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— Dites donc, reprenait Fandor, qui êtes-vous ? et de quel pays ? Je suis français, moi.

— Je suis auvergnat, fouchtra !

L’homme avait répondu avec une tranquillité parfaite. Il s’interrompit pour puiser encore une copieuse rasade à sa bouteille.

Son calme, toutefois, semblait s’accompagner d’une certaine gaieté.

— Ah vous êtes auvergnat, mais pourquoi diable riez-vous ainsi ? Je suppose que ce n’est pas la vue de ce palais qui vous semble rigolote ? Vous y êtes employé, peut-être bien ?

— Non.

L’Auvergnat avait répondu d’un ton sec et décisif. Or, à la minute, Fandor bondissait en arrière.

— Mais qui êtes-vous ?

Et la voix de Fandor, en prononçant cette question, tremblait.

L’Auvergnat se releva.

Mais, au moment où il se redressait, Fandor s’apercevait qu’il tenait quelque chose de brillant à la main. Et, à l’instant, le jeune homme lui aussi, fouillait dans sa poche fébrilement :

— Bas les masques, cria Fandor, qui êtes-vous ?

— Pourquoi me le demandez-vous ? vous m’avez reconnu.

Fandor tira son revolver.

— Fantômas ! hurla-t-il.

Mais le bandit, car c’était bien lui, secouait lentement la tête :

— Fantômas ? disait-il, peut-être, Jérôme Fandor, mais c’est avant tout le père d’Hélène qui vous parle. Vous savez où est ma fille ?

— Non, je ne le sais pas.

Fantômas, pourtant, avait arraché sa perruque, arraché ses faux sourcils, arraché sa barbe. C’était son visage glabre, énergique, volontaire que Fandor contemplait. Le bandit paraissait au comble de la colère. Son regard se fixa sur celui de Fandor :

— Vous mentez, Jérôme Fandor ! Si vous êtes ici à l’Escurial, c’est que vous savez où est Hélène.

— Vous vous trompez, je cherche votre fille, mais je ne sais pas où elle est.

Un silence pesa entre les deux hommes. Jérôme Fandor tenait à la main son revolver, prêt à faire feu. Fantômas, lui aussi, était armé.

Fantômas reprit d’une voix plus douce :

— Jérôme Fandor, voulez-vous que nous cherchions ensemble Hélène ?

Fandor, à cet instant, oublia toute mesure, tant la colère et la haine l’aveuglaient. Il oublia même son meilleur ami. Il ne songea plus aux dangers que courait Juve. Il ne pensa pas, devant le tortionnaire, à prendre aucun ménagement, aucune précaution, il hurla :

— Fantômas, je vous somme de vous rendre ! Il y a dix ans que nous vous poursuivons, et aujourd’hui, je n’hésiterai pas !

Fandor avait levé le bras. Mais il ne pressait pas sur la détente. Même devant cet ennemi mortel, même devant Fantômas, Fandor ne pouvait se décider à faire le geste qui tue.

D’ailleurs, il n’était plus temps d’hésiter. Aussi vif que lui, Fantômas avait aussi braqué son arme.

— Allons, Jérôme Fandor, gouaillait le bandit, vous n’y songez pas : me rendre, moi ? Pourquoi ? Que je voie votre doigt bouger sur la détente et je fais feu. Vous me tuerez peut-être, mais je vous tuerai aussi.

Fantômas ne mentait point. Se menaçant tous les deux de leurs revolvers, lui et Fandor feraient feu ensemble. C’était ensemble sans doute, si ce duel tragique avait lieu, qu’ils se tueraient l’un et l’autre.

Entre eux, à quelques pas de Fantômas, comme à quelques pas de Fandor, quelque chose de brillant, qui reluisait aux derniers rayons de soleil, tomba sur le sol, probablement jeté de l’une des fenêtres du Palais.

Les deux hommes tressaillirent.

— Mon Dieu, qu’est-ce que c’est ? cria Fandor.

Mais, en même temps, Fantômas s’était précipité. il ne faisait plus attention, semblait-il à Fandor ému, tremblant. Il s’agenouilla. Il ramassa l’objet qui venait de tomber :

— Un bracelet, hurla Fantômas, c’est un bracelet, le bracelet d’Hélène !

Il allait continuer à parler, lorsque l’objet, le bracelet d’or qu’il venait de ramasser, lui échappa brusquement des mains. Fantômas n’avait pas vu qu’il était attaché à un fil.

