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Et immédiatement, il se mit à interroger Backefelder.

— Ah çà, mon gaillard, déclara-t-il d’un air suprêmement méprisant, c’est vous qui vous amusez à faire le fantôme ? C’est vous qui assassinez les gens en sortant du cimetière ? Bon. Votre affaire est claire. D’abord, pourquoi n’avez-vous pas d’oreilles ?

Cette remarque suscita un nouveau tollé, de nouveaux hurlements dans le poste.

— Il n’a pas d’oreilles ! criaient les agents. Ah si c’est pas honteux !

— Il n’a pas d’oreilles, déclara un vague journaliste entré dans la salle de garde à la faveur du tumulte. Parbleu, voilà bien la preuve que c’est lui le fantôme.

Le jeune homme qui venait de parler eût peut-être été très embarrassé d’expliquer pourquoi le fait de n’avoir point d’oreilles prouvait que Backefelder était un spectre, mais la remarque, si stupide fut-elle, plaisait aux braves gardiens de la paix. Nulle voix ne s’élevait pour défendre Backefelder. L’Américain, pourtant, avait repris haleine et commençait à se remettre :

— Mais, nom d’un chien, cria-t-il à son tour, sortant brusquement de son mutisme, je n’ai pas d’oreilles parce que ça me plaît, et ça ne regarde personne. D’abord je ne suis pas un fantôme. Je suis un innocent. Je n’ai rien fait. Et quand vous m’avez arrêté, je me rendais à la Préfecture de Police pour donner des renseignements. Pour sauver l’inspecteur Juve, qui se trouve en grand danger.

— Alors, pourquoi vous êtes-vous sauvé ?

— Parce que j’ai eu peur, comme les autres, du fantôme du pont Caulaincourt.

Une explication confuse d’abord, plus précise ensuite, compléta la défense de Backefelder. Le malheureux milliardaire expliquait en détail comment il s’était évadé du Château Noir, grâce à l’aide de Juve, comment il était rentré à Paris, comment encore il avait cherché Fantômas qu’il croyait à Paris, d’après les indications de la Recuerda, comment, ne l’ayant pas trouvé, au moment même où on l’arrêtait, lui, Backefelder, sur le pont Caulaincourt, il décidait pour en finir, de se rendre à la Préfecture.

Backefelder, pour mieux convaincre les agents, tira de sa poche toute une série de documents, de pièces d’identité, se démena si bien qu’en fin de compte, perplexe, le brigadier du poste de police, à demi convaincu par ses dires, s’offrit à l’accompagner à la Préfecture de Police.

— Si Juve est en danger, déclara gravement le brigadier, il faut aller tout de suite à son secours.

***

Deux heures plus tard, en effet, Backefelder, après avoir longuement entretenu M. Havard, montait dans une superbe automobile en compagnie de Léon et de Michel, à destination de Chevreuse.

— Sauvez Juve, avait dit M. Havard.

— Soyez tranquille, chef, on le sauvera.

La petite expédition de secours, confiée par M. Havard à Backefelder, qui devait servir de guide, et à Michel, qui devait prendre l’initiative des opérations, comportait encore six agents. On allait en force au Château Noir et certes, il semblait bien, dès lors, que Juve allait être sauvé.

Or, comme au petit matin l’automobile stoppait devant la mystérieuse propriété, Backefelder multipliait les précautions. Il exigeait impérieusement, instruit de la nécessité des choses par l’aventure de Juve, que lui-même et les six agents s’attachassent entre eux, au moyen d’une longue corde, à l’exemple des alpinistes.

— Il y a des pièges partout, criait-il, il ne faut pas que l’un de nous tombe. Il faut que nous puissions passer et passer vite. Je crois qu’une fois à l’intérieur du château, nous ne courrons pas grand risque, tandis que tant que nous serons dans le parc, nous risquons de tomber dans un précipice.

On avança en silence. Avec précaution. Mais le plus rapidement possible. Il y eut des chutes nombreuses dans les trappes multipliées tout autour du Château Noir pour en défendre l’approche, mais grâce à la corde de Backefelder, sans conséquence.

