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Or, le magistrat qui avait pris la suite du défunt n’était autre que M. Fuselier, juge habile et documenté, qui, à maintes reprises, avait eu à intervenir dans des procès, dans des enquêtes auxquelles Juve était mêlé, et non pas Juve tout seul, mais encore et aussi Fandor, enfin et surtout, Fantômas.

— Non, mon cher monsieur Fuselier, j’avoue que les mystères se multiplient autour de nous. Ils sont tragiques. Et ils restent incompréhensibles. Je n’y comprends rien.

— Hélas, fit Fuselier, c’est à peu près comme moi. Ce pauvre Mourier a laissé des affaires embrouillées, dossiers mal tenus, enquêtes en désordre. Il était de la vieille école et ne procédait point dans ses instructions avec la méticuleuse méthode de la jeune génération.

« Écoutez, reprit Fuselier, vous êtes, mon cher ami, le seul inspecteur de la Sûreté en qui j’aie confiance et sur lequel je puisse compter. Nous avons, non seulement des relations l’un et l’autre qui remontent à pas mal d’années, mais encore une intimité, une camaraderie, qui me permettent, m’adressant à vous, de solliciter bien plus le concours d’un ami que l’appui d’un collaborateur.

— Exact. Mais où voulez-vous en venir ?

— À ceci, fit Fuselier : la Sûreté générale, les inspecteurs ordinaires, M. Havard lui-même, sont des gens que je tiens pour parfaitement incapables de nous sortir de cet imbroglio. Il faut que nous marchions ensemble Juve. Vous allez avec moi vous occuper de toutes les instructions dont je suis chargé. L’affaire de la Maison d’Or, vous savez bien ce vol à l’esbroufe [12] qui a été commis avec une audace sans pareille. L’histoire également de ce malheureux homme auquel on a coupé les oreilles, victime encore de Fantômas, assurément. Enfin, Juve, il faut tirer au clair la séquestration dont vous avez été victime et aussi il est indispensable que nous venions à bout de cette ahurissante affaire du spectre de la rue Caulaincourt, qui non seulement terrifie, assassine, mais vole encore !

— Hélas, murmura Juve, je ne puis vous promettre mon concours pour le moment. Il est une chose qui prime tout pour moi, c’est Fandor. Où est-il ? Qu’est-il devenu ? Où pourrais-je le retrouver ? Là pour moi est le principal problème et j’éprouve à son égard de telles appréhensions que je me sens incapable de m’occuper d’autre chose.

— Je vous en prie, Juve, cela ne vous empêcherait pas de rechercher Fandor, tout en enquêtant pour mon compte.

Le magistrat s’arrêta, on venait de frapper à sa porte :

— Qu’est-ce que c’est ?

Un jeune attaché du Parquet se présenta :

— Monsieur le juge, fit-il, c’est de la part du procureur général. Une plainte qu’on vient de lui adresser et qui peut avoir un intérêt pour les affaires que vous instruisez.

L’attaché du Parquet se retira après avoir remis une lettre au magistrat. Celui-ci la lut rapidement, puis la déposa sur un coin de son bureau.

— Est-il indiscret de vous demander… ?

— Mais non, fit Fuselier, seulement la chose n’a qu’une importance médiocre, c’est l’infant d’Espagne, don Eugenio qui se plaint qu’on lui a volé sa voiture. Je me demande quel rapport cela peut avoir avec les affaires dont je suis chargé. Mon cabinet n’est pas le bureau des objets perdus.

Mais Juve qui s’était penché par-dessus l’épaule du magistrat pour lire le document qu’il avait reçu poussa une exclamation :

— Mais sa voiture, c’est le n° 67.921.

— Peut-être. C’est bien cela, en effet.

— Mais savez-vous, monsieur Fuselier, que c’est la voiture retrouvée cette nuit au pont Caulaincourt ? La voiture dans lequel était ce nommé Person, l’entrepreneur de maçonnerie qui, après avoir raconté à un inconnu trouvé au café qu’il avait vingt mille francs sur lui, a été dépouillé.

Juve mit son chapeau, prit congé :

— Eh bien, déclara-t-il, en s’en allant, je change d’avis. Fuselier, comptez sur moi pour m’occuper de toutes ces affaires.

Puis le policier, à toute allure, descendit l’escalier de l’instruction, quitta le Palais de Justice, sauta dans un taxi-auto.

***

— J’ai de la chance, murmurait Juve.

