Puis, sans s’occuper du père Teulard, il s’agenouilla auprès de la bière.
— Qu’est-ce que tu fais ? interrogea au bout d’un moment le vieil ivrogne qui peu à peu reprenait son état normal et se décongestionnait.
Barnabé se livrait à une besogne inattendue. Au lieu de resserrer les vis qui fermaient le cercueil, ils les défaisait :
— J’ouvre la boîte, déclara-t-il, faut tout de même voir ce qui s’est passé là-dedans.
— Mais, remarqua le père Teulard, timidement, tu sais bien que c’est défendu.
Barnabé, haussant les épaules, continuait ; il eut soudain un cri de surprise et se redressa brusquement, cependant qu’il rejetait de côté le couvercle, désormais entièrement détaché du cercueil.
— La boîte est vide, s’écria-t-il, on a mis du sable à la place du macchabée.
Et c’était exact. Les deux hommes considéraient stupéfiés le spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Es n’y comprenaient rien. À l’intérieur de la bière, toute capitonnée de satin blanc, se trouvait, en effet, du sable fin qui s’était échappé de deux sacs de toile. L’un d’eux s’était crevé et c’était pour cela que le sable avait filtré par les interstices du couvercle mal assujetti. Quelqu’un avait subtilisé un cadavre et, pour donner le change aux fossoyeurs, on avait remplacé le corps par une charge de sable.
Machinalement, les deux hommes plongèrent leurs mains hésitantes dans ce sable. Soudain les doigts de Barnabé rencontrèrent quelque chose qu’il attira et mit sous les yeux du père Teulard. C’était un petit collier de pierreries multicolores.
— Des bijoux, s’écria-t-il ; par exemple, c’est encore plus épatant.
— Mets ça de côté, déclara Barnabé, passant le collier à Teulard.
Mais le fossoyeur en chef n’en voulait pas et comme s’il avait craint de toucher cet objet précieux, il le déposa non loin de lui, sur une autre bière.
Puis les deux hommes se rapprochèrent l’un de l’autre, se regardèrent dans les yeux.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda Barnabé à Teulard.
Le père Teulard, ayant réfléchi, déclara sentencieusement :
— Faudra prévenir le commissaire des morts, sûr qu’il s’est passé là quelque chose.
Mais il poussa un nouveau juron ; machinalement, le père Teulard venait de regarder dans la direction de l’endroit où il avait déposé le collier. Or, celui-ci avait disparu.
— Barnabé, s’écria-t-il, qu’as-tu fait des bijoux ?
— J’les ai pas, répliqua l’homme, c’est toi qui les avais il n’y a pas deux minutes.
— Sans doute, répliqua le père Teulard, mais ils se sont débinés.
— Pas possible ? fit Barnabé qui regardait le sol, convaincu que le collier était tombé.
Rien sur la terre battue.
D’un air atterré, Barnabé, toutefois, désigna du doigt la bouche d’égout qui se trouvait à proximité et que recouvrait une grille à travers les barreaux de laquelle le collier avait peut-être pu glisser.
— Pourvu, s’écria-t-il, que le truc ne se soit pas débiné là-dedans.
Les deux hommes s’agenouillèrent, enlevèrent le grillage, plongèrent les mains dans le trou aussi profondément qu’ils pouvaient le faire, mais en vain, ils ne retrouvèrent pas le collier.
Tandis que Barnabé cherchait, le père Teulard, soudain, lui prit le bras. Et en même temps, les deux hommes se retournaient :
— Qu’est-ce qu’il y a ? fit Barnabé.
— Tu as entendu aussi ? interrogea le père Teulard devenu tout pâle.
— Il n’y a pourtant personne, reprit Barnabé. Son compagnon, hochant la tête, ajouta :
— J’ai cependant entendu du bruit.
Un instant, ils firent silence, regardant autour d’eux, mais il n’y avait personne et, dans le dépôt mortuaire, seuls avec eux se trouvaient les cercueils.
Barnabé haussa les épaules :
— Sûr, on est piqué tous les deux en ce moment. On a encore rêvé.
Le père Teulard paraissait fort préoccupé.
