Fantômas attendit quelques instants une réponse de Juve, mais Juve ne répondit rien.
— Au revoir, Juve, fit le bandit.
— Adieu, Fantômas.
La porte de la cellule claqua. Les serrures jouèrent. Juve fut seul.
Or, à peine la porte était-elle fermée que Juve, qui jusqu’alors avait paru impassible, par un effort de volonté suprême, un de ces efforts dont seuls sont capables les hommes de folle énergie, devenait la proie d’un terrible abattement.
— Non seulement je suis condamné, se disait Juve, s’abattant sur sa paillasse, mais encore je suis condamné à mourir dans les affres de la faim et de la soif. Voilà, ce que je puis avoir à choisir.
Il compta ses provisions, vit qu’il disposait des vivres nécessaires pour quatre-vingt-dix jours à peu près.
— Très bien, décida Juve une fois ce compte fait, c’est donc quatre-vingt-dix jours qui me restent à vivre, le tout est de les vivre aussi confortablement que possible.
Décidé à lutter jusqu’au bout, il se mit en mesure de se libérer des menottes qui paralysaient ses mouvements. C’était pour lui chose relativement facile. Les menottes, en effet, unies entre elles par une assez longue chaîne, lui permettaient de se servir de ses mains. Il tira sa montre, la brisa d’un coup de pied, parvint à en extraire le grand ressort, s’en servit comme d’une scie, et, en quatre jours d’un travail acharné, parvint à limer la chaîne de ses menottes, à se délivrer de ce lien.
Déjà plus libre, Juve, satisfait de ce résultat, décidait par acquit de conscience, plutôt que dans l’espoir d’arriver à un réel résultat, d’examiner minutieusement les murs de sa prison.
— Je suis assurément enfermé, pensait-il, dans une chambre construite au sommet de l’une des tours du Château Noir. Or, cette chambre doit avoir une autre fenêtre que l’étroite ouverture que Fantômas a laissée subsister, par laquelle m’arrive l’air, et sur laquelle il a rabattu un volet de fer qui m’empêche de voir.
Le raisonnement de Juve était fondé. Sondant les murs à petits coups de doigt, opérant avec son habileté habituelle, Juve découvrit très vite que dans l’une des murailles de sa chambrette, une ouverture avait été récemment bouchée au plâtre. C’était pour lui un jeu, une occupation, que de gratter, d’essayer de démasquer l’ouverture qui avait été bouchée.
En moins de deux jours, Juve réussit, en effet, à creuser ainsi dans les parois de la muraille une sorte de trou de fenêtre, qu’il finit par ouvrir tout à fait d’un furieux coup de poing.
À peine, d’ailleurs, Juve avait-il réussi à défoncer les carreaux de plâtre qui avaient servi à obstruer la prise d’air qu’il venait d’ouvrir, qu’avec une angoisse bien compréhensible il se penchait par cette fenêtre.
Allait-il par hasard découvrir qu’elle donnait sur la campagne ?
Le hasard voudrait-il qu’il pût tenter par cette voie de rattraper sa liberté ?
Juve ne garda pas longtemps l’espoir. Chose curieuse, la lucarne qu’il venait d’ouvrir, à laquelle il se penchait, donnait sur une espèce de tour creuse, fermée de toute part, au milieu de laquelle pendait un long câble.
Il ne pouvait pas encore, étant donné l’étroite ouverture qu’il avait ménagée, se pencher suffisamment pour voir où aboutissait la courette sur laquelle donnait sa fenêtre et à quoi pouvait servir le câble qui y pendait. Il n’en travailla que plus fébrilement à agrandir le jour de souffrance. Il lui fallut moins de deux heures pour pouvoir se pencher librement et comprendre sur quoi donnait l’ouverture qu’il venait de ménager si audacieusement, si habilement aussi dans les murailles de sa prison.
Or, Juve n’eut besoin que de jeter un coup d’œil dans la courette pour comprendre à quoi elle servait. C’était la cage de l’ascenseur.
Le gros câble qui pendait en son milieu était le câble de celui-ci.
Mais ce n’est pas la découverte de cet appareil qui, bien entendu, était arrêté au bas de sa course, qui émouvait Juve. Non, ce qui lui arrachait un cri de terreur et d’angoisse, c’est qu’en se penchant, il venait d’apercevoir la plate-forme de l’ascenseur et que sur cette plate-forme il avait distingué le corps d’un homme étendu de tout son long, mort, ou endormi.
