Rien. Calme plat. Elle tapa du poing sur le bureau.
— Merde !
Elle se redressa. Ses yeux brûlaient de haine quand elle pointa son canon vers la poitrine de Mistik, assise dans son coin.
— Je te laisse dix secondes pour me dire qui il est. Je veux que tu me parles de Giordano et de Moriarty. Je veux comprendre pourquoi vous faites ça, toi et ces salopards.
Mistik posa ses grands yeux d’aigle sur ceux de Léane.
— Je veux comprendre, ou je te garantis que je te flingue.
— Tu le feras pas. T’as pas les couilles.
Léane sortit son téléphone et afficha la photo du visage défoncé de Giordano, menotté, les mains au-dessus de sa tête. Mistik encaissa mais ne céda pas. Elle montra les dents et cracha comme un serpent venimeux.
— Va te faire foutre !
Léane n’en pouvait plus, elle tremblait de la tête aux pieds. Elle agrippa Mistik par les cheveux et la colla au sol d’un coup de crosse sur le crâne. La femme roula dans un cri rauque. Plus de sentiments, terminé, juste l’instinct, le besoin de réponses. Lui faire cracher tout ce qu’elle savait, jusqu’au dernier mot, dans l’orage de sa colère. On pouvait résister aux coups, à la douleur d’une balle dans la jambe. Mais pas à la sensation de noyade, utilisée par tous les bourreaux du monde.
Et quand elle lui passa les pieds dans les entraves en métal qui pendaient, elle comprit que Mistik, à la façon dont elle se débattait et hurlait, ne supporterait pas. Peut-être aimait-elle voir ses esclaves s’enfoncer là-dedans, peut-être en tirait-elle une infinie jouissance, mais, aujourd’hui, c’était à elle de trinquer.
Léane tira sur une chaîne qui activa le système de poulies. Sa prisonnière fut décollée du sol, la tête en bas, les mains toujours menottées dans le dos. La barre à laquelle elle était attachée pivota jusqu’à ce qu’elle se trouve au-dessus du cylindre en Plexiglas. Mistik s’arrachait les cordes vocales, gigotait, et quand Léane manœuvra un levier qui immergea le corps, les cris se transformèrent en bulles tandis que le visage, grossi par l’épaisseur du plastique, se mua en un masque effroyable.
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Le 16/07/2016
Mon très cher Andy,
C’est la troisième fois que j’ose vous écrire, j’espère que vous ne me prendrez pas pour une folle. Les mots ne viennent jamais facilement quand il s’agit de coucher sur papier ce qu’on ressent, ce que l’on retient au fond de son cœur, et on n’arrive pas toujours à exprimer avec des phrases ce qu’on aimerait dire.
Je sais à quel point vous souffrez, j’ai fait quelques recherches sur l’univers glaçant dans lequel on vous a enfermé. Ces cellules effroyables, ces couloirs sombres, ces règles strictes auxquelles on vous soumet. Ce n’est pas humain. Sachez que je serai toujours là pour vous soutenir, vous accompagner, et j’espère que ces quelques encouragements vous permettront de sortir un peu de votre cellule, de rêver, de penser à moi, pourquoi pas, moi qui déjà vous attends et vous attendrai toujours.
Chaque oiseau rare poursuit son envol, ne trouve en rien refuge éternel. Par rivières et sources douces en Sologne, aucun ibis ne trouve bonne et riche nourriture au rivage desséché. Pour avaler une libellule, il n’est pas en retard, l’oiseau, tiens !
Excusez-moi, j’ai l’impression que, comme l’oiseau, ma plume s’envole et que… j’en viens à écrire un peu n’importe quoi. Vous avez déjà dû le constater sur les lettres précédentes. Cela m’arrivait souvent en classe, on me disait dissipée, distraite, lunaire. Est-ce une mauvaise chose d’être lunaire, d’avoir trop d’imagination ? Bref, je suis avec vous, Andy, moi, mon cœur et tout le reste. Les barreaux de votre prison ne doivent pas vous empêcher de vous envoler, tel l’oiseau, et de vous apporter un peu de soleil.
Je sais que vous aimez l’originalité, la surprise, mais surtout les chiffres, c’est ce que cette presse qui vous salit tant raconte. Ainsi, comme la fois dernière, comme la prochaine, me voici décrite tout en numéros. J’espère ne pas vous lasser, déjà.
4, comme symbole de la solidité. Je suis solide comme vous, comme vous je sais affronter les épreuves. Je surmonterai celle qui vous tient loin de moi. 5, comme les sens, mon préféré est le toucher. 2, comme le couple, 2, base de tout, votre chiffre favori je crois. J’aime aussi le 0, vous le savez déjà, c’est le chiffre le plus parfait, celui qui absorbe tout. Le 9, multiple de 3, est la mesure des gestations. Sachez que bien sûr je vis seule depuis des années à présent, et que je n’ai pas d’enfants. Vous non plus, je me trompe ?
Une autre série pour que vous me découvriez un peu plus ?
Encore le 5, comme ces 5 mots importants pour moi : vie, combat, aventure, changement, liberté. 3 est plus sélectif que 5 ou 9, il limite les choix, s’il fallait choisir justement, ce serait vous, puis moi, puis nous. Je terminerai par le 4, ce carré parfait, rigoureux, comme vous l’êtes. J’aime les gens rigoureux, qui contrôlent, ceux qui ne laissent rien au hasard. Vous faites évidemment partie de ceux-là.
Voilà pour cette fois, je ne suis malheureusement pas une grande bavarde, ni à l’oral ni à l’écrit, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. Quelle cruauté, je ne sais même pas si vous recevez mon courrier, mais je continuerai à écrire. Pourrais-je espérer un jour avoir une réponse ? D’ailleurs, en avez-vous seulement l’envie ? J’ose espérer que oui. Je sais que nous sommes nombreuses à vous écrire, je ne suis qu’une admiratrice parmi d’autres, mais j’espère obtenir une place particulière dans votre cœur.
Avec toute mon admiration,
Vic releva les yeux de la lettre quand Vadim entra dans le bureau, en ce mercredi matin. Sa nuit avait été courte. Après avoir prévenu par téléphone Manzato de ses dernières découvertes et envoyé des SMS à ses collègues, il était allé dormir quelques heures dans sa chambre d’hôtel, histoire de recharger les batteries. Puis il était passé à la première heure au laboratoire de police scientifique pour y déposer le livre récupéré à l’internat : Manzato avait fait le forcing pour obtenir une analyse ADN du sang présent sur l’une des pages en priorité absolue. L’affaire Chamrousse terminée, les laborantins avaient désormais plus de disponibilités pour agir vite. Ils se chargeaient aussi de terminer les analyses des ADN de la « chose ».
Vadim se délesta de son blouson et vint serrer la main de son collègue.
— Alors on sait enfin qui est Moriarty…
Vic lui expliqua l’histoire en détail. L’internat des Roches noires. L’acharnement du professeur de sport sur Delpierre et Jeanson, les actes de pédophilie présumés, les mutilations qu’il avait ensuite subies dans les douches, et la fuite, quelque temps plus tard, de leur copain de chambrée, Luc Thomas.
— Et pourquoi ce Luc Thomas serait revenu trente ans plus tard voler les dossiers de l’internat ?