— Quoi c’est qu’on va fiche ? demanda-t-il, avec cette bière remplie de sable et ce collier disparu ? Sûr qu’il s’est débiné par l’égout. Seulement, voilà, ça va nous faire des embêtements.
— Pourquoi ? demanda Barnabé.
— Parbleu ! fit Teulard, il se trouvera toujours des salauds pour raconter que c’est nous autres qui avons fait le coup. Pense donc, un macchabée de moins, une bière vide, ça va faire du scandale. Des histoires à n’en plus finir. On va voir rappliquer la police, les curieux vont faire des enquêtes.
Barnabé se gratta le nez.
— Surtout, ajouta-t-il, qu’il s’agit d’une cliente de luxe. Le n° 7, la bière au sable, c’est là-dedans qu’on avait mis quelqu’un de bien conséquent, comme qui dirait la nièce de l’infant d’Espagne, d’après ce que j’ai entendu dire.
Le père Teulard, qui avait enfin retrouvé ses lunettes au fond de sa poche, les assujettit sur son nez et parvint cette fois à lire la fameuse lettre.
— Le sept, déclara-t-il, c’est une nommée Mercédès de Gandia. Oui, c’est bien quelque chose comme tu dis, une grande famille, je connais le caveau, il y a des écussons sur la porte avec des espèces de couronnes.
— Ah, grogna Barnabé, on est frais ! Si seulement c’était arrivé avec un purotin, l’histoire passait inaperçue, mais avec des gens de cette espèce-là on est sûr d’avoir des embêtements.
Le père Teulard, les bras croisés, la tête baissée, réfléchissait :
— Écoute, proféra-t-il enfin, après un long silence, écoute, Barnabé, je m’en vas te dire une bonne chose.
— Vas-y, père Teulard.
— Eh bien, Barnabé, voilà. Moi, j’ai comme ça dans l’idée que s’il se trouve du sable dans cette bière à la place du cadavre, ce n’est pas par suite d’une erreur, mais bien parce que les clients l’ont voulu comme cela, les gens riches ça fait toujours ce que ça veut.
— Probable.
— Conséquemment, poursuivit le père Teulard, s’ils ont fourré du sacré sable dans le cercueil, c’est parce qu’ils veulent faire croire qu’il y a un mort à la place, m’est avis que ces gens-là faut pas les contrarier. Si je n’écoutais que moi, je fermerais bien tranquillement le truc et je m’en irais tout à l’heure sans rien dire le porter dans le caveau avec le commissaire des morts.
Le visage de Barnabé s’illuminait, au fur et à mesure que parlait son compagnon :
— Ça, père Teulard, déclara-t-il, c’est une idée et même une richement bonne idée.
Barnabé se frotta les mains ; soudain, il regarda sa montre :
— Onze heures moins le quart ! s’écria-t-il, eh bien, nous n’avons qu’à cavaler si nous voulons refermer le truc avant l’arrivée du commissaire.
Le père Teulard et Barnabé s’empressèrent alors de remettre le couvercle sur la bière mystérieuse qui contenait du sable. Ils se dépêchaient l’un et l’autre de replacer les vis ; au bout de quelques instants, le cercueil n° 7 avait repris son apparence normale.
— Ouf, fit Barnabé une fois que la bière eut repris son apparence normale, ça y est, maintenant le commissaire peut s’amener.
Le père Teulard, toutefois, était inquiet et au lieu de se tenir tranquille, il allait et venait dans le dépôt mortuaire, incapable de rester immobile :
— Pourvu, murmura-t-il, qu’on ne s’aperçoive de rien. Puis, il ajoutait :
— Quand nous mettrons la boîte à dominos sur le brancard, faudra bien faire attention, l’un et l’autre, à ne pas la faire dégringoler, car, chargée à moitié comme elle l’est de sable, c’est mauvais pour l’équilibre. Vois-tu qu’elle se mette tout d’un coup à se dresser sur le brancard ou le caveau comme tout à l’heure ?
Cette idée fit rire les deux hommes, mais soudain, ils s’arrêtèrent. Ils avaient entendu du bruit à l’extérieur, î.’air grave et obséquieux, ils se précipitèrent vers la porte qui donnait directement sur le cimetière.
Un personnage apparaissait, vêtu de noir, un parapluie à la main.
— Le commissaire des morts, annonça Teulard.