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— Parbleu ! s’écria Juve, c’est évident et le plus important c’est de la retrouver, car nous ne doutons pas, n’est-il pas vrai, de l’identité du coupable ?

— Hélas, murmura Fandor, le plus important à mon avis serait en somme de suivre les indications de Fantômas, car s’il s’acharne de la sorte à savoir ce qu’est devenue Hélène, c’est qu’elle se trouve dans une position terriblement inquiétante et il faut lui porter secours.

— Juve, interrogea encore Fandor, nous sommes entourés de mystères, de drames incompréhensibles. Que signifie cette histoire du pont Caulaincourt ? ce spectre dont tout le monde parle ?

Juve ne répondait pas, mais interrogeait Fandor :

— Et toi, Fandor, raconte-moi ce qui t’est arrivé, que signifie l’histoire de cette boule ?

Pendant plus d’une heure les deux hommes discutèrent âprement, se communiquèrent leurs impressions, ils conclurent enfin :

— L’essentiel, déclara Juve est de sortir d’ici, je vais faire le nécessaire, dans quelques instants tu seras libre, dès lors tu iras te reposer chez toi quelques heures, puis rendez-vous ce soir, nous arrêterons un plan de campagne, nous agirons.

Les choses se passèrent comme l’inspecteur de la Sûreté l’avait annoncé, il obtint de M. Marquet la libération du détenu ; une heure après, Juve et Fandor se quittaient faubourg Montmartre, avec la promesse de se retrouver le soir même.

***

Minuit venait de sonner depuis quelques instants et la représentation du Moulin-Rouge terminée, les noctambules qui ne tenaient pas à rentrer chez eux se répandaient dans les restaurants de nuit avoisinant la place Blanche. Une foule élégante et nombreuse s’empressait également de gagner le grand restaurant qui s’étend sous la salle même du Moulin-Rouge.

L’arrivée de la foule avait déchaîné l’orchestre de tziganes qui attaquait une marche aux rythmes saccadés, cependant que les garçons du restaurant et du bar allaient et venaient affairés, que les femmes du vestiaire se précipitaient sur les clientes ; en l’espace de quelques secondes la plus grande animation régna dans la salle.

Une petite femme assise à l’entrée du bar adressait soudain son plus aimable sourire à un homme d’une cinquantaine d’années qui, raide dans son habit noir, passait à côté d’elle sans paraître la remarquer.

— Bonsoir, m’sieu, fit-elle.

Le personnage s’arrêta, la considéra un instant :

— Mademoiselle Delphine Fargeaux ? fit-il.

Et il regarda la femme avec un air à la fois ennuyé et surpris. La jolie fille, ce jour-là, était vêtue d’une robe claire toute garnie de dentelle qui lui allait à ravir. Elle avait posé sur ses cheveux noirs un grand chapeau de feutre gris qui seyait admirablement à sa beauté brune ; elle était vraiment charmante.

Elle répondit, plus aimable encore, à son interlocuteur :

— Asseyez-vous donc, monsieur Dupont. Offrez-moi quelque chose.

C’était, en effet, Dupont de l’Aube, le sénateur ambassadeur d’Espagne, qui, conformément aux habitudes contractées depuis qu’il avait doublé le cap de la cinquantaine, fréquentait avec une assiduité inquiétante pour sa santé les boîtes de nuit de Montmartre.

M. Dupont de l’Aube, toutefois, paraissait fort gêné et, loin d’accepter l’invitation de la jeune personne il s’excusa :

— Je suis désolé, mademoiselle, de ne pouvoir vous être agréable, mais ce soir je suis pris, obligé de m’en aller. Excusez-moi.

Le sénateur tournait les talons, s’esquivait avec rapidité. Le visage de Delphine s’attrista ; lorsque le sénateur fut parti elle grommela, rageuse :

— C’est bien ça les hommes, ils ne savent jamais ce qu’ils veulent. L’autre soir au skating, c’était le plus acharné et voilà que maintenant il me dédaigne.

