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Or, tandis qu’elle guettait à la porte de la chambre de don Eugenio, la Recuerda entendit des bruits de pas dans une chambre voisine.

— Que la Madone me sauve, songeait la Recuerda.

Elle était blême, affolée. L’œil collé à la serrure, en effet, la Recuerda avait nettement distingué la qualité de l’arrivant : c’était un garde civil, elle ne voyait point son visage, mais aux parements de sa manche, elle apercevait son matricule.

— Miséricorde, songeait encore la malheureuse jeune femme, un garde civil ! De plus, c’est le garde civil que j’ai ligoté, c’est Pedro !

Un instant, la Recuerda songea alors, pensant que les minutes étaient précieuses, qu’il fallait à tout prix décider quelque chose.

La logette dans laquelle elle s’était cachée n’avait d’autre issue que les deux chambres. Dans l’une, elle voyait toujours l’homme occupé à se vêtir d’habits de cour, dans l’autre, le garde civil approchait.

— Bah, se dit soudain la Recuerda, Pedro m’aime. Je trouverai moyen de lui conter une histoire.

Dès lors, elle n’hésita plus. Elle ouvrit brusquement la porte à laquelle elle s’appuyait. Elle se jeta au-devant du garde civil. Mais à peine avait-elle surgi dans la pièce, à peine le garde civil, surpris, eut-il braqué son revolver, que la Recuerda s’immobilisait, anéantie par la surprise, cependant que, de son côté, le garde civil paraissait parfaitement ahuri :

— Vous, la Recuerda ?

— Vous, Fandor ?

Et une explication confuse, suivit. Il conta en deux mots comment, par un soupirail, il avait pu se glisser dans les caves de l’Escurial, où il voulait pénétrer pour chercher Hélène, comment, dans ces caves, il avait découvert un garde civil à demi-mort qui lui avait fait l’effet d’un dément.

— J’ai laissé le bonhomme attaché, disait Fandor, mais je lui ai volé ses habits, pensant que cela m’aiderait à passer inaperçu dans ce palais qui, en ce moment, d’après ce que j’ai pu comprendre, est complètement désert. Don Eugenio n’est pas là. Le garde civil me l’a juré. Mais Hélène doit y être. Elle m’a jeté un bracelet.

La Recuerda éclata de rire :

— Hélène n’est pas là, dit-elle lentement, c’est moi qui vous ai jeté le bracelet. Quant à don Eugenio vous vous trompez. Il est tout à côté de nous, dans l’autre chambre, et…

Mais la Recuerda s’interrompit. En causant avec Fandor, elle avait oublié, emportée par sa nature véhémente, de parler bas. Au bruit que les deux interlocuteurs avait fait, l’homme qui s’habillait dans la pièce voisine surgit :

— Qui va là ? demanda-t-il.

Il tenait un revolver à la main, il semblait menaçant et farouche, et, à son apparition, la Recuerda et Fandor contemplant enfin son visage en pleine lumière, poussèrent un même cri :

— Fantômas !

C’était en effet Fantômas qui sortait de la chambre de l’infant. Si Fandor était parvenu à se glisser à l’intérieur de l’Escurial pour y chercher Hélène, qu’il croyait enfermée, depuis l’incident du bracelet, Fantômas, de son côté, avait réussi à gagner les appartements de don Eugenio. Et, tandis que Fandor se déguisait en garde civil pour ne point attirer l’attention, Fantômas, de son côté, n’hésitait pas à s’habiller en infant afin de tenter l’un de ces coups d’audace dont il était coutumier.

À peine la Recuerda eut-elle hurlé le nom de Fantômas qu’elle tirait de son sein un poignard effilé et se précipitait vers le Génie du Crime.

— Fantômas, hurlait la Recuerda, c’est toi que j’étais venu chercher ici ! Ah, tu pensais y trouver ta fille, et c’est la Mort qui t’attend ! Allons, je vais venger Backefelder, je vais venger mon amant !

Elle s’était si brusquement jetée sur le bandit que Fantômas, n’avait pas eu le temps de se mettre en garde.

La Recuerda leva son poignard, inexorable. Elle allait frapper. Or, Fandor, si stupéfait qu’il fût, avait déjà retrouvé son sang-froid. Un meurtre allait se commettre sous ses yeux. Il ne pensa même pas que c’était Fantômas qui allait en être victime. C’est sans réfléchir, qu’il se précipita en avant, se saisit de la Recuerda, la força à reculer, lui tordant la main, lui arrachant son poignard.

