Or, il y avait bien vingt-quatre heures que Fandor était à l’intérieur de la boule et il se demandait sérieusement si Fantômas ne l’avait point condamné à y mourir de faim, lorsque le sommet de la sphère brusquement s’ouvrit.
Fandor, aussitôt fut debout. Une main armée d’un revolver se tendit vers lui en même temps qu’une cagoule s’encadrait dans l’étroite ouverture.
— Bonjour, Jérôme Fandor.
Fandor fut sur le point de se répandre en invectives. Mais fallait-il donner à Fantômas, car assurément c’était Fantômas, le spectacle de sa détresse ? Impassible, donc Fandor répondit :
— Bonjour, Fantômas.
Fantômas, car c’était bien Fantômas, qui, renseigné par Bébé et Beaumôme (tous deux, avaient parfaitement reconnu Fandor dans le bouge du père Coup-de-Bâton), avait fait enlever le journaliste ; Fantômas ne s’attardait point à prononcer des mots inutiles.
— Jérôme Fandor, faisait-il, réfléchissez bien à ce que je vais vous apprendre et vous demander. Juve est entre mes mains. C’est un premier avertissement, vous m’entendez, Fandor ?
— Je vous entends, ripostait Fandor qui n’avait point tressailli.
— Eh bien, dites-moi où est ma fille, dites-moi où est Hélène, ou sans cela, sur mon honneur, je vous le jure, je fais subir à Juve les plus affolantes tortures, je le mutile, je lui coupe l’oreille droite, puis la gauche, un doigt, puis un autre. Allons, parlez.
Oh, Fantômas n’avait pas besoin d’entrer dans de plus amples explications. Jérôme Fandor avait parfaitement compris les sinistres menaces que lui adressait le bandit.
— Fantômas ! hurla Fandor d’une voix torturée, Fantômas, je vous jure que je vais vous dire la vérité : je ne sais pas où est Hélène.
Un éclat de rire lui répondit. Fantômas ne le croyait pas.
— Voici de quoi vivre, hurlait le bandit en jetant à Fandor un sac de provisions, réfléchissez bien à ce que je vous demande, je reviendrai vous revoir dans quatre heures et dans quatre heures je vous apporterai, pour vous convaincre et pour vous décider, l’oreille droite de Juve. Vous pouvez, en parlant, le sauver d’une nouvelle mutilation.
Avec un claquement sec, la trappe se referma, Fantômas s’éloigna.
Du temps passa. Jérôme Fandor était encore écroulé sur le sol de son extraordinaire prison, il avait à peine eu le temps de réfléchir, croyait-il, qu’à nouveau le bandit venait rendre visite à son prisonnier.
— Fandor ! hurlait Fantômas, encadrant sa cagoule noire dans l’étroite ouverture de la boule, vous apprendrez que mes menaces ne sont jamais des menaces vaines.
Il jetait en même temps à Fandor un chiffon sanglant qui se dépliait aux pieds du journaliste et Fandor y voyait, avec un saisissement tel qu’il pensait mourir de peur, une oreille humaine, l’oreille de Juve.
— Allons, parlerez-vous, reprenait Fantômas, me direz-vous où est ma fille ?
Il y avait de la souffrance, il y avait de l’angoisse dans la voix de Fantômas, mais Fandor tremblait lui aussi en lui répondant.
Ah, certes, il eût donné beaucoup alors pour pouvoir renseigner le bandit.
— Je ne sais pas, je ne sais pas ! hurla-t-il, comment voulez-vous que je vous dise où est Hélène ? j’étais prisonnier dans le phare, c’est vous qui m’y avez fait jeter, je n’ai même pas revu Juve. Par pitié…
Mais Fantômas ricanait toujours.
— En vérité vous ne savez pas, Jérôme Fandor ? Eh bien, je ne vous crois pas. Vous étiez prisonnier dans le phare de l’Adour, oui, sans doute, et à ce moment vous pouviez ignorer où était Hélène, mais depuis le naufrage, à coup sûr ma fille, ma fille qui vous aime, hélas, a dû vous donner de ses nouvelles. Vous savez où elle est, j’en jurerais, dites-le-moi ou par Dieu vous aurez demain la seconde oreille de Juve.