Fandor et Fantômas n’étaient point encore revenus de leur stupéfaction : le mince anneau d’or montait lentement le long de la muraille sombre de l’Escurial, qu’ils devaient se séparer.

— Señores, vous êtes priés de vous en aller. Il n’est pas permis de stationner ici.

Ni l’un ni l’autre n’avait fait attention à une patrouille brusquement survenue. Des gardes civils les contraignirent à s’éloigner. Fantômas s’en alla, rayonnant. Fandor dégringola la colline, oubliant qu’il venait de rencontrer l’épouvantable bandit, murmurant seulement tout bas :

— C’était le bracelet d’Hélène, c’était un signal. Hélène est prisonnière à l’Escurial.

***

Après avoir ligoté le malheureux garde civil qu’elle avait si habilement dupé, et l’avoir jeté dans l’une des caves du Palais, la Recuerda s’était engagée dans l’un des escaliers qui conduisaient aux étages de l’Escurial.

La jeune femme paraissait s’orienter avec une extraordinaire facilité dans l’immense monument. Elle suivait de longs corridors, traversait des galeries, puis, appuyant sur une pierre, démasquait une porte secrète. Quelques instants plus tard, la Recuerda était dans les appartements de l’infant don Eugenio et pouvait se convaincre que celui-ci n’habitait pas l’Escurial pour le moment.

— Ce n’est pas de chance, murmura la Recuerda. Avoir risqué ce que j’ai risqué pour rencontrer don Eugenio et ne pas le trouver… Bah, il n’empêche. Les autres ne le savent pas, ils viendront.

De qui parlait la Recuerda ?

La jeune femme visita minutieusement les somptueux appartements réservés à l’infant. Elle tressaillit, émue, en découvrant une chambre meublée comme une chambre de jeune fille. Elle s’occupait à passer en revue les pièces de l’appartement où elle se trouvait, demeurant de longues minutes dans chacune d’elles, bouleversée. Dans la chambre de jeune fille, où elle pénétrait en dernier lieu, la Recuerda ouvrait un écrin qui traînait sur la cheminée. La pièce était en désordre, d’ailleurs, et paraissait avoir été quittée précipitamment peu de temps auparavant.

— C’est extraordinaire, murmurait la Recuerda.

De l’écrin, elle tira un bracelet d’or qu’elle examina, étonnée, qu’elle finit par se passer au bras. Quelques instants plus tard, la Recuerda devait être sortie de l’appartement de don Eugenio, car tout y était calme, tout y était silencieux, nul bruit ne s’y entendait plus.

La Recuerda cependant n’était pas loin. Elle avait gagné une sorte de logette comme il en est dans toutes les demeures espagnoles, formant un véritable petit oratoire, logette blanchie à la chaux, à ciel ouvert, à fenêtres grillées et d’où l’on dominait la campagne environnante. Or, la Recuerda, de cette logette, aperçut Fandor.

Elle ne pouvait, d’où elle était, reconnaître évidemment Fantômas lorsqu’il se dressa en face du jeune homme, le revolver à la main, mais en revanche elle ne se trompait pas à l’attitude des deux combattants.

— Ils vont se tuer, murmura la Recuerda. Miséricorde, il ne faut pas que cela soit.

Ce bracelet qui avait fait croire à Fantômas et à Fandor qu’Hélène était prisonnière à l’Escurial, c’était la Recuerda qui l’avait lancé entre les deux combattants, et attaché à un fil, pour leur donner le change.

***

À onze heures du soir, alors que le palais semblait plongé dans un profond sommeil, la Recuerda, restée dans la logette d’où elle avait si opportunément jeté un bracelet, demeurait l’œil collé à la serrure, frémissante, angoissée au plus haut point.

Que voyait donc la Recuerda ?

Elle était le témoin d’un spectacle étrange.

Vers dix heures et demie, un homme avait mystérieusement pénétré dans la chambre de don Eugenio, voisine de la logette. Cet homme s’éclairait d’une lanterne sourde et paraissait prendre grand-garde à ne point faire le moindre bruit. Il hésita quelques instants, semblait-il, puis il prit une résolution, cela se devinait à ses mouvements rapides. L’inconnu, que la Recuerda cherchait vainement à reconnaître, car son visage était dans l’ombre, fouilla les meubles, parcourut l’appartement, revint enfin, portant un habit de cour qu’il se mit en devoir d’endosser.