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— Comment était-elle ?

— Ah une belle fille, je vous jure, et je m’y connais, une superbe brune. Paraît que c’était la nièce de l’infant, mais elle n’habitait pas avec lui. C’était même assez rare quand on voyait la demoiselle venir rendre visite à son oncle.

— Merci, dit Fandor, cependant qu’à demi rassuré, il quittait la rue Erlanger.

Mais il n’avait pas fini sa journée, bien au contraire. Pendant quelques heures, il courut Paris, apprit par la mairie, que les obsèques célébrées rue Erlanger, quelques jours auparavant, étaient très régulièrement celles de M lle Mercédès de Gandia, nièce de don Eugenio, infant d’Espagne. Et cela lui redonna courage. Le journaliste se disait que, vraisemblablement, ce ne pouvait être Hélène. Hélène au contraire devait avoir été enlevée par l’infant, comme le lui avait appris Delphine Fargeaux. La jeune fille, sans doute, se trouvait encore au pouvoir de son ravisseur. En Espagne, selon toute probabilité, dans l’inaccessible résidence de don Eugenio. Au palais de l’Escurial.

***

À onze heures du soir, Fandor était place Blanche. Trois quarts d’heure plus tard, il s’introduisait dans le restaurant où il pensait avoir rendez-vous avec l’écuyère de Grenelle.

À peine eut-il pénétré dans l’établissement, que Fandor sursauta. La première personne qu’il vit, au fond du café était la Recuerda.

Le cœur du journaliste battit violemment. Ainsi donc il ne s’était pas trompé ? Il avait compris le rendez-vous de Fantômas, et Fandor, désormais, se disait :

— J’ai gagné la première manche. Je ne lâcherai pas la partie jusqu’à ce que j’aie sauvé Juve.

— Vous m’attendez, madame ?

— Peut-être monsieur. Je crois en effet que vous avez une commission à me faire.

— Causons, voulez-vous ?

— Vous n’avez cependant, dit-elle, qu’une chose à me dire, si j’en crois les indications de votre ami.

— De mon ami ? interrogea Fandor qui, du coin de l’œil regardait l’Espagnole, de quel ami voulez-vous parler ?

— Du cocher John.

— Ah, parfaitement, dit Fandor, qui ne comprenait pas, mais sentait qu’il fallait jouer serré. Vous informerez donc, le cocher John, qu’Hélène est à l’Escurial.

Mais surprise, la Recuerda eut comme un soubresaut, puis étouffa un éclat de rire.

— Non, expliqua la Recuerda, mais enfin, vous savez ce que c’est que l’Escurial ?

— Oui, c’est un palais en Espagne, à quelques kilomètres de Madrid.

— Vous savez qui habite ce palais ?

— C’est la demeure de l’infant d’Espagne don Eugenio.

— Quand il n’est pas à Paris.

— Vous avez l’air bien renseignée. Vous le connaissez ?

— Non, mais j’ai entendu parler de lui. Je sais qu’il a quitté son hôtel de la rue Erlanger.

— Et vous savez pourquoi, sans doute ?

La Recuerda hocha la tête et le journaliste, qui la regardait dans le blanc des yeux, précisa :

— En tout cas, il a quitté Paris au lendemain des obsèques de sa nièce Mercédès de Gandia.

— Mercédès de Gandia est morte ?

— Morte et enterrée, mais qu’avez-vous donc ?

L’interlocutrice de Fandor était devenue pâle. Elle avait porté la main à son front. Un instant plus tard, s’étant retournée, elle regardait attentivement dans la glace placée derrière elle.

Fandor ne comprenait rien à cette mimique. Il allait toutefois questionner son énigmatique compagne, il n’en eut pas le temps. Celle-ci se levait précipitamment, en proie, semblait-il, à une émotion violente.

— Madame, appela Fandor.

Mais l’Espagnole ne l’écoutait pas, elle sortit du restaurant :

— Il ne sera pas dit que je perdrai sa trace ! s’exclama le journaliste.

Il jeta une pièce d’argent sur la table, n’attendit point la monnaie et se précipita sur les traces de la Recuerda. Mais le hasard voulut qu’une foule de gens, de joyeux noctambules, qu’accompagnaient des demi-mondaines, entrât à ce moment dans l’établissement.

