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Revenons à notre propos initial. Nous ne disons pas il existe, dans la vaste partie silencieuse du cerveau, une machine électronique analogique. Nous disons comme il existe des machines arithmétiques et des machines analogiques, ne pourrait-on imaginer, au-delà du fonctionnement de notre intelligence à l'état normal, un fonctionnement à l'état supérieur ? Des pouvoirs de l'intelligence qui seraient du même ordre que ceux de la machine analogique ? Notre comparaison ne doit pas être prise à la lettre. Il s'agit d'un point de départ, d'une rampe de lancement vers les régions de l'intelligence encore sauvages, encore à peine explorées. Dans ces régions, l'intelligence se met peut-être brusquement à fulgurer, à éclairer les choses habituellement cachées de l'univers. Comment parvient-elle à passer dans ces régions où sa propre vie devient prodigieuse ? Par quelles opérations se fait le changement d'état ? Nous ne disons pas que nous le savons. Nous disons qu'il y a, dans les rites magiques et religieux, dans l'immense littérature ancienne et moderne consacrée aux moments singuliers, aux instants fantastiques de l'esprit, des milliers et des milliers de descriptions fragmentaires qu'il faudrait réunir, comparer, et qui évoquent peut-être une méthode perdue, – ou une méthode à venir.

Il se peut que l'intelligence frôle parfois, comme par hasard, la frontière de ces régions sauvages. Elle y déclenche, une fraction de seconde, les machines supérieures dont elle perçoit confusément le bruit. C'est mon histoire de la relavote, ce sont tous ces phénomènes dits « parapsychologiques » dont l'existence nous trouble tant, ce sont ces extraordinaires et rares flambées illuminatives, une, deux, ou trois, que la plupart des êtres fins connaissent au cours de leur vie, et surtout aux âges tendres. Il n'en reste rien, à peine le souvenir.

Franchir cette frontière (ou, comme disent les textes traditionnels : « entrer dans l'état d'éveil ») apporte infiniment plus et ne semble pas pouvoir être le fait du hasard. Tout invite à penser que ce franchissement exige le rassemblement et l'orientation d'un nombre énorme de forces, extérieures et intérieures. Il n'est pas absurde de songer que ces forces sont à notre disposition. Simplement, la méthode nous manque. La méthode nous manquait aussi, il y a peu de temps, pour libérer l'énergie nucléaire. Mais ces forces ne sont sans doute à notre disposition que si nous engageons pour les capter la totalité de notre existence. Les ascètes, les saints, les thaumaturges, les voyants, les poètes et les savants de génie ne disent pas autre chose. Et c'est ce qu'écrit William Temple, poète américain moderne : « Aucune révélation particulière n'est possible si l'existence n'est pas elle-même tout entière un instrument de révélation. »

Reprenons donc notre comparaison. C'est durant la Seconde Guerre mondiale que la « recherche opérationnelle » est née. Pour que le besoin d'une telle méthode se fît sentir, « il fallait que se posent des problèmes échappant au bon sens et à l'expérience ». Les tacticiens eurent donc recours aux mathématiciens :

« Lorsqu'une situation, par la complexité de sa structure apparente et de son évolution visible, ne peut être maîtrisée par des moyens habituels, on demande à des scientifiques de traiter cette situation comme, dans leur spécialité, ils traitent les phénomènes de la nature et d'en faire la théorie. Faire la théorie d'une situation ou d'un objet, est en imaginer un modèle abstrait dont les propriétés simuleront les propriétés de cet objet. Le modèle est toujours mathématique. Par son intermédiaire, les questions concrètes sont traduites en propriétés mathématiques. »

Il s'agit du « modèle » d'une chose ou d'une situation trop nouvelle ou trop complexe pour être choisie dans sa totale réalité par l'intelligence. « En recherche opérationnelle fondamentale, on a intérêt à construire alors une machine électronique analogique de façon que cette machine réalise le modèle. On peut alors, en manipulant les boutons de réglage et en la regardant fonctionner, trouver les réponses à toutes les questions en vue desquelles le modèle a été conçu. »

Ces définitions sont extraites d'un bulletin technique(104). Elles sont plus importantes, pour une vision de « l'homme éveillé », pour une compréhension de l'esprit « magique », que la plupart des ouvrages de littérature occultiste. Si nous traduisons modèle par idole ou symbole et machine analogique par fonctionnement illuminatif du cerveau ou état d'hyper-lucidité, nous voyons que le plus mystérieux chemin de la connaissance humaine – celui que refusent d'admettre les héritiers du XIXe siècle positiviste – est un vrai et grand chemin. C'est la technique moderne qui nous invite à le considérer comme tel.

« La présence des symboles, signes énigmatiques et d'expression mystérieuse, dans les traditions religieuses, les œuvres d'art, les contes et les coutumes du folklore, atteste l'existence d'un langage universellement répandu en Orient comme en Occident et dont la signification transhistorique semble se situer à la racine même de notre existence, de nos connaissances et de nos valeurs(105) .»

Or, qu'est-ce que le symbole, sinon le modèle abstrait d'une réalité, d'une structure, que l'intelligence humaine ne saurait maîtriser entièrement, mais dont elle esquisse la « théorie » ?

« Le symbole révèle certains aspects de la réalité – les plus profonds – qui défient tout moyen de connaissance(106). » Comme le « modèle » qu'élabore le mathématicien à partir d'un objet ou d'une situation échappant au bon sens ou à l'expérience, les propriétés du symbole simulent les propriétés de l'objet ou de la situation ainsi abstraitement représentés, et dont l'aspect fondamental demeure caché. Il faudrait ensuite qu'une machine électronique analogique fût branchée et fonctionnât, à partir de ce modèle, pour que le symbole livre la réalité qu'il contient et les réponses à toutes les questions en vue desquelles il a été conçu. L'équivalent de cette machine, pensons-nous, existe dans l'homme. Certaines attitudes mentales et physiques encore mal connues peuvent en déclencher le fonctionnement. Toutes les techniques ascétiques, religieuses, magiques, semblent orientées vers ce résultat, et sans doute est-ce cela que la tradition, parcourant toute l'histoire de l'humanité, exprime en promettant aux sages « l'état d'éveil ».

Ainsi, les symboles sont peut-être les modèles abstraits établis depuis les origines de l'humanité pensante, à partir desquels les structures profondes de l'univers nous pourraient être sensibles. Mais attention ! Les symboles ne représentent pas la chose elle-même, le phénomène lui-même. Il serait faux aussi de penser qu'ils sont purement et simplement des schématisations. En recherche opérationnelle, le modèle n'est pas le modèle réduit ou simplifié d'une chose connue. Il est le point de départ possible en vue de la connaissance de cette chose. Et un point de départ situé hors de la réalité : situé dans l'univers mathématique. Il faudra ensuite que la machine analogique, bâtie sur ce modèle, entre en transes électroniques, pour que les réponses pratiques soient données. C'est pourquoi toutes les explications des symboles auxquelles se livrent les occultistes sont sans intérêt. Ils travaillent sur les symboles comme s'il s'agissait de schémas traduisibles par l'intelligence à l'état normal. Comme si, de ces schémas, l'on pouvait remonter immédiatement vers une réalité. Depuis des siècles qu'ils s'emploient de la sorte sur la Croix de Saint-André, le svastika, l'étoile de Salomon, l'étude des structures profondes de l'univers n'a pas avancé par leurs soins.