Or, à la réponse catégorique du policier, Fantômas avait paru pris d’une rage subite :
— Alors, hurlait-il, apprêtez-vous, Juve, à pourrir dans la prison que je vous choisirai. Au surplus, je suis persuadé que six mois, un an de captivité, vous feront changer d’avis. Et puis, il ne s’agit pas de cela, Juve. Pourquoi avez-vous voulu venir au secours de Backefelder ?
— Est-il donc votre prisonnier ? interrogea Juve.
— Sans doute, et ce sont bien ses deux oreilles que je vous ai envoyées à vous et à Fandor.
— Pourtant, la lettre était fausse, j’imagine ?
— Elle était écrite par moi, riposta Fantômas.
Mais le bandit s’interrompit :
— Ah ça, faisait-il, Juve, je vous trouve extraordinaire, ma parole. Vous m’interrogez, je n’ai plus à vous répondre. Taisez-vous. Mort de Dieu ! c’est moi qui commande. Vous devriez vous souvenir Juve, que les ordres de Fantômas sont sans réplique.
Juve se tut, attendant les événements.
Du fond de son trou, Juve entendait, sans le voir, Fantômas qui marchait de long en large, à quelque distance du piège. Brusquement le bandit s’arrêta, se rapprocha du précipice :
— Juve.
— Fantômas ?
— Je vous ordonne de vous passer les menottes que vous avez dans votre poche. Quand vous les aurez, vous me donnerez votre parole d’honneur qu’elles sont réellement cadenassées et vous me jetterez la clé.
— Et pourquoi ferais-je cela, Fantômas ?
— Parce que, faisait le bandit, j’ai l’intention de vous transférer de ce trou dans une autre prison où vous serez mieux, Juve. Juve, je ne veux pas que vous mourriez. Il faut que vous me disiez où est ma fille. Il faut que vous m’aidiez à la retrouver.
— Jamais !
— Si, vous aurez pitié.
— Pitié ? Je croyais que vous ne connaissiez pas le sens de ce mot, Fantômas ?
Ce fut le bandit qui n’osa point répondre. Juve, pourtant, au même moment songeait :
— Après tout, n’ai-je pas intérêt à être transféré hors de ce piège ? Je suis certain de ne pouvoir en sortir seul, qui sait si ailleurs je n’arriverai pas à fuir ?
Juve se passa les menottes, jeta la clé à Fantômas.
— Je suis prisonnier, déclara-t-il, emmenez-moi si vous le voulez.
Fantômas répondait :
— Aurez-vous pitié, Juve ?
Et il semblait, en vérité, tant il y avait d’angoisse et de souffrance dans cette question, que c’était Fantômas le vaincu.
11 – SUR LES TRACES D’HÉLÈNE
Il était environ minuit, une heure du matin, peut-être, Fandor ne dormait pas. Le journaliste s’était couché, l’esprit préoccupé, soucieux. La journée qui avait mal commencé par son incarcération au poste de police du faubourg Montmartre, s’était plus mal achevée encore. Certes, il avait eu la satisfaction de voir Juve, d’être libéré par lui, mais à peine avait-il pu s’entretenir avec son ami le policier que les deux hommes étaient obligés de se séparer. Ils avaient pris rendez-vous pour la soirée, or, Fandor avait attendu en vain l’inspecteur de la Sûreté. Juve, l’homme exact par excellence, n’avait pas donné signe de vie, Fandor l’avait inutilement attendu. De guerre lasse, Fandor après un repas rapide dans le restaurant même où Juve devait venir le rejoindre, était rentré chez lui, perplexe, la communication téléphonique qu’il avait demandée avec l’appartement de Juve était restée sans réponse.
Le journaliste, s’était donc couché, en désespoir de cause, mais il ne parvenait pas à s’endormir. À un moment donné, Fandor se leva en grommelant :
— Cette insomnie est assommante.
Puis il allait à la fenêtre, arrangeait ses rideaux.
— Il vient de la lumière par là, monologua-t-il, c’est ce qui m’empêche de m’endormir.
Depuis quelque temps déjà, Fandor, en effet, avait remarqué que sur le mur de la chambre opposé à son lit se silhouettaient de temps à autre des lueurs blafardes qui allaient et venaient comme des feux follets.
