottes et les balança devant elle.

— Mets ça. Mains dans le dos.

Mistik fixa en vitesse son écran et voulut le rabattre, mais Léane fut plus rapide et donna un violent coup dans le pied de chaise, qui propulsa Mistik au sol. Elle fit claquer la culasse d’un mouvement et ajusta sa visée.

— Je vais te tuer dans ta cave sordide. Je te jure que je n’hésiterai pas.

Léane était à cran. Mistik recula, mains au sol, et obéit. Elle se leva, verrouilla les cercles d’acier autour de ses poignets. Son corps était lardé de cicatrices, de vieilles brûlures, de cratères bruns. Un vrai champ de bataille.

Léane observa l’ordinateur qui affichait une fenêtre de chat : la femme qu’elle braquait discutait avec quelqu’un. Son cœur bondit dans sa poitrine lorsqu’elle vit avec qui elle communiquait.

Moriarty. Ce malade dont les flics avaient parlé et qui, sans doute, avait maintenu Sarah en captivité pendant quatre interminables années.

6 :13 :42 Moriarty > D’accord ? apparut juste à ce moment-là sous ses yeux. Elle garda un œil sur Mistik et s’installa sur la chaise. Elle reconnut, sur l’écran, les adresses en .onion et le navigateur TOR : le darknet. Le logiciel était « TorChat », elle en avait déjà entendu parler par des équipes de cybercriminalité qui l’avaient aidée pour l’un de ses livres. L’équivalent d’un système de SMS anonyme du darknet. Chaque fois qu’on fermait la fenêtre, tous les messages disparaissaient. Aucune trace, aucun moyen de récupérer les archives.

Elle remonta en un coup d’œil le fil de discussion.

6 :02 :10 Mistik > Urgent. Réponds STP.

6 :10 :22 Moriarty > Qu’est-ce que tu veux ? Je t’ai dit de ne plus jamais me contacter ! C’est fini ! C’est la dernière fois qu’on parle, toi et moi. Explique.

6 :10 :57 Mistik > C’est toi qui m’as toujours dit de t’informer s’il y avait quelque chose de bizarre. Et j’ai l’impression d’avoir été suivie par une femme.

6 :11 :25 Moriarty > Où ? Quand ?

6 :11 :42 Mistik > Il y a un quart d’heure. Depuis le Donjon, je crois. La voiture est passée devant chez moi et a continué sa route. Plaque en 59. Le Nord.

6 :12 :32 Moriarty > Ça fait deux ans que tout est fini. Tu ne dois pas t’inquiéter et arrête de m’écrire à la moindre occasion. Les flics vont bientôt retrouver mon cadavre. C’est notre dernière conversation. Tout est fini. Plus rien n’existe. D’accord ?

6 :12 :58 Mistik > Ton cadavre ? Qu’est-ce qui se passe ?

6 :13 :42 Moriarty > D’accord ?

Le curseur clignotait sous ses yeux, attendait une réponse. Léane était sous le choc, mais elle ne prit pas le temps de réfléchir. Presque deux minutes que Moriarty patientait, il allait se douter de quelque chose. Elle se rua sur le clavier.

6 :15 :20 Mistik > D’accord.

Elle valida, ravala sa salive. Pas de réponse. Alors elle tapa intuitivement, parce qu’il fallait aller vite, ne pas perdre le contact et tenter le tout pour le tout :

6 :16 :27 Mistik > Il faut quand même qu’on se voie.

L’attente, l’angoisse dans sa gorge. Elle patienta une, deux minutes. Moriarty ne répondait plus. Peut-être qu’elle avait fait une connerie, qu’elle n’aurait pas dû écrire cette phrase. Elle ajouta :

6 :17 :12 Mistik > T’es encore là ? Réponds s’il te plaît. Je sais des trucs sur Giordano. Sur sa disparition.