L’obscurité qui régnait à demi ne permettait pas à Juve de reconnaître le personnage qui semblait sommeiller. Un instant, le policier se demanda s’il devait l’appeler ou si au contraire il convenait de garder le silence.
— Si c’est un ennemi ? songeait Juve.
Le policier n’appela pas. Pour attirer l’attention du dormeur, il recourut à un moyen plus subtil : Juve prit un morceau de plâtre et le jeta dans la cage de l’appareil, visant le dormeur.
Juve manqua son coup deux fois, mais à son troisième essai, l’homme devait s’éveiller, car brusquement il sauta sur ses pieds.
— Qui va là ? cria-t-il.
— Qui êtes-vous ? répondit Juve.
— Si c’est vous, Fantômas, riposta la voix, je vous en supplie, tuez-moi tout de suite, par pitié.
— Hé, ce n’est pas Fantômas, hurla Juve, c’est moi, c’est moi Juve ! Qui êtes-vous ?
Un nom monta vers lui, un nom qu’il s’attendait presque à entendre :
— Vous, Juve ? Ah, mon Dieu. Je suis donc sauvé ! C’est Backefelder qui vous parle.
Hélas, Backefelder n’était point sauvé. Doucement, avec des mots qu’il choisissait avec un soin extrême, Juve confia au pauvre milliardaire le détail de ses propres aventures.
— Si vous êtes prisonnier, expliqua-t-il, je le suis, moi aussi.
Juve, pourtant, une heure après et alors que Backefelder lui eut conté comment Fantômas s’était emparé de lui et lui avait coupé les deux oreilles afin de les envoyer respectivement à Juve et à Fandor et tenter ainsi d’effrayer les deux amis, apprit au policier d’étranges détails.
— Mon pauvre Juve, disait Backefelder, si vous êtes prisonnier dans une chambre étroite et sans issue, mon sort ne vaut guère mieux. Fantômas m’a fait monter sur cet ascenseur par une étroite fenêtre qui se trouve à ce que je crois, à deux mètres en-dessous du point où l’appareil s’est immobilisé. Tant que Fantômas a été avec moi, l’ascenseur chargé de notre double poids est resté à la hauteur de la fenêtre, mais quand Fantômas m’a eu quitté, après m’avoir annoncé qu’il me condamnait à mourir de faim dès que j’aurais épuisé les maigres provisions qu’il me laissait, l’ascenseur, délesté de son poids, est monté plus haut que la fenêtre et a fini par s’arrêter au point où vous le voyez. Je sais que la liberté est tout près de moi, à deux mètres, qu’il suffirait que je fisse baisser cet ascenseur de deux mètres pour être de niveau avec la fenêtre, mais cela m’est impossible, je n’ai rien qui me permette de surcharger l’ascenseur.
Or, Backefelder n’avait pas fini de parler, que Juve se frottait les mains.
— Mordieu ! mon bon ami, criait-il, mais alors vous êtes libre, vous êtes absolument libre.
Et comme Backefelder le contemplait avec une incompréhension totale, Juve se hâta d’ajouter :
— Mais parbleu, oui, rien n’est plus simple ! Voyons Backefelder, réfléchissez, je m’en vais vous tirer d’affaire en moins de rien.
— Me tirer d’affaire ? Où est le poids ?
— Enfant, ripostait Juve, mais il y a moi.
— Il y a vous ?
— Écoutez. Mon cher Backefelder, si j’ai un peu de chance et un peu de bonheur, voici ce qui va se passer. Je m’en vais m’accroupir sur le bord de ma fenêtre et m’élancer dans le vide. Oh, n’ayez pas peur, je m’en vais tâcher de saisir le câble de votre ascenseur au passage. Je suis à peu près du même poids que Fantômas, je le sais, je l’ai pesé jadis, et, par conséquent, de deux choses l’une : ou je manque le câble, je dégringole à côté de vous, je me tue, mais le poids de mon corps fait descendre l’ascenseur au niveau de la fenêtre, ou bien j’attrape le câble et, à peine y suis-je suspendu, que l’appareil descend au niveau de la fenêtre et vous permet de vous enfuir.