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— Ah ! fit Fantômas qui allait poser une autre question, mais qui s’arrêta et pâlit.

Delphine Fargeaux venait de murmurer :

— Mais tout cela c’est de l’histoire ancienne et j’aime à croire que ça ne lui a pas porté bonheur à cette Hélène, car, à moins que je me trompe beaucoup, il y a pas huit jours qu’elle est morte et qu’elle a été enterrée.

— Que voulez-vous dire ?

Mais, au fur et à mesure que Delphine parlait, Fantômas reprenait son calme.

La jeune femme, en effet, émettait cette hypothèse :

— On a toujours ignoré l’existence d’une infante qui serait la nièce de don Eugenio ; or voici que ces jours derniers, on a annoncé la mort de M lleMercédès de Gandia, nièce de l’infant et que l’on procédait à ses obsèques.

Dans l’esprit de Delphine Fargeaux, la Mercédès défunte n’était autre qu’Hélène. Quant à savoir si cette Hélène était morte naturellement ou par le fait d’un crime, elle ne se prononçait pas.

Delphine Fargeaux parla longtemps, bavarde et indiscrète, comme le sont toutes les femmes dès qu’elles sont un peu grises.

Fantômas cependant, écoutait de moins en moins ; au cours de cette soirée, pendant son entretien avec Delphine Fargeaux, il n’avait retenu que ceci : c’était bien Hélène, sa fille qui avait été enlevée par l’infant, mais il ne pouvait croire à sa mort, pour cette double raison, d’abord que le cercueil où elle aurait dû se trouver était vide, et ensuite que la mort d’Hélène ne pouvait profiter d’aucune façon à don Eugenio.

Ce qu’ignorait Delphine Fargeaux, Fantômas le savait. Que Mercédès de Gandia existait fort bien, sa disparition certes, pouvait être profitable à don Eugenio qui en héritait, mais Mercédès de Gandia avait-elle disparu, était-elle morte ?

9 – LE FANTÔME DU PONT CAULAINCOURT

— C’est-y malheureux, c’est-y malheureux… sûrement qu’il n’y a pas de bon Dieu au ciel, sans cela il aurait fait le chemin moins long pour aller du bistrot à ma cambuse, en voilà des kilomètres ! Jamais je n’arriverai au bout, surtout qu’il fait plus noir que dans un tunnel.

Sur le boulevard de Clichy, vers une heure du matin, Barnabé le fossoyeur zigzaguait. Complètement ivre une fois de plus, il rentrait chez lui ou tout au moins essayait de le faire, en suivant les itinéraires les plus détournés. Tout en marchant, Barnabé poursuivait son monologue :

— Bonsoir, m’sieurs dames, est-ce qu’on siffle encore un verre ?

Il se heurta soudain contre une barrière qui manqua de le faire basculer :

— Hé, grommela-t-il d’une voix pâteuse, je parie que c’est encore le père Bistrot qui me fiche son comptoir dans les jambes. Ah saloperie !

D’une main hésitante, Barnabé palpa ce qu’il venait de rencontrer, mais soudain il comprit ce dont il s’agissait :

— Non, grommela-t-il, c’est pas dans le zinc que je suis tombé, je viens de me cogner dans la balustrade du métro. Fichue invention que de mettre ces trucs-là au milieu des trottoirs.

Il fit quelques pas encore, se heurta à un nouvel obstacle.

— Pardon, excuse, mademoiselle, dit-il, tirant son chapeau poliment, s’inclinant jusqu’à terre.

Mais Barnabé éclatait de rire :

— Ah nom de Dieu, fit-il, qu’est-ce que j’ai ? c’est pas une demoiselle, c’est un arbre avec une carcasse de fer en guise de crinoline.

Zigzaguant toujours, le fossoyeur poursuivit son chemin, et il arriva enfin à l’extrémité du boulevard, à hauteur de l’ancien hippodrome.

Là, d’un pas trébuchant, il descendit le trottoir, puis s’assit sur la bordure de pierre et demeura pensif, la tête entre les mains. Il allait peut-être s’endormir là, lorsqu’une douce fraîcheur au bas des jambes l’arracha à sa torpeur.

— Oh que c’est bon, que c’est bon, murmura-t-il, c’est épatant ce qu’il y a des choses agréables dans la vie.

