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La situation de Fandor était terrible en effet. L’Espagne, pieusement, respecte encore des coutumes qui paraissent monstrueuses ailleurs. Fandor, se souvenait parfaitement avoir lu quelque part, qu’il existait en effet à l’Escurial une jurisprudence spéciale et il frémissait en songeant qu’il était aux mains des farouches religieux.

— Ces sacrés Espagnols, songeait Fandor, vous ont encore des âmes du treizième siècle. Ah, je suis frais.

Que pouvait-il faire, d’ailleurs ? Rien. Jérôme Fandor avait la terrible impression d’être enseveli vivant. L’Escurial gigantesque, énorme, pesait sur lui de tout son poids.

— Je suis perdu, je suis enterré dans cette machine-là. Tout de même, je rouspéterai tant que je pourrai et il faudra bien que les juges m’entendent.

Mais, très vite, Fandor devait perdre tout espoir. Les jours se traînaient, en effet, sans apporter aucun changement à sa situation. Il recevait régulièrement, à minuit, la visite d’un moine qui l’invitait au repentir et à la confession, mais qui se refusait à l’entretenir de son procès. À six heures du matin, on venait le chercher pour assister à un office religieux. Mais comme le premier jour il avait profité de la circonstance pour hurler en pleine chapelle qu’il était innocent, on prenait depuis lors la précaution de le bâillonner avant de le mener à l’église. Et Fandor, petit à petit, se faisait à cette idée :

— Je suis fichu. Absolument fichu, je serai condamné, sans même pouvoir me défendre.

Fandor, pourtant, avait un vague espoir. Un jour il avait été interrogé par le religieux parlant français auquel il avait crié son innocence. Avait-il ému cet homme, convaincu qu’il causait avec un personnage satanique ? C’était douteux. Toutefois Jérôme Fandor l’avait supplié de prévenir l’ambassadeur de France de sa captivité, avait menacé même le moine de représailles internationales si satisfaction ne lui était pas donnée. Avait-il effrayé le religieux ?

En tout cas, aucun changement n’était survenu et c’était un jour tout comme les autres qui commençait, croyait-il, tandis qu’il répondait brutalement au moine qui, après l’avoir ramené de la chapelle, l’exhortait encore au repentir.

Fandor, le religieux parti, s’était rejeté sur sa couche.

— Enfin, murmurait-il, j’imagine maintenant que je n’en ai plus pour longtemps avant de passer au tribunal.

Il ne croyait pas si bien dire.

Comme il se rendormait, en effet, d’un sommeil fiévreux et agité, la porte de sa cellule s’ouvrit brusquement. Trois moines entrèrent, vêtus de noir, l’air sinistre et portant trois cierges allumés.

— Condamné, dit lentement l’un d’eux, cependant que Fandor, stupéfait par l’arrivée de cette procession, écarquillait les yeux, condamné, repentez-vous, vous n’avez plus que huit jours pour cela.

— Huit jours ! cria Fandor. Mais, nom de Dieu, parlez donc clairement, qu’est-ce qu’il y a encore ?

Les trois moines se signèrent en entendant le terrible blasphème, et celui qui paraissait être leur chef reprit la parole :

— Condamné, déclara-t-il, le Tribunal de l’Escurial vous a jugé cette nuit, vous avez été reconnu coupable, vous périrez par le garrot dans huit jours.

Mais pour parler ainsi tout tranquillement, pour annoncer semblable chose avec une telle sérénité, le religieux, évidemment, ne connaissait point le caractère impétueux de Jérôme Fandor.

Le journaliste, en effet, avait bondi hors de son lit : les poings fermés, la voix tremblante de colère, évidemment tout disposé à étrangler l’un de ses visiteurs, Jérôme Fandor hurlait :

— Bon sang, mais ce n’est pas possible, tout de même, qu’est-ce que vous me chantez là ? Le tribunal s’est réuni. Où ? Quand ? On m’a condamné sans m’entendre ? Mais c’est un assassinat que vous allez commettre, sacré mille noms d’un tonnerre, on ne tue pas un homme comme cela !

Les trois moines n’avaient pas bronché.

— Repentez-vous, mon frère, recommençait le plus vieux des religieux, repentez-vous, et que l’esprit de Satan qui vous possède se retire de vous.

