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— Enfin ! déclara-t-elle, en considérant Backefelder qui la regardait ahuri, enfin te voilà ! Je désespérais de te retrouver !

— Pardon, fit Backefelder, mais il me semble que c’est à moi d’être surpris. Qu’es-tu donc devenue depuis ces jours derniers ?

— Je me suis occupée de toi, déclara-t-elle, j’ai voulu te venger de Fantômas.

— Et ?

— Alors, conclut simplement la Recuerda, après un silence, je ne l’ai pas fait, voilà tout.

L’Américain se leva, s’habilla machinalement, fronça les sourcils, se rapprocha de sa maîtresse :

— La Recuerda, fit-il, je n’aime guère qu’on se moque de moi. Nous nous sommes unis librement, nous nous sommes donnés l’un à l’autre sans contrainte, il importe, si nous devons nous séparer, que nous le fassions avec la même franchise.

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire, précisa Backefelder, que tu me trompes avec le premier venu, et que cela me déplaît. Tu sors, il y a dix minutes, un quart d’heure peut-être, d’une maison du boulevard Malesherbes où tu as passé la nuit avec un homme rencontré sans doute par hasard à Montmartre. C’est là une conduite indigne de moi, indigne de toi.

La Recuerda tressaillit. Elle était bien trop fière pour nier, mais il lui était fort désagréable d’autre part que Backefelder fût si bien au courant de ses faits et gestes. Et puis peut-être la Recuerda aimait-elle toujours le flegmatique Américain, bien qu’elle n’eût pas hésité à le tromper une heure auparavant ?

— Le premier venu, grommela-t-elle, non Back, je ne te trompe pas avec le premier venu.

L’Américain haussait les épaules :

— Quel est donc cet homme ? demanda-t-il.

— Il s’appelle le baron Stolberg.

— Connais pas.

Mais la Recuerda riait d’un rire nerveux, exaspérant. L’Américain s’en aperçut, le rouge lui monta au front. Certes, il était impassible et flegmatique, mais nerveux à l’occasion, il pouvait avoir des colères terribles.

Brusquement, il prit la Recuerda par le bras.

— Allons, trêve de plaisanteries, dit-il, explique-toi, qu’est-ce que c’est que cet homme ?

L’Espagnole elle aussi, s’emporta. Son sang fier et bouillant ne fit qu’un tour. Elle n’admettait pas qu’on la traitât de la sorte. Elle était libre d’elle-même et saurait le montrer.

— Tu veux savoir la personnalité qui se dissimule sous le nom du baron Stolberg ? Eh bien soit, apprends-le donc, le baron Stolberg mon amant, c’est Fantômas !

L’Espagnole s’attendait à une explosion de stupéfaction ou de fureur. Il n’en fut rien. Soudain Backefelder semblait s’être calmé.

— Je m’en doutais, dit simplement Backefelder. Au surplus, cela n’a aucune importance, il suffit que mes soupçons soient confirmés.

Reprenant un air autoritaire, il désignait à la Recuerda, une chaise.

— Assieds-toi là, fit-il et ne bouge plus.

Puis d’un mouvement brusque, il courut à la porte, la verrouillait, mettait la clé dans sa poche. Inquiète, outrée surtout de l’attitude de son amant, la Recuerda l’apostropha :

— Qu’est-ce qui te prend ? Que vas-tu faire ?

Et elle ne s’assit pas, elle se rapprocha au contraire de Backefelder, menaçante, agressive. L’Américain ne prêta aucune attention à cette attitude, il alla s’asseoir devant son bureau, sur lequel se trouvait un appareil téléphonique. Au moment de décrocher le récepteur, il déclara :

— À mon tour, de te faire une révélation la Recuerda, elle sera courte, mais catégorique : dans un instant, je communiquerai avec Juve, je l’informerai que je te tiens prisonnière et je me mettrai à sa disposition pour le conduire chez Fantômas.

La Recuerda hurla :

— Tu ne feras pas cela !

Pour toute réponse, Backefelder décrocha le récepteur.

— Tu ne feras pas cela, c’est indigne, lâche, c’est abuser de ma confiance. Je t’ai fait une révélation, je t’ai parlé franchement, comme une ancienne maîtresse parle à son amant. Tu n’as pas le droit de profiter de ce que je t’ai dit pour renseigner la   police.

— Allô, Allô.