Delphine soupira :

— Oh je comprends bien. Ce n’est pas le premier. Tous les hommes que j’ai connus, lorsqu’ils ont appris ma profession et su que je n’étais pas une vulgaire grue, que je travaillais honnêtement, se sont débinés. Il faut dire, ajoutait-elle, que je ne fais pas un métier ordinaire. Probable que cela les dégoûte de savoir que je suis dans les Pompes funèbres.

Delphine Fargeaux, résignée, se leva, régla sa consommation, quitta l’établissement.

C’était un curieux caractère que celui de cette petite femme, amoureuse de l’amour et du plaisir avant tout, et qui venait traîner dans des établissements ordinairement fréquentés seulement par des filles vénales.

Assurément Delphine Fargeaux cherchait un amant et elle n’était pas une vertu assez farouche pour ne pas faire de consciencieuses expériences, mais elle répugnait à l’idée de faire la noce et elle aurait préféré de beaucoup une affection sincère et durable plutôt que ces caprices de passage, dont elle connaissait les satisfactions éphémères et aussi les rancœurs plus durables.

— Tout cela, était-elle en train de conclure, c’est la faute au métier que j’exerce. Si j’étais une simple grue, du soir au matin et du matin au soir, j’aurais plus de succès.

Delphine, sur cette réflexion amère, quitta le restaurant du Moulin-Rouge et, d’un pas nonchalant, se dirigea vers un autre établissement d’apparence moins élégante, mais assurément aussi fréquenté que celui qu’elle venait de quitter. C’était encore un restaurant de nuit, faisant l’angle du boulevard et de la rue Lepic, que les habitués de Montmartre désignaient familièrement sous le nom de La Boîte à Joseph.

La clientèle y était moins distinguée, la tenue moins sévère, les femmes décolletées, les habits noirs y étaient rares et l’établissement possédait au premier étage une clientèle d’habitués qui, paisiblement, jouaient au billard.

Il n’y avait pas, chez Joseph, de tziganes, mais un simple piano sur lequel tapait consciencieusement, jusqu’à trois heures du matin, une malheureuse femme au teint fané, à la poitrine étroite, aux yeux rougis par les veilles.

Delphine Fargeaux venait à peine d’entrer là, s’arrêtant machinalement sur le seuil, prise à la gorge par l’odeur de tabac, qu’elle s’entendit appeler.

Delphine fronça le sourcil en apercevant le consommateur qui lui offrait une place à sa table.

— Encore lui, grommela-t-elle.

Mais cependant Delphine, quelques instants après, s’asseyait auprès du personnage. C’était Coquard, le courtier de la maison Ange de Villars.

Coquard, avec ses allures communes et son énervante gaieté, était cependant un brave garçon et, bien que grand buveur de bocks, il était sentimental.

Le courtier était tout heureux d’avoir obtenu que Delphine acceptât son invitation :

— On va faire un gentil petit souper ? proposa-t-il, l’œil allumé.

Il éprouva un certain dépit lorsque Delphine lui répondit qu’elle ne voulait accepter qu’un bock, mais le courtier, néanmoins, qui avait son idée, lui prit tendrement la main, lui murmurant à l’oreille des paroles persuasives.

— Ah, si vous vouliez, Delphine, on pourrait s’arranger pour être heureux tous les deux ; vous savez combien je vous aime et, puisque nous sommes l’un et l’autre dans le même commerce, nous pourrions nous associer aussi bien de cœur que de fait. Je suis sûr qu’à nous deux nous réussirions très bien et si jamais le patron venait à se retirer, il y aurait une belle place à prendre, hein, Delphine, voyez-vous cela ? la première maison de Pompes funèbres de Paris : Ange de Villars, successeurs Coquard et C ie.

Évidemment Coquard s’illusionnait sur l’effet que produisaient ses propositions, car Delphine s’était levée, brusquement :

— Vous me dégoûtez, se contenta-t-elle de dire, je fais le métier que j’ai par nécessité et pour vivre ; si vous croyez que j’y trouve du charme, non vrai, vous faites erreur.

Interloqué, Coquard insista :

— Mais cependant, Delphine, il n’y a pas de sot métier, et ce que nous faisons n’a rien de déshonorant.

— Possible, conclut Delphine, mais ce n’est pas une raison pour que la profession me plaise ! Adieu !