Lorsque Fandor se retrouva dans la rue, les quelques secondes qui s’étaient passées avaient suffi à rompre la filature que le journaliste voulait assurer pour savoir où la Recuerda allait retrouver le mystérieux cocher John, auquel elle devait rapporter le renseignement fourni par son « ami » Fandor.

— Parbleu, se disait le journaliste, quel peut être ce cocher John, sinon un complice de Fantômas, sinon Fantômas lui-même ? Cette Recuerda doit être mêlée à un titre quelconque à la bande de notre effroyable adversaire.

Le journaliste était parvenu à l’entrée du pont Caulaincourt et brusquement, dans son esprit, s’éveillait le souvenir de ce nouveau mystère qui, depuis quelques jours, défrayant la chronique, menaçait de s’étendre comme une vague de terreur sur l’opinion.

Fandor jusqu’alors avait été bien trop préoccupé par les aventures qui lui étaient personnellement survenues pour prêter grande attention aux extravagants phénomènes que l’on signalait de toutes parts. Voici que, désormais, il éprouvait une insurmontable envie de se documenter à son tour sur ce que la rumeur publique appelait déjà : « le Fantôme du Pont Caulaincourt ». Et puis, Fandor faisait un rapprochement dans son esprit. L’apparition de ce spectre n’avait-elle pas coïncidé avec l’époque des obsèques de la nièce de l’infant, ensevelie précisément au cimetière Montmartre ?

Les sinistres apparitions ne s’effectuaient-elles pas depuis le moment où Fantômas, après avoir disparu de Paris pendant quelque temps, venait d’y reparaître ? Et Fandor, machinalement, de son pas tranquille et sûr, montait le pont Caulaincourt à peu près désert à cette heure tardive de la nuit.

C’était, en dessous du pont, l’obscurité et le silence absolus, et sur le large passage qui surplombait le cimetière, la lueur des becs de gaz se reflétait pâlotte sur le métal des larges balustrades et des grands fer en X.

Fandor, accoté à la balustrade, plongea le regard dans la nécropole. Il ne vit rien, et il songeait que vraisemblablement tous ceux qui avaient été témoins, ou qui prétendaient l’être, de l’apparition du spectre, n’étaient que des hallucinés, victimes d’une illusion collective. Fandor haussa les épaules et allait rebrousser chemin, lorsque soudain un bruit frappa son oreille.

Il semblait provenir de l’autre côté du pont. Intrigué, Fandor s’y rendit.

Mais, à peine s’approchait-il des grandes formes de fer que, derrière l’une d’elles, presque à le toucher, surgit une silhouette extraordinaire : celle d’un homme, au visage à demi dissimulé sous un masque noir. Cet homme, à la silhouette élégante était en habit, le plastron de sa chemise faisait une tache blanche qui contrastait nettement avec la teinte sombre de ses vêtements. Et cet homme semblait suspendu dans le vide.

— Le fantôme ! s’écria Fandor.

Mais, au moment même, comme s’il avait été aspiré par la fantastique apparition, Fandor poussait un cri terrible et se trouva précipité dans le vide, la tête la première.

Fandor tomba les mains en avant. Toutefois, il eut la chance de se raccrocher aux balustrades du pont, et, lorsqu’il parvint sur le sol du cimetière, sa chuté était atténuée.

— Eh bien, s’écria le journaliste, en se relevant péniblement, voilà qui n’est pas ordinaire ! Mais quel est le malappris qui m’a vidé de la sorte du haut du pont Caulaincourt ?

Fandor, en avait eu la nette impression que ce n’était point le spectre qui l’attirait, mais bien que quelqu’un, placé derrière lui, l’avait pris brusquement par les jambes et fait basculer sur le parapet du pont.

Le journaliste était à peine relevé et s’époussetait machinalement, qu’il bondit de côté. Une balle venait de siffler à son oreille et, en même temps, des cris retentirent, des ombres surgirent du cimetière, des hommes se précipitèrent sur lui, s’emparèrent de sa personne.

— Lâchez-moi ! cria Fandor.