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Surprise d’abord par l’attitude des deux amants, qu’elle ne pouvait pas comprendre, Delphine Fargeaux s’émut du ton tragique que semblait prendre la discussion ; elle voyait Backefelder parler autoritairement à sa maîtresse, puis, tandis qu’il s’approchait du téléphone, celle-ci tirait un poignard de son corsage et coupait le fil de communication. Puis, dès lors, devant les yeux terrifiés de Delphine, se déroula le drame rapide mais effroyable. Backefelder rouge de colère se précipitait sur sa maîtresse.

— Il va la tuer, pensa Delphine, qui ferma les yeux. Mais lorsqu’elle les ouvrit, elle poussait un long hurlement de terreur. Une seconde s’était écoulée, elle voyait Backefelder étendu sur le sol, un poignard enfoncé jusqu’à la garde dans la poitrine, cependant que blafarde, agenouillée près de lui, la Recuerda regardait la mort face à face.

Affolée, Delphine prit la fuite. Courant comme une folle, elle alla, elle alla longtemps, sans se rendre compte du chemin qu’elle faisait, sans souci des quolibets qu’elle s’attirait au passage lorsque par hasard elle était rencontrée par des ouvriers levés de bonne heure, des gens se rendant à un travail matinal.

Delphine était allée ainsi jusqu’au bord de la Seine, et, arrêtée sur le parapet d’un pont, elle considéra distraitement les ondes glauques que roulait le fleuve.

Mais, soudain, Delphine Fargeaux, réagit. Elle serra les poings et son doux visage prit une expression de rude énergie.

— Cette femme, murmura-t-elle, est un monstre, elle a tué, elle tuera encore.

Et Delphine songeait, émue, que peut-être l’effroyable sort de Backefelder, quelqu’un d’autre risquait de le subir, et quelqu’un dont Delphine voulait à tout prix protéger l’existence, car elle l’aimait, quelqu’un qui n’était autre que le baron Stolberg.

22 – LE GUET-APENS

— Monsieur le ministre, je ne vous remercie pas de votre bienveillance, de la hâte que vous avez mis à m’accorder ce que je vous demandais, car j’imagine qu’aucun doute ne peut vous rester relativement à l’innocence de mon protégé : Jérôme Fandor. Toutefois, je vous prie de croire, monsieur le ministre, que je vous aurai une reconnaissance éternelle.

— Mais laissez donc, mon bon Dupont, laissez donc, c’est la moindre des choses.

Dupont de l’Aube s’inclina en une révérence protocolaire et sortit du cabinet du ministre des Affaires Étrangères.

L’ambassadeur officieux de France en Espagne était rayonnant. Il respirait profondément, à deux reprises différentes et semblait éprouver une joie profonde, puis délibérément, il tourna sur le boulevard et se hâta vers un bureau de poste voisin.

Dupont de l’Aube, depuis deux heures, entretenait le ministre de la terrible situation où se trouvait Jérôme Fandor. Il avait eu quelque peine à le convaincre, d’abord, des aventures du jeune homme, mais il s’était montré si bon avocat, il avait si bien plaidé la cause de l’ami de Juve, qu’il avait emporté la conviction de son interlocuteur.

Et alors, un entretien télégraphique, suivi bientôt d’un entretien téléphonique s’était engagé immédiatement entre le ministère des Affaires Étrangères de France et le ministère de la Justice d’Espagne.

En une demi-heure, l’extradition de Fandor avait été obtenue. Le ministre des Affaires Étrangères avait remis à Dupont de l’Aube un brevet dûment signé et paraphé qui l’autorisait à aller chercher à la prison de Madrid, où Fandor devait être transféré, le condamné à mort. Une fois extradé, on verrait à obtenir la révision du procès et l’acquittement définitif du jeune homme. C’était ce brevet d’extradition que Dupont de l’Aube, instinctivement presque, froissait dans sa poche avec une nervosité croissante.

— J’ai hâte, se répétait le directeur de La Capitale, j’ai hâte maintenant d’être à Madrid et d’aller tirer Fandor des mains de ces méchants moines.

Malgré son empressement, Dupont de l’Aube, cependant, pénétrait dans le premier bureau de poste qu’il rencontrait au passage :

— Donnez-moi le 2036-00.

