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Puis, il ne résista plus, c’étaient des agents de police. Cependant que les sergents de ville s’apprêtaient à lui passer les menottes, un homme survint et Fandor le reconnaissait :

— Michel, s’écriait-il, ah, par exemple !

L’interpellé semblait stupéfait, lui aussi, de voir le journaliste. Michel n’était autre que l’un des inspecteurs de la Sûreté subordonnés à Juve. Il reconnut Fandor :

— Que diable faites-vous là ?

— C’est ce que je me demande, poursuivit le journaliste, on vient de me précipiter par-dessus le pont.

Mais, à ce moment, les sergents de ville poussèrent une exclamation et l’un d’eux, lâchant Fandor avisait une sorte de paquet à quelques mètres de là.

C’étaient des vêtements noirs, des habits d’homme d’une finesse extrême, d’une souplesse telle qu’on pouvait les plier en tous sens, les mettre en boule, les faire tenir presque dans le creux de la main.

— Eh bien ? interrogea Fandor, qui considérait cette étrange défroque.

— Eh bien, déclara Michel, abasourdi, ce sont encore les vêtements du spectre.

Puis, avisant le plastron de la chemise, il y montrait une déchirure :

— Vous avez entendu, tout à l’heure, fit-il, cette détonation ?

— Je vous crois, rétorqua Fandor, la balle a sifflé à mon oreille.

Michel poursuivait :

— Et elle est venue frapper le spectre en pleine poitrine, voyez plutôt la déchirure faite dans le plastron.

Des agents grommelaient :

— C’est de plus en plus extraordinaire et incompréhensible.

Puis, l’un d’eux interrogea Michel en désignant Fandor :

— Monsieur l’inspecteur, faut-il emmener cet individu au poste ?

— C’est inutile, déclara-t-il, ce monsieur y viendra volontiers avec moi.

Puis Michel, prenant le bras de Fandor, l’entraîna :

— Je vous assure, commença l’inspecteur de police, que je commence à ne plus rien comprendre à toutes ces histoires-là. Depuis la première apparition, je passe mes nuits avec des agents dans ce cimetière. Je voudrais bien que Juve soit revenu, sûrement, il nous donnerait une explication.

— Juve, fit Fandor, eh oui, où est-il ?

12 – BACKEFELDER S’ÉVADE

Juve avait suivi Fantômas, cependant que le bandit, après lui avoir jeté une échelle de soie, après l’avoir aidé à sortir du piège où il était tombé, le conduisait vers le Château Noir.

Fantômas, à partir du moment où Juve s’était livré à lui, menottes aux poings, ne prononça plus un mot. Il apparaissait à Juve le visage recouvert de la cagoule noire, vêtu de son maillot noir, silhouette énigmatique et mystérieuse, silhouette incompréhensible, silhouette d’horreur.

Une fois de plus, le policier se voyait entre les mains du bandit, à la merci de son plus mortel ennemi. Sa situation était désespérée.

— Fantômas m’épargnera, pensait Juve, tant qu’il croira que je connais la retraite de sa fille, tant qu’il espérera tirer de moi un renseignement utile. Mais du jour où il sera convaincu que je lui ai dit la vérité et que je ne sais pas où est Hélène, salut !

Juve, d’ailleurs, regardait l’avenir en face, raisonnait sur son propre destin avec une complète indifférence.

Si Fandor, dans la boule où il était demeuré prisonnier, n’avait pas frémi en déclarant : « Je suis perdu », parce qu’il avait depuis longtemps fait le sacrifice de sa vie, Juve, de son côté, se répétait avec la même sérénité : « Je suis condamné à mort. »

Les deux amis, les deux héros, acceptaient leur destin avec une égale résignation.

Pourtant, le sort de Juve était un peu moins tragique que celui de Fandor. Juve, en effet, savait que Fandor était libre. Il savait que le journaliste, dans les quarante-huit heures, ne manquerait pas de s’étonner de sa disparition et, à coup sûr, Fandor se mettrait en campagne. Il ferait tout au monde pour retrouver Juve. N’était-ce pas là un motif d’espoir, si vague fût-il ?

— Pourvu que le petit ne se fasse pas tuer en voulant me sauver, songeait Juve. Nous aurions dû conclure un pacte, convenir, une fois pour toutes, que nous n’aurions jamais pitié l’un de l’autre, que jamais nous ne nous exposerions inutilement l’un pour l’autre.

