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Puis, le fossoyeur en chef, suivi de son aide, se rapprocha du fonctionnaire, se confondit en salutations devant ce haut personnage.

Celui-ci feuilletait une liasse de papiers :

— Nous avons, déclara-t-il d’une voix hautaine, un transfert à opérer ce matin. Êtes-vous prêts ?

— Oui, monsieur le commissaire, déclara Teulard d’une voix tremblante, ne parvenant pas à maîtriser son émotion, malgré les coups de poing dont Barnabé lui bourrait les côtes.

— Il s’agit, poursuivait le fonctionnaire qui ne s’apercevait de rien, heureusement, de la bière n° 7, destinée au caveau de la famille de Gandia.

— C’est bien cela, monsieur le commissaire, poursuivit Teulard.

— Eh bien, allons-y, dit le fonctionnaire qui, d’ailleurs, ne pénétrai* pas dans le dépôt mortuaire et attendait que les deux fossoyeurs en fussent sortis avec un brancard sur lequel ils portaient le cercueil.

Le macabre cortège se mit alors en route, le commissaire des morts précédant les porteurs, et tous trois, à travers les allées exiguës de la grande nécropole, se dirigèrent vers l’allée de l’Ouest, où se trouvait le caveau de la famille de Gandia.

***

Cependant que les fossoyeurs et le commissaire allaient porter à sa dernière demeure ce que tous croyaient être la dépouille mortelle de Mercédès de Gandia, dans le dépôt, à présent désert, quelqu’un surgit du réduit obscur où l’on avait pour habitude de jeter pêle-mêle, les outils nécessaires aux travaux du cimetière.

Cet homme qui, jusqu’alors, s’était dissimulé, entra dans la grande salie funèbre. Il avait le visage triomphant, un sourire féroce sur les lèvres.

Quiconque l’aurait vu alors, quiconque se serait trouvé face à face avec lui n’aurait pu contenir son émotion ni cacher sa terreur, car cet homme à la silhouette majestueuse et sinistre, n’était autre que…

Le génie du crime serrait dans sa main nerveuse des pierreries qui miroitaient dans la pénombre de la salle. Fantômas avait le collier que les deux fossoyeurs avaient cherché en vain une demi-heure auparavant, après l’avoir extrait du cercueil rempli de sable.

C’était Fantômas qui, sans aucun doute, avait subtilisé le bijou, mais pourquoi ?

D’ailleurs, que faisait-il là ? Pourquoi s’était-il introduit dans le dépôt mortuaire ? Au risque de se faire surprendre. Ce qui, d’ailleurs, avait failli arriver, car, à un moment donné, le père Teulard et Barnabé avaient entendu du bruit. Au cas où leur émotion eût été moindre, ils auraient certainement, en cherchant dans le réduit obscur qui avoisinait la salle du dépôt, découvert celui qui s’y dissimulait ainsi.

Fantômas, toutefois, monologuait à mi-voix, tant il semblait satisfait de la scène dont il venait d’être le témoin :

— C’est parfait, murmurait-il. Dire que ces imbéciles de fossoyeurs ont failli tout gâter. Ma parole, je les aurais tués s’ils avaient donné suite à leur projet de tout déclarer au commissaire des morts. Il est vrai, que l’on serait arrivé plus rapidement à la solution. Mais cela m’aurait fort gêné pour agir, car je ne suis pas encore prêt. Non, mieux vaut que les choses se soient passées ainsi.

Un éclair de joie illuminait les yeux du bandit :

— L’essentiel, ajouta-t-il, c’est que je sache ce que je sais. Or, je viens d’apprendre un fait indiscutable : c’est que le cercueil qui devait contenir Mercédès de Gandia ne contient pas de cadavre. On a donc simulé la mort de la nièce de l’infant et, si celle-ci est encore vivante, comme tout permet de le supposer, don Eugenio n’hérite pas de son immense fortune. C’est ce qu’il fallait savoir en premier lieu, c’est ce qu’il importera désormais de démontrer. Oh, oh, ma cause est bonne et je la gagnerai.

Fantômas se rapprocha de la porte du dépôt mortuaire, s’assura d’abord que personne n’en surveillait les abords et, certain désormais d’en sortir inaperçu, il prit la fuite à travers le cimetière.