Pas de réponse. L’Américain après avoir insisté, se retournait soudain, cependant que la Recuerda poussait un éclat de rire sardonique.

L’Espagnole se tenait à quelques pas derrière lui, elle avait les bras croisés sur sa poitrine, et dans sa main fine et potelée, elle tenait un poignard.

À ses pieds, le fil du téléphone qu’elle venait de couper.

— Voilà, criait-elle, ce que j’ai fait.

Puis, d’un air de suprême défi, elle hurla :

— Téléphone donc maintenant à la police, lâche que tu es, mouchard !

Backefelder bondit sous l’insulte. Un instant, il vit rouge, et au paroxysme de la colère, il se précipita sur l’Espagnole :

— Canaille ! hurla-t-il.

Mais un grand cri lui répondit, puis lui-même gémit sourdement, poussa un profond soupir et comme s’il avait reçu un coup de massue en pleine tête, s’écroula les bras écartés.

— Ah mon Dieu, proféra la Recuerda, je l’ai tué !

Au moment où Backefelder se précipita sur elle, l’Espagnole, d’un geste machinal et rapide, avait lancé son arme en avant et, sans peut-être très bien se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle avait dirigé la pointe acérée vers la poitrine de l’Américain. Celle-ci n’était protégée que par une fine chemise de soie. Déjà le poignard pénétrait dans ses chairs et transperçait le cœur. Backefelder était tombé, mort.

À genoux, près du cadavre, la Recuerda demeura quelques instants muette d’horreur, atterrée, puis soudain, sa gorge se serra, les sanglots l’étouffèrent.

— Mon Dieu, mon Dieu, proféra-t-elle, pauvre Back, je l’aimais, je l’aimais !

***

Fantômas décidément était un homme qui avait toutes les audaces et auquel la longue habitude de l’impunité faisait faire les pires imprudences.

Lorsque le soir de cette nuit tragique, il avait pour ainsi dire enlevé la Recuerda et l’avait fait monter dans son automobile, il ne s’était pas préoccupé de savoir si quelqu’un les suivait. C’est pour cela que Backefelder avait pu découvrir son domicile, en se faisant véhiculer par la propre voiture du bandit.

Fantômas, en outre, avait commis une autre imprudence. Il avait dit très haut son adresse au mécanicien de l’automobile et cette adresse, quelqu’un l’avait retenue, quelqu’un qui aussi s’était attaché à ses pas à partir du moment où le bandit et sa compagne avaient précipitamment quitté l’attroupement du pont Caulaincourt. Cette personne-là, c’était Delphine Fargeaux. La jeune femme, au moment où le courtier Coquard l’entraînait, avait eu la stupéfaction de voir s’enfuir tout d’abord la Recuerda avec le baron Stolberg, puis Delphine Fargeaux apercevait aussi quelqu’un dont elle identifiait parfaitement la personnalité. Quelqu’un qu’elle voyait s’agripper aux ressorts de l’automobile du baron Stolberg. Quelqu’un que Delphine reconnaissait pour être Backefelder dont elle avait fait la connaissance dans de si tragiques circonstances au château de Garros.

Delphine Fargeaux, était tellement préoccupée par tous ces mystères qu’elle se jura ce soir-là, d’avoir la clef de l’énigme.

Bravement, après avoir éconduit Coquard qui ne comprenait rien à son attitude, elle était partie à pied, en pleine nuit, pour le boulevard Malesherbes. Devant la maison silencieuse, la jeune femme était restée, plus patiente que Backefelder. Elle avait attendu et ses espérances n’avaient pas été déçues, car à l’aube, elle voyait sortir de la demeure du baron Stolberg sa rivale : la Recuerda.

Celle-ci trouvait un fiacre, et Delphine Fargeaux en prit un autre. Les deux véhicules arrivèrent rue Saint-Ferdinand. Delphine arrêta sa voiture. Elle comprenait que la Recuerda se rendait chez Backefelder.

Qu’allait-elle donc y faire ? Delphine la laissait entrer, puis, fort tranquille pour observer tout ce qu’elle voulait, car la rue à cette heure matinale, était absolument déserte, elle se rapprochait peu à peu de la maison de Backefelder. Les persiennes étaient fermées, mais à l’intérieur, l’Américain avait oublié de tirer les rideaux, et ayant fait la lumière lorsque la Recuerda était arrivée, la pièce était éclairée et de l’extérieur, par les interstices du volet, on pouvait parfaitement voir ce qui s’y passait.