Les autres moines, en même temps, disaient :

— Que Dieu lui fasse miséricorde.

Que pouvait tenter Jérôme Fandor ?

— J’en massacrerai bien un ou deux, se disait-il en lui-même, mais cela ne m’avancerait à rien. Ah bon sang de bon sang !

Il marchait à grands pas dans sa cellule, le cœur battant à l’étouffer, épouvanté à l’idée du supplice auquel on venait de le condamner si bizarrement.

Les trois moines s’étaient retirés, Jérôme Fandor demeurait seul.

Alors, un affreux désespoir s’empara du jeune homme. Il imagina pendant quelques instants les plans d’évasion les plus fous, les tentatives les plus audacieuses. Mais, hélas, il ne lui servait de rien de rêver à l’impossible. Les murs du cachot où il était prisonnier étaient inébranlables, inébranlable était la porte, et Jérôme Fandor ne pouvait rien, rigoureusement rien pour retarder, fût-ce d’une seconde, l’accomplissement de son destin.

— Eh bien, je périrai par le garrot, finit-il par décider en lui-même, je périrai bravement puisqu’il le faut, et, ma foi, Juve me vengera.

Mais, au moment même où Jérôme Fandor se résignait, comme il y était bien obligé, à regarder en face la destinée, les serrures de sa cellule grinçaient. La porte s’ouvrit et Jérôme Fandor poussait un cri de joie :

— Vous, patron ? ah ! par exemple !

En même temps un homme corpulent, un Français assurément, s’élançait dans la cellule, courait à Jérôme Fandor, cependant que deux gardes civils qui accompagnaient ce visiteur croisaient la baïonnette à la porte du cachot.

— Vous, patron ? répétait Jérôme Fandor, riant d’un rire de fou et n’en croyant pas ses yeux.

Le personnage, cependant, semblait aussi étonné que l’était le journaliste.

— Mais c’est à devenir idiot, faisait-il, je ne comprends rien à tout cela. Comment, c’est vous ? Vous, Fandor, qui êtes le prisonnier de ces religieux. Ah çà, bon Dieu, comment vous trouvez-vous là ?

C’était tout simplement Dupont de l’Aube, le sénateur, propriétaire de La Capitale, directeur du journal, auquel Fandor collaborait depuis de longues années.

Dupont de l’Aube était, en effet, – Fandor s’en souvenait à la minute – ambassadeur officieux de France, près la Cour d’Espagne. Ce n’était point, à vrai dire, le résident officiel chargé à Madrid de représenter la France, mais c’était le négociateur habituel de tous les traités commerciaux entre la France et l’Espagne. Comment Dupont de l’Aube avait-il été prévenu de la captivité de Fandor ? Comment Fandor était-il prisonnier à l’Escurial ?

Les deux hommes, bien entendu, aussi surpris l’un que l’autre, aussi émus peut-être, s’interrogèrent tout d’abord, dans une extrême confusion.

Puis Fandor mit rapidement au courant du sort tragique qui lui était réservé le directeur de La Capitale.

— Tenez, concluait Fandor, je me fais l’effet, patron, d’une souris prise au piège. Voilà huit jours que j’agonise sous l’Escurial et quand vous êtes arrivé, je me croyais bel et bien perdu. Vous allez me tirer d’affaire, hein ?

Dupont de l’Aube, pour toute réponse haussa les épaules :

— Mais naturellement, mon cher Fandor. Votre captivité n’est plus qu’une question d’heures.

Et le patron de Fandor, mêlant ses explications de quelques reproches, relatifs à l’imprudence dont avait fait preuve le journaliste en entrant à l’Escurial alors que Fantômas rôdait dans les environs, contentait à son tour la curiosité du journaliste.

— Tenez, Fandor, disait-il, vous l’échappez belle, savez-vous ? la juridiction de l’Escurial est en effet extraordinaire. Les subtils religieux qui en ont le bénéfice jouissent d’un privilège monstrueux. Je ne savais pas du tout et je n’aurais jamais su qu’un Français gémissait dans ces geôles, si je n’avais pas reçu par téléphone une communication anonyme m’avertissant de la chose. Bien entendu, j’ai fait immédiatement une petite enquête et en vertu de ma puissance diplomatique, j’ai pu arriver jusqu’à vous. Mais c’est de la chance.