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— Ouvrez, criait le baron. Il y a une fuite de gaz. Nous allons périr asphyxiés dans votre violon.

La chose était grave, évidemment. Le brigadier, quelle que fût sa brutalité et son intransigeance, n’osait pas refuser de vérifier une pareille affirmation : il entrouvrit la porte, renifla, se convainquit qu’on ne lui avait pas menti.

— Ah, saloperie de saloperie, bougonna le brave gardien, c’est tout de même vrai que ça pue le gaz, bon Dieu de nom d’un chien ! Je ne peux pourtant pas vous laisser crever là-dedans et, d’autre part, j’aurais beau fermer le compteur, il ne commande pas cette conduite.

Le brigadier discuta quelques instants avec ses hommes qui, tous, étaient unanimes à déplorer l’arrestation des gens du monde :

— Eh bien, décida-t-il subitement radouci, il n’y a qu’un moyen de s’en sortir, puisqu’on ne peut plus vous garder au poste sous peine de vous asphyxier et que je n’ai pas d’autres endroits pour vous mettre, je m’en vais vous relâcher. Allons, foutez le camp, mais ne recommencez pas ! Allez, caltez tous. Caltez, nom d’un chien ! Vous aussi, les marchands de quatre-saisons, faut pourtant pas vous faire crever comme des lapins dans un terrier. Ah, par exemple, qu’est-ce qu’il va me chanter, le commissaire, quand il saura !

Et, pendant que les prisonniers, surpris, se hâtaient de quitter le poste, le brigadier appelait ses hommes :

— Eh bien, qu’est-ce que vous foutez là, à bâiller comme des carpes, bon sang ? Ce n’est pas malin, allez vite réquisitionner un plombier, qu’il vienne aplatir le tuyau, boucher la fuite, faire ce qu’il faut, enfin.

Dehors, sur le trottoir, avec des poignées de mains cordiales, les jeunes gens arrêtés à l’Opéra se séparaient en plaisantant sur leur courte captivité. La Recuerda avait appelé un fiacre, s’était éloignée. Très à l’aise, le baron Stolberg faisait monter Delphine Fargeaux dans une auto, saluait encore courtoisement ceux qu’il avait bien involontairement fait arrêter, revenait vers la voiture, jetait une adresse au cocher :

— Vous êtes jolie, commença Stolberg, entrant dans la voiture où Delphine Fargeaux, ahurie, l’attendait.

26 – VICTIME DU COCHER

— Vous êtes jolie, madame. Vous êtes exquise, et je ne saurais trop bénir les incidents de la soirée puisqu’ils me permettent de me trouver à côté de vous à cette minute et qu’ils sont cause du bonheur que j’ai à vous entretenir ainsi.

D’une voix charmeuse, avec des accents savamment étudiés, le baron Stolberg parlait à Delphine Fargeaux. Et c’était pour la jeune femme, en vérité, un grand honneur d’entendre le Baron parler ainsi. Depuis la veille au soir, elle rêvait de cet entretien. Il survenait enfin, elle ne pouvait croire à sa chance et elle oubliait presque la façon plutôt extraordinaire dont elle avait fait la connaissance du baron Stolberg. Delphine Fargeaux, qui n’était pas d’une intelligence suprême, qui incarnait à merveille le type de la petite provinciale grisée par la vie parisienne, se laissait prendre à toutes les fadeurs, à tous les compliments, pourvu qu’ils fussent dits avec une jolie voix et un accent convaincant, ferma les yeux, parut se recueillir, répondit lentement à voix basse :

— Si vous êtes heureux d’être avec moi, croyez, cher monsieur, que je n’éprouve pas moins de plaisir à me trouver à vos côtés. J’avais peur pour vous d’ailleurs. Cette femme, cette épouvantable femme qui s’est jetée sur moi tout à l’heure…

— Oh je vous en prie, madame, ne gâtons pas l’heure présente en évoquant de vilains souvenirs. Oublions.

Cela ne faisait pas l’affaire de Delphine Fargeaux. Malgré la prière que l’on venait de lui adresser, elle demanda donc :

— C’est votre maîtresse, cette femme ?

— Ne pensez pas à elle, et si je ne vous déplais point, laissez-moi en paix vous regarder, vous admirer, sans me troubler du souvenir d’une importune.