Fandor n’avait pas eu le temps de répondre, n’avait fait qu’un signe de dénégation, que déjà Fantômas avait refermé la boule, s’était enfui, jetant comme adieu à Fandor :
— Réfléchissez bien.
Mais le bandit, le tortionnaire, celui qui venait de jeter l’oreille sanglante à Fandor, se trompait s’il s’imaginait pouvoir par la terreur anéantir toute velléité de résistance chez son prisonnier.
Si Fandor avait su vraiment où se trouvait Hélène, il l’aurait dit, mais Fandor l’ignorait et maintenant que, devant lui l’oreille coupée continuait à saigner, il lui prenait une rage nouvelle.
— J’y laisserai ma peau, nom de Dieu ! jura Fandor, je me tuerai s’il le faut, mais je jouerai le tout pour le tout.
Fandor, alors comme un dément, commença de s’agiter dans son étroite prison, il sauta de droite à gauche, il se lança avec violence contre les parois de la boule.
— Parbleu, pensait le journaliste, je ne défoncerai pas ma prison, c’est sûr, mais je ferai bien craquer le piédestal qui la soutient. Si la boule tombe dans la rue, je me tue, si elle roule sur la toiture du music-hall, elle se brise, je me sauve et l’on vient à mon secours.
Ce que tentait Fandor était fou.
Comme il n’avait aucun point de repère qui lui permît de savoir à l’intérieur de sa boule de quel côté se trouvait la rue, c’est-à-dire la mort, et de quel côté se trouvait la toiture, c’est-à-dire la vie, il ne pouvait même pas essayer de diriger sa chute.
Fandor, près d’une heure s’épuisa en vains efforts.
Soudain, un craquement l’avertit que le dénouement était proche.
Jérôme Fandor envoya une dernière pensée à Hélène, puis ferma les yeux.
— Une… deux… trois, compta-t-il, c’est peut-être dans l’éternité que je me lance.
Il donnait de tout son poids contre la paroi de la boule. Le craquement se fit plus intense, se prolongea. Jérôme Fandor sentit que le sol se dérobait sous ses pieds, la boule tombait.
— Hélène, murmura le journaliste.
Sa tête heurta contre les parois de sa prison lumineuse. En une seconde il souffrit mille morts.
8 – DEUX OREILLES COUPÉES
— Eh bien, monsieur Marquet ?
— Eh bien, monsieur Ramiel ?
— Eh bien, monsieur Marquet, que pensez-vous de cela ?
— Ce que j’en pense monsieur Ramiel, c’est parfaitement net et clair. Depuis le début de ma carrière, et cela nous reporte à quinze ans, je n’ai jamais vu, dans un seul des commissariats de police où il m’est arrivé de passer, une aventure aussi étrange, un client aussi extravagant.
— Quant à moi, monsieur Marquet, voilà un quart de siècle que je dirige des établissements comme les Folies-Bergère ; certes, dans ma longue carrière il m’est arrivé de voir toute sorte d’individus et de rencontrer les personnages les plus invraisemblables, mais jamais, au grand jamais, aventure de ce genre ne s’est produite dans un de mes music-halls.
Les deux personnages qui s’entretenaient ainsi, n’étaient autres que M. Marquet, l’actif commissaire de police du faubourg Montmartre, et M. Ramiel, le directeur très parisien des Folies-Bergère.
Il était environ trois heures de l’après-midi et les deux hommes se tenaient dans le bureau du commissariat. D’un air indifférent et distrait, ils regardaient par la fenêtre le passage mouvementé des véhicules qui encombraient le faubourg, et cependant que M. Marquet, agité, nerveux, comme à son ordinaire, tambourinait sur les carreaux de la fenêtre, M. Ramiel, mâchonnant son cigare, demeurait immobile, les mains derrière le dos. Enfin, après un silence M. Marquet fit observer :
— Vous savez, mon cher monsieur Ramiel, que ma longue habitude des hommes me permet de me flatter d’avoir une certaine perspicacité et je suis convaincu que notre individu est un gaillard qui avait de mauvaises intentions, un cambrioleur, peut-être pire.
M. Ramiel haussa les épaules :
— Je ne suis pas de votre avis, mon vieux, rien qu’à la façon dont cet homme s’est introduit dans mon établissement, je croirai plutôt que c’est un malheureux, un fou.
— Voulez-vous que nous allions le revoir ?