Mais Juve n’était pas sincère. Au fond de lui-même, il savait bien qu’en toute conscience, il n’aurait pas personnellement respecté de semblables accords, que Fandor, tout comme lui, ne se serait fait aucun scrupule de ne pas tenir parole.

La traversée du parc qui entourait le Château Noir dura un bon quart d’heure. Si Juve n’avait pas eu les mains enchaînées par des menottes, il eût certainement tenté de recouvrer sa liberté.

D’ailleurs, Juve avait encore d’autres motifs pour accompagner docilement Fantômas et ne pas chercher à s’échapper.

— Il m’a dit que Backefelder était prisonnier, pensait le policier, peut-être va-t-il être assez sot pour me conduire auprès de lui. Nous serons deux en ce cas pour lutter contre Fantômas.

Hélas, pouvait-on lutter contre le génie du crime ? Y avait-il puissance humaine capable de contrarier les desseins de l’énigmatique personnage que Juve observait ou essayait plutôt d’observer, car il ne le voyait même pas sous le masque de la cagoule, sous le maillot noir.

— Je suis bien perdu, conclut Juve au moment où Fantômas, se rapprochant de lui, lui posait la main sur l’épaule.

De dessous la cagoule, la voix brève, sarcastique du bandit, s’élevait à nouveau :

— Juve, déclarait Fantômas, avez-vous bien réfléchi à ce que je vous ai dit tout à l’heure ? Pour la dernière fois, voulez-vous me dire où est ma fille ?

Juve se contenta de hausser les épaules :

— Alors, reprenait Fantômas, retournez-vous, Juve. Regardez le ciel bleu, la forêt verdoyante. Regardez la vie qui palpite sous vos yeux. C’est la dernière fois que vous pouvez voir, Juve. Vous m’avez raillé tout à l’heure en disant que je ne savais point la signification du mot pitié, vous aviez raison, je serai impitoyable. C’est à votre tombe que je vous conduis.

— Menez-moi donc à mon tombeau.

— Allons-y donc, Juve.

Fantômas avait ouvert la porte, il poussa le policier par le bras.

Le Château Noir ouvrait sur un large vestibule en pierre de taille d’où suintait une glaciale humidité. Par les vitres brisées, la pluie et le vent entraient librement depuis de longues années dans la demeure, et les pierres étaient rongées, couvertes de mousse, gluantes.

— Suivez-moi, Juve.

Fantômas tenait à présent, dans sa main gantée de noir, un revolver dont le canon nickelé brilla. Juve, comprit qu’il fallait obéir.

Ils franchirent rapidement un grand escalier de marbre dont les degrés s’effritaient sous le pas ; Fantômas fit monter cinq étages à Juve, ils parvinrent enfin sur un palier étroit, situé probablement sous la toiture du château. Fantômas poussa Juve dans une sorte de petite chambre aux murs arrondis :

— Entrez ! C’est ici que vous attendrez la mort.

Fantômas avait depuis longtemps aménagé le château, en vue d’y conduire un prisonnier. L’étroite cellule où pénétra Juve, était a peine meublée d’une paillasse, d’un escabeau de bois, d’une table. Dans un coin, sur un buffet aux portes ouvertes, un amoncellement de boîtes de conserves :

— Vous avez de quoi manger, expliqua Fantômas, de quoi boire, vous avez de quoi vivre, Juve, c’est le meilleur moyen que je connaisse pour faire goûter la mort à un homme comme vous. Je ne renouvellerai pas vos provisions, vous n’aurez pas plus d’eau qu’il y en a dans cette citerne. Vous pouvez donc calculer combien de temps vous pourrez résister et narguer la mort. Vous réfléchirez.

— À quoi ? interrompit Juve, d’une voix qui ne tremblait pas.

— À ceci : si vous voulez être libre, et je vous donne ma parole que vous le serez en ce cas, vous n’aurez qu’à glisser sous la porte une feuille de papier, après y avoir noté les renseignements que vous possédez certainement au sujet de la retraite de ma fille. Je ne viendrai plus vous voir. À partir d’aujourd’hui vous êtes retranché du monde des vivants. Vous êtes seul. Seul pour toujours. Seul jusqu’à votre agonie. Mais si vous faites le signal que je vous indique, ce papier me sera transmis et je viendrai moi-même vous rendre la liberté.