Et Fandor imaginait que c’étaient là des reflets, des lumières de la rue, qui se glissaient dans son appartement par l’interstice laissé entre les rideaux mal fermés.
Fandor se recoucha, désormais assuré que l’obscurité serait complète. Mais il ne resta pas longtemps étendu. Le journaliste s’assit sur le bord de son lit, interdit, les yeux hagards, cependant que ses lèvres balbutiaient :
— Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Fandor pouvait être étonné. Sur le mur faisant face à son lit se profilait nettement, un grand cercle lumineux, qui allait en s’élargissant. Fandor tourna la tête et s’aperçut que ce pinceau de lumière provenait d’un petit trou percé dans le mur au-dessus de sa tête. Fandor y porta la main, boucha cet orifice insoupçonné jusqu’alors, et détermina l’obscurité complète, mais dès qu’il enlevait le doigt, la tache lumineuse se produisait à nouveau.
Puis, soudain il comprit :
— Parbleu, fit-il, c’est quelqu’un qui a percé le mur et s’amuse à projeter des rayons lumineux par le trou.
Et Fandor s’habillant à la hâte, allait se précipiter à sa fenêtre, l’ouvrir, regarder au dehors, lorsque soudain il s’arrêta pétrifié. La tache lumineuse semblait s’animer et, à la manière d’une toile blanche servant d’écran à une projection cinématographique, le mur reflétait une scène animée extraordinaire :
Fandor, tout d’un coup, voyait Juve, Juve avait sa figure contractée des jours d’angoisse. Le policier marchait sur une route déserte dans une campagne, puis, soudain, Fandor faisait de nouvelles découvertes, les mains de Juve étaient jointes, unies par des menottes, et brusquement, à côté du policier, surgissait la silhouette terrible et redoutable de Fantômas. Or, Fandor s’en rendait compte, c’était là une vue cinématographique, la reproduction de la réalité, la réédition d’un fait que l’on n’inventait point, qui était exact, certain.
Tremblant d’émotion, Fandor continua à regarder le spectacle qui se déroulait devant ses yeux : Juve, lentement, avançait sur l’ordre, semblait-il, de Fantômas, qui marchait derrière lui et faisait de grands gestes, parlait avec animation, cependant que le policier se contentait, soit de hausser les épaules, soit de hocher négativement la tête. Puis, soudain, à un détour du chemin se profilait un gigantesque château dont les fenêtres étaient hermétiquement fermées. À cette apparition, Juve s’arrêtait, mais Fantômas, d’un geste énergique, lui intimait l’ordre d’avancer. Juve obéissait.
— Bon Dieu de bon Dieu ! jura Fandor, qu’est-ce que cela signifie ?
Quelques instants après, Juve précédant Fantômas entrait dans le château dont la porte venait de s’ouvrir, puis celle-ci retombait lourdement derrière eux, et dès lors, c’était l’obscurité absolue.
Fandor hurla :
— Juve est prisonnier de Fantômas, et Fantômas a imaginé cet abominable procédé pour me le faire savoir.
Il se précipitait vers la fenêtre, résolu à courir sur les toits, à s’emparer de l’audacieux opérateur qui venait de lui donner ce spectacle, mais il s’arrêta encore, une nouvelle projection lumineuse annonçait un autre spectacle évidemment.
Et Fandor regarda. Toutefois, c’était la même scène qui repassait devant ses yeux, le mystérieux opérateur tenait évidemment à ce que Fandor en retînt tous les détails. Il faisait repasser la projection une deuxième fois, et celle-ci terminée, Fandor lisait sur le mur lumineux une phrase ainsi conçue :
Juve mourra, si demain vous ne me dites pas où est Hélène. Je dois avoir ce renseignement ce soir, onze heure trois quarts, à…
Puis c’était la nuit, la phrase restait inachevée.
— Malédiction ! jura Fandor, qui frémissait dans l’obscurité.
Mais une projection nouvelle le clouait sur place, et désormais Fandor reconnaissait l’image paraissant devant lui : c’était la place Blanche avec au fond, bien en vue le restaurant de nuit que tous les Parisiens connaissent et qui portait sur sa façade cette enseigne : La Boîte à Joseph.