— Vous ignorez, demandait-il d’une voix tremblante où se trouve Hélène ?
— Mais oui.
— Alors, c’est horrible.
— C’est horrible ? répéta Juve. Pourquoi ? ah çà, avez-vous tellement pitié des sentiments paternels de Fantômas ? Croyez-vous, que même si je savais où est Hélène, j’aurais l’amabilité de le lui dire ?
Mais Backefelder était devenu nerveux :
— Taisez-vous Juve, faisait-il à son tour, je ne vous ai point encore tout dit.
Et, parlant lentement, d’une voix sourde, baissant les yeux, Backefelder continuait :
— Juve, Fantômas m’a tenu ce matin ce langage : Va trouver Juve, dis-lui qu’il te donne aujourd’hui même l’adresse de ma fille, dis-lui qu’il te donne les moyens de la retrouver ou que sans cela, avant la fin de cette semaine il recevra, lui, Juve, l’oreille droite de Fandor, que je couperai d’un coup de rasoir. Dis-lui qu’à chaque jour de retard, je mutilerai Fandor. Je lui arracherai l’oreille gauche après l’oreille droite, je lui trancherai les doigts, je le torturerai sans pitié et sans merci pour lui faire payer la torture que j’éprouve à ne pas savoir ce qu’est devenue mon enfant. Juve, si vous savez où est Hélène, dites-le-moi. Parlez. Fantômas n’hésitera pas. C’est la vie de Fandor qu’il faut lui racheter.
Mais Juve ayant entendu l’horrible menace que Backefelder, ambassadeur de l’épouvantable Fantômas, venait lui transmettre, en apprenant le danger que courait Fandor, ne répondit pas. Fandor qu’il n’avait point trouvé chez lui, Fandor qui n’avait pas répondu à ses coups de téléphone devait se trouver aux mains de Fantômas. Juve, atteint en plein cœur, pour une fois, vaincu par le destin, s’était écroulé sur un canapé et la tête dans ses mains, avec des yeux hagards, des yeux où s’amassaient des larmes lourdes et brûlantes, il considéra Backefelder avec un stupide affolement :
— Parlez, répéta l’Américain, où est Hélène ?
— Je ne sais pas, disait Juve, je ne sais pas. Où est Fandor ? Je ne sais pas. Je ne sais pas où est Hélène, je ne peux pas racheter Fandor. Je ne sais pas où est Hélène, répéta Juve, sur mon âme, je ne le sais pas !
Mais il devinait bien que Fantômas ne croirait pas à son ignorance et qu’il n’avait pas le droit, aux yeux du bandit, d’ignorer la retraite d’Hélène.
Juve, de longues minutes, réfléchit. Soudain il redressa la tête, se retourna brusquement pour faire face à Backefelder qui venait de passer derrière lui :
Et Juve alors d’un mouvement rapide, sauta à l’autre bout de son cabinet : il venait de voir que Backefelder enroulait tranquillement une corde.
— Que faites-vous ? demanda-t-il.
Backefelder haussa les épaules.
— Rien, dit l’Américain, je plie cela.
Et comme Juve le regardait toujours, Backefelder expliqua :
— J’étais chargé par Fantômas, mon cher Juve, de vous ligoter au moment où vous n’y penseriez point, ceci afin d’éviter que vous ne preniez ma piste lorsque je vous laisserai. D’ailleurs, je ne sais pas où retrouver Fantômas, j’ai été chargé de vous faire la commission que je viens de vous faire, et voilà tout. Je n’ai pas rendez-vous avec Fantômas, c’est lui qui doit m’aborder où et quand bon lui semblera. Le mieux est donc que vous ne me suiviez pas, il vous apercevrait, sa colère ne pourrait que nuire à votre malheureux Fandor.
Juve savait bien que Backefelder avait raison. Réellement, à cette minute, il se sentait vaincu par Fantômas. Il ne fallait pas risquer d’exciter encore le ressentiment du bandit quand il apprendrait que Juve n’avait point donné l’adresse d’Hélène.
— Partez Backefelder, répondit Juve, d’une voix brisée, allez dire à Fantômas que je ne sais point où est Hélène, allez lui dire que je n’ai jamais voulu de mal à sa fille et qu’il faut qu’il épargne Fandor.
Mais Backefelder, debout sur le seuil du cabinet de travail, répéta, de sa voix sourde et ferme :
— Hélas, Juve, les paroles de Fantômas sont, je le crains, définitives. Ses arrêts, vous le savez, sont sans appel. « Que Juve me dise où est ma fille », m’a-t-il répété, ou je mutile Fandor. Juve, j’ai peur.
Et Juve, frissonnant, lui aussi, dit comme Backefelder :
— J’ai peur, j’ai peur pour Fandor.
5 – UN MAUVAIS QUART D’HEURE
Délivré enfin du cheval laissé à la fourrière, Fandor, harassé, s’était jeté sur son lit, après avoir, par acquit de conscience, décroché le téléphone.
— Si l’on me demande, avait murmuré le journaliste, on ne me trouvera pas et voilà tout. Zut ! j’en ai assez de travailler, je baptise dimanche le jour qui vient et je fais la grasse matinée.
Fandor devait avoir, à coup sûr, grand besoin de repos pour agir ainsi. Couché au petit jour, il dormit tranquillement, sans prendre conscience des heures, longtemps, très longtemps.
— Cinq heures ! s’exclama Fandor, réveillé. Ça n’est pas possible, ma montre est arrêtée ! Tant pis, déclara froidement Fandor, je ne passerai pas à la Bourse, aujourd’hui. Mais avoir trouvé un cheval dans les rues de Paris, songeait-il, c’est déjà intéressant. J’ignore si on me le rendra dans un an et un jour, à la façon d’un vulgaire trousseau de clés n’ayant pas été réclamé. Mais, c’est insuffisant. Ma soirée d’hier m’a appris autre chose, m’a fait faire d’autres découvertes. N’empêche. Qui diable est la femme qui a enfourché ce cheval pour s’enfuir ? Il faut que je le sache et, ventre du diable ! je le saurai.
Fandor n’était pas breton, mais eût assurément mérité d’être né dans la péninsule armoricaine, vu la dureté de son crâne, inséparable, dit-on, de l’entêtement.
— Je saurai qui est cette femme.
Il prononça cette phrase à plus de dix reprises cependant qu’il s’habillait en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Les recherches que le journaliste méditait d’entreprendre étaient difficiles à mener à bien. Les apaches sont si nombreux à Paris, la population louche du boulevard de Grenelle est si vagabonde aussi qu’il paraissait à peu près illusoire de vouloir retrouver la femme qui l’intriguait si fort. Mais Fandor était entêté.
Fandor, d’ailleurs, dans l’espoir de rencontrer celle qu’il cherchait, n’avait pas ourdi un plan bien compliqué. Il possédait ce flair spécial qui est celui des agents de la Sûreté, des policiers, des chasseurs aussi, il devinait, eût-on cru, où pouvait gîter le gibier sur les traces duquel il s’acharnait.
— La bande a fait de l’argent, hier soir, s’était dit Fandor, car la sacoche était bien garnie. Ils ont été la boire, assurément, ils boiront encore ce soir, et c’est à table ou devant un comptoir que je rencontrerai mon monde.
Fandor, avec une belle tranquillité, se rendit alors au commissariat de police du boulevard de Grenelle. Il y trouva un brigadier un peu plus éveillé que celui qu’il avait entretenu la veille et se fit indiquer par lui les bouges mal famés qui restaient ouverts le plus tard dans la nuit.
Puis, nanti de ce renseignement précieux, l’âme assurée, la démarche fort calme, Fandor se rendit dans la rue du Théâtre et, méthodiquement, commença à visiter les bars interlopes.
Il entra dans dix cabarets différents, but, et fit semblant de boire mais sans résultat. À minuit, Fandor désespérait presque de réussir à retrouver un membre quelconque de la bande, mais, en revanche, il était devenu l’ami d’un brave chiffonnier qu’il avait invité à l’accompagner, auquel il avait payé de nombreuses tournées, et qui, les ayant bues consciencieusement, se trouvait plus qu’aux trois quarts dans les vignes du Seigneur.
— Mon poteau, déclarait l’homme en serrant tendrement le bras de Fandor qui le remorquait le long des arcades du métropolitain, je ne sais pas ce que tu fais dans le civil, mais, dans le militaire, sûr que t’aurais été un rude chasseur d’Afrique. Allons boire un verre !
— Allons boire un verre, répondit Fandor. Et, en même temps, le journaliste songeait :