Il regardait instinctivement pour discerner la cause de cette délicieuse sensation :

— Tiens, fit-il hébété, c’est mes pieds qui se sont plantés dans le ruisseau. Je comprends que je sentais du froid.

Barnabé, toutefois, au risque de la congestion, ne remuait pas et regardait l’eau trouble du ruisseau qui coulait par-dessus ses chaussures mutilées. Puis, relevant lentement la tête, son regard s’arrêta stupéfait, retenu semblait-il, par une masse sombre placée à proximité de lui.

Barnabé considérait avec stupéfaction une silhouette humaine, puis il observa, désignant du doigt un grillage qui l’entourait.

— Faut-y que ce type-là soit méchant pour qu’on l’ait enfermé dans une cage.

Et aussitôt, par une rapide association d’idées d’ivrogne, Barnabé s’effrayait d’être auprès d’un aussi redoutable personnage. Et de sa voix de plus en plus éraillée, il se mit à geindre.

— Au secours, au secours !

Deux agents qui l’observaient depuis quelques instants, s’approchèrent lentement ; l’un d’eux, d’un geste paternel, lui toucha l’épaule :

— Hé là, mon brave homme, faudrait voir à rentrer chez vous.

Barnabé était respectueux de l’autorité. Il ôta son chapeau, salua les agents :

— Salut, messieurs, fit-il, j’ai bien l’honneur de vous saluer, excusez-moi de vous avoir dérangés, seulement, c’est rapport à cet individu, vous qui êtes dans la police, vous seriez-t-y pas capables de me dire pourquoi c’est-y qu’on l’a enfermé dans cette cage de fer ?

Les agents suivaient du regard le doigt de Barnabé et malgré la solennité que leur imposait l’uniforme, ils ne purent s’empêcher de rire. L’un d’eux haussa les épaules et expliqua :

— Allons, mon ami, vous avez trop bu, et vous dites des bêtises. Ce que vous croyez être enfermé dans une cage, c’est tout simplement une statue. Allons, circulez, rentrez chez vous sans faire de scandale, faute de quoi nous serions obligés de vous emmener au poste.

Péniblement, Barnabé s’était relevé, il protesta :

— Ça jamais, jamais, foi de Barnabé, on ne m’a conduit au poste, ce n’est pas que je n’aime pas les agents, mais je ne veux point aller chez le commissaire de police. Non, je ne veux pas.

— Alors, rentrez chez vous.

— Mais c’est ce que je fais, messieurs les agents, c’est ce que je fais.

Non sans peine, Barnabé traversa la chaussée, puis guidé par son instinct, il aborda la rue Caulaincourt. Au bout d’un quart d’heure, il parvint au point surplombant le cimetière de Montmartre, puis fatigué d’un tel effort il s’accota à la balustrade par-dessus laquelle son regard trouble et vacillant plongeait dans l’obscurité noire du cimetière silencieux. Incorrigiblement bavard lorsqu’il avait bu, Barnabé monologuait, il esquissait des sourires, il avait des gestes de satisfaction :

— Parbleu, je m’y retrouve, grommela-t-il, ça c’est mon quartier, et là-dessous voilà mon chantier de travail. Tiens, je les connais tous là-dedans, c’est mes clients. Voilà le caveau des Morel.

Barnabé haussait les épaules :

— Oh, les Morel, des purées, trois francs par mois pour l’entretien, c’est pas avec ça que je pourrai me payer une automobile. Parlez-moi des Artinien. V’là du monde bien, et puis c’est des gens qui font travailler, on en a descendu cinq dans le caveau, en moins de deux ans. Ah, conclut-il, en étouffant un soupir, voilà comme il en faudrait toujours de la clientèle. Ce qu’il y a de bon, d’ailleurs, dans le métier, c’est qu’on ne chôme jamais. Y a pas de morte-saison.

Soudain, le fossoyeur tressaillit, tourna la tête :

— De quoi ? qu’est-ce que c’est ?

Et il regarda d’un air surpris. Quelqu’un venait de le tirer par le bras, c’était une femme. Barnabé esquissa un sourire, puis, se rapprochant de la nouvelle venue :

— Oh, oh, fit-il, voilà un chopin [9].

Mais comme il arrivait près de la femme, il s’en écartait aussitôt avec un geste de dépit :