Quelques instants plus tard, Dupont de l’Aube, entré dans l’une des petites cabines téléphoniques, communiquait avec Juve.

— Allô, c’est Dupont de l’Aube qui vous parle. Allô, vous m’entendez, Juve ?

— Oui. Eh bien ?

La voix de Juve était angoissée, tremblante. Mis au courant des aventures de Fandor, par un coup de téléphone de Dupont de l’Aube, arrivé deux heures plus tôt, Juve attendait avec une impatience extrême le résultat de la visite que l’homme politique venait de faire au ministère.

— Eh bien, tout est arrangé, répondait Dupont de l’Aube. Ne vous faites pas de mauvais sang, j’ai le brevet d’extradition en poche, l’ambassade de Paris a été parfaite et dans quarante-huit heures, Jérôme Fandor sera libre.

Comme Juve répondait avec enthousiasme, Dupont de l’Aube ajouta :

— Tenez, savez-vous ce que vous devriez faire, Juve ? Sauter dans le Sud-Express ce soir, nous prendrions rendez-vous, par exemple, à Madrid même, aux portes de la prison centrale. Vous viendriez assister à la mise en liberté de Fandor.

Bien entendu, le policier accepta. Quelques instants plus tard, Dupont de l’Aube, toujours se frottant les mains, toujours joyeux et satisfait, quittait le bureau de poste pour se rendre chez lui, mettre ordre rapidement à ses affaires et retourner à la gare où il comptait prendre le train de luxe.

Dupont de l’Aube habitait boulevard Suchet, le long des fortifications, à mi-distance à peu près entre Auteuil et Passy.

Il occupait là un ravissant petit hôtel luxueusement installé et qu’il se désolait de n’habiter pas plus souvent. Toujours occupé, en effet, de graves combinaisons, toujours en déplacement, toujours accompagnant le Président de la République dans ses voyages officiels, maintes fois chargé d’ambassades secrètes, Dupont de l’Aube, depuis qu’il était arrivé à une sorte de célébrité, au Sénat, passait en réalité très peu de temps à Paris, ce qui n’était que pour lui faire médiocrement plaisir.

Dupont de l’Aube, ayant téléphoné à Juve, gagna la gare Saint-Lazare, s’installa dans un confortable wagon de première classe, et n’en descendit qu’à la gare de Passy. La nuit était véritablement superbe, de rares étoiles commençaient à briller au ciel, les réverbères clignotaient dans les allées désertes et majestueuses du Ranelagh. Dupont tira un bon cigare et, les mains derrière le dos, en flâneur, entreprit de rejoindre son domicile.

— Il est sept heures un quart, songea-t-il, j’ai à peu près pour une heure de travail à la maison. Je serai prêt à huit heures et demie, à neuf heures un quart je serai à la gare. J’y prendrai un rapide dîner au buffet et, ma foi, à dix heures trente je me coucherai dans mon wagon, tout tranquillement, pour être en temps opportun à Madrid et annoncer à cet excellent Fandor que ce n’est pas encore en Espagne qu’il devra quitter la vie.

Dupont de l’Aube, au sortir de la gare de Passy, avait donc pris par l’allée qui longe la voie de chemin de fer et s’infléchit ensuite sur la droite, traversant les fortifications pour se rendre aux lacs. Il y avait naturellement, à cette heure déjà tardive de la journée, très peu de passants, et Dupont de l’Aube n’apercevait guère sur les pelouses vertes qu’un groupe attardé d’hommes et de femmes qui, venant de dîner sur l’herbe, jouaient au ballon, les hommes en bras de chemise, les femmes secouant leurs jupes et tous faisant grand tapage et grand bruit.

— Ma foi, songeait encore Dupont de l’Aube, voilà des joueurs que j’admire. Au moins, ils sont venus faire dînette au moment où les pelouses ne sont pas encombrées.

Avançant toujours, Dupont de l’Aube, arriva bientôt au croisement du boulevard Suchet, dans lequel il allait tourner. Il avait encore dix minutes de marche et ne s’en plaignait pas, très satisfait qu’il était de humer en paix la bonne atmosphère de la soirée.