Mais Fandor allait être mal récompensé de son action généreuse. Fantômas, lui aussi, s’était ressaisi. Délivré de la Recuerda en une seconde, il retrouvait son habituelle présence d’esprit.

— Jérôme Fandor, hurla-t-il, avec une ironie terrible, vous m’avez sauvé la vie et je vous en remercie.

Il avait bondi en arrière. La lumière électrique s’éteignit et Fandor, une chaise reçue en pleine poitrine, s’écroula. Des bruits de pas retentissaient. Fandor se relevait à peine que la lumière soudain se ralluma.

Fandor n’était plus seul dans la pièce avec Fantômas et la Recuerda. Autour de lui, devant lui, se trouvaient maintenant une dizaine de gardes civils. La Recuerda avait disparu. Fantômas, vêtu de ses habits de cour, calme et digne comme un véritable infant, déclarait en pur castillan et d’une voix qui ne tremblait pas :

— Holà gardes, emparez-vous de cet homme, je vous ai appelés au secours, car il était là pour m’assassiner.

Fandor n’était pas encore revenu de sa stupéfaction que les gardes l’emmenaient.

18 – MYSTÈRE AU PONT CAULAINCOURT

— Les tramways sont en panne. Les tramways sont en panne.

Le petit chasseur de la Brasserie Walter, place Clichy, venait de pénétrer dans l’établissement à une allure de boulet de canon. Le gosse, habillé de rouge, semblait affolé. M. Walter, le patron, courut à lui, le saisit par le bras :

— Eh bien, quoi, petit imbécile, grommela-t-il, qu’est-ce qui te prend ? Je vais te fiche à la porte. En voilà des histoires. Qu’est-ce que ça peut bien te faire qu’ils soient en panne, les tramways ?

Mais le gamin jeta un regard terrifié vers son patron :

— Ce sont les tramways d’Enghien, s’écria-t-il.

— Et alors ? fit M. Walter qui ne comprenait pas.

— Il y en a un d’arrêté sur le pont Caulaincourt.

Un bourdonnement s’était élevé dans la salle. Encore le pont Caulaincourt, quelle émotion ! La caissière s’agitait derrière son comptoir, appelait les maîtres d’hôtel, stimulait les garçons :

— Méfiance, leur disait-elle, avec tout ce remue-ménage il y a des gens qui vont s’en aller sans régler.

Descendant des hauteurs de la rue Caulaincourt, une cinquantaine de personnes arrivaient en courant et se mêlaient à la foule qui circulait place Clichy. Que se passait-il donc ?

Le boulevard de Clichy était d’ailleurs encombré par une demi-douzaine de ces véhicules qui assurent le service entre Enghien et la place de la Trinité. Le courant manquait. La lumière s’était éteinte, mais alors que la clientèle, habituée à ces sortes d’arrêts, demeurait à l’ordinaire paisible et patiente, ce jour-là, des gens s’étaient avancés hors de la voiture, comme gagnées par une inquiétude qui semblait leur être transmise par les voyageurs de la voiture précédente qui se trouvait arrêtée sur le pont Caulaincourt.

La panique était née du fait que le courant, cessant brusquement sur la ligne, un des tramways s’était immobilisé net au milieu du pont. Ah, ça n’avait pas été long ! En dépit des objurgations du conducteur, tout le monde était descendu, on avait fui au galop, en direction de la place Clichy.

Et soudain, cris joyeux. L’électricité s’était rallumée.

Le calme était revenu également dans la vaste salle de la Brasserie Walteroù les consommateurs continuaient, les uns à vider leur bock, les autres à souper.

On ne parlait que du Pont Caulaincourt et de ses fantômes. Deux messieurs causaient à l’entrée de la salle de billard. Un monsieur d’un certain âge déjà, à l’apparence cossue, aux allures communes, et un homme jeune, élégant, bien bâti, racé. Cependant que ce dernier observait curieusement son interlocuteur et ne prononçait que de vagues monosyllabes, le vieux monsieur, fort bavard, paraissait tout heureux de trouver quelqu’un à qui causer. Et il plaisantait sur les mystères, il racontait des histoires invraisemblables qui avaient toutes plus ou moins trait aux événements bizarres et dramatiques qui, depuis quelque temps survenaient aux abords du pont Caulaincourt et préoccupaient tout Paris.