C'est tout récemment, sous l'impulsion du gouvernement yougoslave, qu'on vient de réexaminer l'œuvre de Boscovitch, et principalement sa Théorie de la Philosophie Naturelle(112), éditée à Vienne en 1758. La surprise a été considérable. Allan Lindsay Mackay, décrivant cet ouvrage dans un article du New Scientist du 6 mars 1958, estime qu'il s'agit d'un esprit du XXe siècle forcé de vivre et de travailler au XVIIIe.
Il apparaît que Boscovitch était en avance, non seulement sur la science de son temps, mais sur notre propre science. Il propose une théorie unitaire de l'univers, une équation générale et unique régissant la mécanique, la physique, la chimie, la biologie, et même la psychologie. Dans cette théorie, la matière, l'espace et le temps ne sont pas divisibles à l'infini, mais composés de points : de grains. Ceci rappelle les récents travaux de Jean Charon et de Heisenberg, que Boscovitch semble dépasser. Il parvient à rendre compte aussi bien de la lumière que du magnétisme, de l'électricité et de tous les phénomènes de la chimie, connus de son temps, découverts depuis, ou à découvrir. On retrouve chez lui les quanta, la mécanique ondulatoire, l'atome constitué de nucléons. L'historien des sciences L.L. Whyte assure que Boscovitch dépasse de deux cents ans au moins son époque, et qu'on ne pourra réellement le comprendre que lorsque la jonction entre la relativité et la physique des quanta aura été enfin opérée. On estime qu'en 1987, pour le 200e anniversaire de sa naissance présumée, son œuvre sera peut-être appréciée à sa juste valeur.
On n'a encore proposé aucune explication de ce cas prodigieux. Deux éditions complètes de son œuvre, l'une en serbe, l'autre en anglais, sont actuellement en cours. Dans la correspondance déjà publiée (collection Bestermann) entre Boscovitch et Voltaire, on trouve entre autres idées modernes :
– La création d'une année géophysique internationale.
– La transmission de la malaria par les moustiques.
– Les applications possibles du caoutchouc (idée mise en pratique par La Condamine, jésuite ami de Boscovitch).
– L'existence de planètes autour d'autres étoiles que notre soleil.
– L'impossibilité de localiser le psychisme dans une région donnée du corps.
– La conservation du « grain de quantité » de mouvement dans le monde. C'est la constante de Planck, énoncée en 1958.
Boscovitch attribue une importance considérable à l'alchimie et donne des traductions claires, scientifiques, du langage alchimique. Pour lui, par exemple, les quatre éléments, Terre, Eau, Feu et Air, ne se distinguent que par des arrangements particuliers des particules sans masse ni poids qui les constituent, ce qui recoupe la recherche d'avant-garde sur l'équation universelle.
Ce qui est tout aussi hallucinant chez Boscovitch, c'est l'étude des accidents dans la nature. On y trouve déjà la mécanique statistique d'un savant américain Willard Gibbs, proposée à la fin du XIXe siècle et admise seulement au XXe. On y découvre aussi une explication moderne de la radio-activité (parfaitement inconnue au XVIIIe siècle) par une série d'exceptions aux lois naturelles : ce que nous appelons « les pénétrations statistiques des barrières de potentiel ».
Pourquoi cette œuvre extraordinaire n'a-t-elle pas influencé la pensée moderne ? Parce que les philosophes et savants allemands, qui dominèrent la recherche jusqu'à la guerre de 14-18, étaient partisans des structures continues, alors que les conceptions de Boscovitch sont essentiellement fondées sur l'idée de discontinuité. Parce que les enquêtes en bibliothèques et les travaux historiques concernant Boscovitch, grand voyageur à l'œuvre dispersée, et dont les origines se situent dans un pays sans cesse bouleversé, n'ont pu être entrepris systématiquement que très tard. Quand la totalité de ses écrits aura pu être réunie, quand des témoignages de contemporains auront été retrouvés et classés, quelle étrange, inquiétante, bouleversante figure nous apparaîtra !
VII
PARADOXES ET HYPOTHÈSES
SUR L'HOMME ÉVEILLÉ
Pourquoi nos trois histoires ont déçu des lecteurs. – Nous ne savons rien de sérieux sur la lévitation, l'immortalité, etc. – Pourtant l'homme a le don d'ubiquité, il voit à distance, etc. – Qu'appelez-vous une machine ? – Comment aurait pu naître le premier homme éveillé. – Rêve fabuleux mais raisonnable sur les civilisations disparues. – Apologue de la panthère. – L'écriture de Dieu.
Ces cas sont nets. Cependant, ils risquent de décevoir. C'est que la plupart des hommes préfèrent les images aux faits. Marcher sur les eaux est l'image de dominer le mouvant ; arrêter le soleil, de triompher du temps. Dominer le mouvant, triompher du temps, sont peut-être des faits réels, possibles, au sein d'une conscience changée, à l'intérieur d'un esprit puissamment accéléré. Et ces faits peuvent sans doute engendrer mille conséquences considérables dans la réalité tangible : dans les techniques, les sciences, les arts. Mais la plupart des hommes, dès qu'on leur parle d'un état de conscience autre, veulent voir des gens qui marchent sur les eaux, arrêtent le soleil, passent à travers les murs ou paraissent vingt ans à quatre-vingts. Pour commencer à croire en l'infinie possibilité de l'esprit éveillé, ils attendent que la part enfantine de leur intelligence, qui accorde crédit à des images et des légendes, ait trouvé excuse et satisfaction.
Il y a autre chose. En présence de cas comme ceux de Ramanujan, Cayce ou Boscovitch, on refuse de penser qu'il s'agit d'esprits différents. On admet seulement que des esprits comme les nôtres ont eu le privilège de « monter plus haut que d'habitude » et que, « là-haut », ils ont décroché certaines connaissances. Comme s'il existait quelque part dans l'univers une sorte de magasin annexe de la médecine, des mathématiques, de la poésie ou de la physique, dans lequel s'approvisionnent quelques intelligences championnes d'altitude. Cette absurde vision rassure.
Ce qui nous semble, tout au contraire, c'est que Cayce, Ramanujan, Boscovitch sont des esprits qui sont restés ici (et où aller ?), parmi nous, mais qui ont fonctionné à une vitesse extraordinaire. Ce n'est pas affaire de différence de niveau, mais de différence de vitesse. Nous en dirons autant des esprits mystiques les plus grands. Les miracles sont dans l'accélération, en physique nucléaire comme en psychologie. C'est à partir de cette notion qu'il faut, croyons-nous, étudier le troisième état de conscience, ou l'état d'éveil.