7 – BONJOUR FANTÔMAS

— C’est tout de même bougrement désagréable de se promener tout nu vers deux heures du matin dans le quartier de Grenelle.

Fandor, la rafle passée et momentanément délivré du souci des apaches, avançait en prenant de grandes précautions le long des rues désertes du sinistre quartier. Il pestait, maugréait, était réellement furieux, car il avait beau chercher, le hasard ne lui faisait rencontrer aucun fiacre, aucun véhicule susceptible de l’aider à regagner son domicile.

Fandor exagérait d’ailleurs. Il n’était pas tout nu comme il venait de le dire, puisqu’à ses pieds de solides bottines demeuraient, puisqu’il possédait son caleçon, sa chemise, et que son chef s’ornait d’un feutre mou qu’il avait crânement rabattu à la tyrolienne.

— Tout de même, reprenait le journaliste quelques instants plus tard, c’est une drôle d’aventure que la mienne, et je me demande comment cela va finir.

Il faisait de moins en moins chaud à mesure que le jour se levait et ce n’était pas sans inquiétude que Fandor considérait les passants qui, d’abord rares, se multipliaient peu à peu ; la plupart étaient des ouvriers qui se hâtaient vers le chantier.

Fandor, jusqu’alors, avait suivi les rues les plus mal famées de Grenelle, mais il comprenait vite que c’était sans doute pourquoi il n’avait point encore rencontré de fiacre.

— Allons, je me risque, murmura-t-il.

Et, froidement, il se dirigea vers le boulevard.

Malheureusement, Fandor arrivait à quelques mètres de deux sergents de ville qui, mélancoliques, résignés, se promenaient autour d’un îlot de maisons.

À peine avaient-ils eu le temps d’entrevoir la silhouette du malheureux journaliste que les deux gardiens de la paix, sans se consulter, instinctivement se précipitèrent sur lui :

— Dites donc, vous, là-bas, commençait l’agent, le plus ancien, qu’est-ce que vous faites en cet accoutrement ?

Or Fandor perdit la tête. Devant les dignes représentants de l’autorité, il se prit à détaler aussi vite que cela lui était possible.

Si Fandor courait bien, il se trouvait par extraordinaire que les deux agents couraient parfaitement aussi.

— S’ils me pincent, pensait le journaliste, je n’y coupe pas à l’attentat aux mœurs.

Et, sans souci du ridicule de sa situation, Fandor courait, courait, grotesque avec sa chemise qui ballonnait au vent, et l’une de ses jarretières qui, défaite, lui claquait le mollet.

Fandor eût peut-être bien fait dévier la poursuite des deux agents, mais la chance était décidément contre lui : au moment précis où il pensait tourner vers les berges de la Seine et se perdre là dans l’amoncellement des matériaux accumulés vers les péniches, il donnait en plein dans la poitrine de deux autres sergents de ville, qui certes ne songeaient pas à mal.

Fandor, lancé à toute allure, heurtant les deux gardiens de l’ordre, ne put se retenir, il pivota sur lui-même, roula sur la chaussée. Des poignes solides l’immobilisaient. Les autres agents arrivaient, on le passa un peu « à tabac », tout en l’interrogeant :

— Ah çà, mon gaillard, d’où revenez-vous ?

— M’est avis que ce n’est pas une tenue pour se promener dans les rues.

— Sûr et certain que c’est un malfaiteur.

Haletant, épuisé par sa course, pris cependant d’une formidable envie de rire, Fandor voulut expliquer son cas.

— Hé, sapristi, commença-t-il, je suis bien de votre avis, et vous vous imaginez bien que ce n’est pas pour mon plaisir que je me promène ainsi en chemise. Voilà ce qui m’est arrivé.

La jeunesse reprenait le dessus en lui, il éclata de rire, et continua, secoué par des hoquets de gaieté :

— Figurez-vous que j’étais dans un bouge.

Mais au fur et à mesure que Fandor parlait, la face des agents se rembrunissait ; ils le laissaient à loisir se perdre dans des explications détaillées, puis, brusquement :

— Faut l’emmener au poste, dit d’un air paterne le plus vieux sergent de ville, il n’y a pas d’erreur à se faire, c’est un fou.

— Un pauvre, toqué, c’est bien ce que je me suis dit.