— Attention, dit Michel, alors que tous arrivaient sur le perron du Château Noir. Maintenant, il convient de nous détacher et de monter le plus vite possible jusqu’à la chambre qui a servi de prison à Juve. De là, nous pourrons le sortir de la cage de l’ascenseur et alors, alors seulement, nous nous occuperons de Fantômas.

Ce n’était pas mal raisonné, et cependant la manœuvre ne devait donner aucun résultat. À peine les policiers avaient-ils, en effet, escaladé l’escalier de marbre qui conduisait en haut de la tour, sous la conduite de Backefelder, à peine étaient-ils entrés dans la chambrette où Juve avait pensé mourir, que Backefelder, comme un furieux, sautait à l’ouverture creusée par Juve, s’y penchait, criant de toute son âme :

— Voilà du secours. On arrive !

Mais, en même temps, Backefelder se rejetait en arrière, terrifié, en balbutiant :

— Juve n’est plus là.

Et c’était, hélas, la sinistre vérité. Sur le plateau de l’ascenseur, il n’y avait plus personne, Juve ne se trouvait plus dans la prison où Backefelder l’avait laissé.

— Fouillons le château ! hurla Michel, si Juve n’est plus là, c’est qu’on l’a emporté ailleurs ! Que diable, il faudra bien que nous le découvrions, là où il est.

***

Deux jours auparavant, Backefelder s’était à peine enfui du Château Noir, grâce au dévouement de Juve, que celui-ci, demeuré sur le plateau de l’ascenseur, avait comme à son ordinaire réfléchi le plus sereinement du monde.

— Voyons, s’était dit le policier, quelques instants après être descendu le long du câble de l’ascenseur au moyen d’une périlleuse glissade, voyons, ai-je amélioré ma situation, ou l’ai-je empirée ? Vais-je mourir un peu plus vite, ou un peu plus lentement ?

Juve, à cet instant, pensait bien que Backefelder s’occuperait de rassembler des secours et de venir le tirer de sa fâcheuse situation. Mais Juve, en même temps, songeait que Backefelder, n’était peut-être pas très habile, qu’il pouvait fort bien retomber sous la main de Fantômas, qu’en tout cas, l’arrivée des secours demanderait un certain temps et que le mieux était encore pour lui de tâcher de se tirer d’affaire tout seul.

Juve examina la nouvelle prison dans laquelle il venait de descendre :

— Fâcheux local.

Au-dessus de lui, la cage de l’ascenseur se dressait, haute, étroite, sans fenêtre, sans jour d’aucune sorte. Juve n’y voyait qu’une ouverture, celle qu’il avait creusée dans le mur et qui communiquait avec la chambre où, le matin encore, il était prisonnier.

— S’en aller par en haut, songeait Juve, c’est rigoureusement impossible. Rien à tenter de ce côté-là.

Il n’apparaissait pas qu’il pût être beaucoup plus aisé de s’en aller par en bas.

— Maudit ascenseur, gronda Juve, si seulement je pouvais le faire baisser de deux ou trois mètres, j’arriverais au niveau de la fenêtre et je ficherais le camp, tout comme Backefelder.

Mais, précisément, c’était là chose impossible. En s’accrochant aux câbles, alors que Backefelder était sur la plate-forme, Juve avait obtenu que l’ascenseur descendît. Maintenant que Backefelder était parti, automatiquement l’appareil avait remonté. Rien ne pouvait plus le faire descendre.

— Pas commode, le problème, constatait Juve, et, d’autre part, si jamais Fantômas vient me visiter dans ma prison là-haut, comme il apercevra le trou creusé dans le mur, je peux être certain qu’il s’y penchera, qu’il m’apercevra et qu’il terminera mes aventures d’un fâcheux coup de revolver.

Quand Juve, soudain, eut une inspiration :

— Mais, je suis le dernier des imbéciles ! s’écria-t-il, je n’ai qu’à…

Sans plus attendre, il empoigna le câble qui soutenait l’ascenseur, et, lestement, sans s’occuper des écorchures qui lui meurtrissaient douloureusement les mains, il se hissait vers la chambre qu’il avait occupée précédemment. Si Juve avait pu, de l’ouverture creusée dans le mur, sauter sur le câble, il lui était, en revanche, absolument impossible de sauter du câble à cette ouverture. Il ne pouvait pas prendre d’élan, il n’aurait rien trouvé à quoi s’agripper.