Il n’y avait, cette fois, rien à répondre. Delphine Fargeaux sourit, donna trois chiquenaudes à sa coiffure, chercha la pose la plus coquette, se serra un peu contre Nicolas Stolberg :

— Où me menez-vous ? interrogea-t-elle curieuse. Savez-vous que tout à l’heure, vous m’aviez proposé de me reconduire chez moi. Or la voiture file et vous ne m’avez même pas demandé mon adresse.

— Vous m’en voulez beaucoup ? Vous ne me pardonnerez jamais ?

— Mais vous ne répondez pas ! s’écriait Delphine Fargeaux.

— C’est probablement que je n’ose pas, madame.

— Je parie que vous avez donné votre adresse au cocher.

— Je ne vous conduis pas chez moi, disait-il, j’aurais horreur, lors d’une première entrevue, de vous amener dans un appartement où d’autres femmes que je n’aimais pas sont venues. Je vous conduis dans un endroit pauvre, situé au fond du plus détestable des quartiers, à Grenelle. Dans un endroit pauvre, où, jolie mignonne, je vais quelquefois rêver lorsque le spleen m’envahit, lorsque je me sens le cœur las et brisé. Là, j’imagine, plus qu’ailleurs, nous serons tranquilles.

— Je n’aurai pas peur tant que vous serez là.

Delphine Fargeaux séduite, conquise, par les galantes paroles de son beau compagnon, parlait en toute sincérité. Quelques instants plus tard, le fiacre s’arrêtait à la porte d’une pauvre demeure, d’une maison d’ouvriers située à quelque distance du boulevard Garibaldi, au cœur même de Grenelle.

— C’est ici ?

— C’est ici, madame, que je vous conduis.

Stolberg, en frac, le claque sur la tête, l’œillet à la boutonnière, paya d’un geste élégant son cocher, refusant de prendre la monnaie du louis d’or qu’il lui avait tendu, il sonna, il se tourna souriant vers Delphine Fargeaux :

— N’ayez aucune appréhension, répéta-t-il, si fou que je sois, j’ai cependant le sentiment des convenances et je vous mène là seulement où je puis vous mener sans crainte de vous compromettre.

La porte cochère de la maison s’ouvrit, il fit passer Delphine Fargeaux, craqua une allumette-bougie, et à la lueur tremblotante de la brindille de cire, guida la jeune femme au long d’un escalier tortueux, misérable :

— Il faut être bien original, n’est-ce pas, pour avoir un pied-à-terre dans une maison si peu luxueuse. Mais j’ai toujours été l’homme des contrastes. Ici, nul ne me connaît parmi des importuns qui peuvent se vanter de serrer la main du baron Stolberg, et par conséquent je suis sûr d’être toujours tranquille, de toujours posséder la paix profonde des inconnus. Entrez, madame.

Delphine Fargeaux qui s’attendait à pénétrer dans une élégante garçonnière, installée par originalité, en effet, dans une demeure populaire, entra dans une pauvre pièce, une sorte de salle à manger minable et que divisait en son milieu un grand rideau, une sorte de tenture usée, rapiécée, suspendue par des anneaux à moitié décousus à une tringle de fer :

— Voici mon palais. Asseyez-vous sur ce divan, je viens à vos côtés dans quelques secondes.

Il désignait du doigt une sorte de grand canapé à l’étoffe décousue et déchirée, et, tandis que Delphine Fargeaux, de plus en plus stupéfaite, presque inquiète maintenant, y prenait place, il passait lui-même de l’autre côté de la tenture, disparaissait aux yeux de la jeune femme.

— Mon Dieu, se demandait quelques instants plus tard Delphine Fargeaux, à la lueur vacillante d’une lampe à pétrole posée sur le coin d’une table, qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Elle attendit longtemps, très longtemps, puis, à l’improviste, n’entendant plus bouger le baron, elle se sentit envahie d’une peur secrète contre laquelle elle essayait en vain de réagir.

— L’endroit est pauvre, se disait Delphine Fargeaux, écarté, dans un sinistre quartier. Pourquoi m’a-t-on conduite là ? Que va-t-il m’arriver ?

La pensée va vite chez qui a peur. Delphine Fargeaux, en une seconde, imagina, tout en s’en raillant, d’étranges aventures. En somme, elle ne connaissait pas le baron Stolberg. Plus même, elle l’avait rencontré en compagnie d’une femme qui était un assassin. Et puis, c’était un Russe, et les Russes sont toujours un peu énigmatiques, un peu étranges, un peu effrayants.