Et le policier, sans s’asseoir, comme l’avait invité à le faire un vieux domestique en livrée, allait et venait dans un salon richement meublé, mais dont les meubles couverts de housses pour la plupart tendaient à prouver que la pièce était rarement habitée.

Juve, en quittant Fuselier, s’était fait conduire directement rue Erlanger. Il n’espérait guère rencontrer l’infant d’Espagne, mais avait eu la chance d’apprendre que Son Altesse Royale ne demandait pas mieux que de le recevoir.

Quelques instants plus tard, don Eugenio rejoignait le policier :

— Monseigneur, déclara Juve, en s’inclinant respectueusement, je vous suis adressé par la Préfecture de Police au sujet de la plainte que vous avez portée. On vous a volé votre voiture automobile ?

— En effet, monsieur, répliqua l’infant, qui raconta en détail à Juve les conditions dans lesquelles la porte de sa remise avait été fracturée, puis comment la voiture avait disparu.

Et Juve, à son tour, dit à l’infant d’Espagne les incidents survenus la veille au soir.

Or, tandis qu’il parlait, l’infant était très pâle. Il se troubla tout à fait, lorsque Juve lui déclara :

— Ce qu’il y a de curieux, monseigneur, c’est que, à quelques exceptions près, les manifestations de ce fantôme extraordinaire se produisent toujours dans le voisinage immédiat du caveau de la famille de Gandia. Pourriez-vous en conclure quelque chose ?

— Non, balbutia l’infant.

Juve, après une minute d’hésitation, interrogea encore :

— Permettez-moi, monseigneur, puisque j’ai l’honneur de vous rencontrer, de vous demander de préciser certains détails de votre existence.

— Parlez.

— Voilà, fit Juve. On s’est étonné, à Paris de l’existence de M lle Mercédès de Gandia, existence que l’on a connue surtout le jour de son décès.

— Ma nièce, observa l’infant, vivait très retirée. Son père était mort, il y a de cela six mois à peine, et ni l’un ni l’autre n’avaient jusqu’alors habité Paris, c’est pour cela que Mercédès était peu connue de mon entourage parisien.

Juve poursuivit :

— Permettez-moi, monseigneur, une question plus délicate. Vous êtes célibataire, n’est-il pas vrai ?

— Oui, monsieur.

— Dès lors, monseigneur, comme tout célibataire j’imagine que vous avez des relations féminines. Des aventures galantes, parfois, et des personnes un peu de tous les mondes ?

L’infant rougit, esquissa un sourire.

— Mon Dieu, monsieur, évidemment, mais je ne comprends pas ?

— Est-il vrai, monseigneur, qu’il y a deux mois environ, vous avez cherché à enlever, étant à Biarritz, une femme, une femme mariée, connue sous le nom de Delphine Fargeaux ?

L’infant baissa la tête. Fort gêné, mais sincère, il se mit en mesure de répondre :

— Vous êtes bien renseigné, monsieur. Il y a beaucoup de vrai. Tout au moins dans les intentions. Mais l’affaire n’a pas eu de suite. L’enlèvement ne s’est pas effectué.

— Je le sais, fit Juve, mais n’avez-vous pas essayé d’enlever en son lieu et place une autre personne ?

— Non, monsieur. Si on a fait courir le bruit que j’avais enlevé une autre femme, c’est là une accusation fausse.

— Je n’insiste pas, déclara Juve, qui s’inclina.

De son côté, l’infant n’insista pas pour retenir le policier et le reconduisit avec empressement. Sur le seuil de la porte, Juve, cependant, s’arrêta :

— Permettez-moi, fit-il, encore une question.

— Parlez, monsieur.

— Par le fait du décès de M lle Mercédès de Gandia, vous héritez, n’est-il pas vrai, de son immense fortune ?

L’infant d’Espagne eut un sursaut. Il toisa le policier.

— Monsieur, pourquoi cette question ?

— C’est un simple renseignement, monseigneur, que je sollicite de votre obligeance.

— Dans ce cas, fit-il, je veux bien vous répondre. Il est exact, en effet, que j’hérite de ma nièce.

Juve s’inclina :

— Merci, monseigneur.

 Cette fois, il s’en alla pour de bon. L’Altesse royale le reconduisit jusqu’à l’entrée du jardin.

— Adieu, monsieur, déclara don Eugenio, qui semblait fort satisfait de voir enfin se terminer cet entretien.

— Au revoir, monseigneur. Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir.