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« Parmi les plus jeunes atomistes, écrit Robert Jungk(12), il en est qui regardent leurs travaux comme une sorte de concours intellectuel qui ne comporterait ni signification profonde ni obligations, mais quelques-uns trouvent déjà dans la recherche une expérience religieuse. »

Nos rosicruciens de 1622 faisaient dans Paris « séjour invisible ». Ce qui nous frappe, c'est que, dans le climat actuel de police et d'espionnage, les grands chercheurs parviennent à communiquer entre eux tout en coupant les pistes qui pourraient conduire jusqu'à leurs travaux les gouvernements. Le sort du monde pourrait être débattu par dix savants, et à haute voix, devant Khrouchtchev et Eisenhower, sans que ces messieurs comprennent un mot. Une société internationale de chercheurs qui n'interviendrait pas dans les affaires des hommes, aurait toutes les chances de passer inaperçue, de même que passerait inaperçue une société bornant ses interventions à des cas très particuliers. Ses moyens de communication même pourraient ne pas être repérés. La T.S.F. aurait très bien pu être découverte au XVIIe siècle et les postes à galène, si simples, auraient pu servir aux « initiés ». De même, les recherches modernes sur les moyens parapsychologiques ont pu aboutir à des applications de télécommunications. L'ingénieur américain Victor Enderby a écrit récemment que, si des résultats avaient été obtenus dans ce domaine, ils avaient été gardés secrets, par la volonté spontanée des inventeurs.

Ce qui nous frappe encore, c'est que la tradition Rose-Croix fait allusion à des appareils ou à des machines que la science officielle de l'époque n'a pu fabriquer : lampes perpétuelles, enregistreurs de sons et d'images, etc. La légende décrit des appareils trouvés dans la tombe du symbolique « Christian Rosenkreutz », qui eussent pu être de 1958, mais non de 1622. C'est que la doctrine Rose-Croix porte sur la domination de l'univers par la science et la technique, nullement par l'initiation ou la mystique.

De même, nous pouvons concevoir à notre époque une société maintenant une technologie secrète. Les persécutions politiques, les contraintes sociales, le développement du sens moral et de la conscience d'une effrayante responsabilité, forceront de plus en plus les savants à entrer dans la clandestinité. Or, ce n'est pas cette clandestinité qui ralentira les recherches. On ne saurait penser que les fusées et les énormes machines à briser les atomes sont désormais les seuls instruments du chercheur. Les véritables grandes découvertes ont toujours été faites avec des moyens simples, un équipement succinct. Il est possible qu'il existe dans le monde, en ce moment, certains lieux où la densité intellectuelle est particulièrement grande et où s'affirme cette nouvelle clandestinité. Nous entrons dans une époque qui rappelle beaucoup le début du XVIIe siècle et un nouveau manifeste de 1622 est peut-être en préparation. Il est peut-être même déjà paru. Mais nous ne nous en sommes pas aperçus.

Ce qui nous éloigne de ces pensées, c'est que les temps anciens s'expriment toujours en formules religieuses. Alors, nous ne leur accordons qu'une attention littéraire, ou « spirituelle ». C'est par là que nous sommes des modernes. C'est par là que nous ne sommes pas des contemporains du futur.

Ce qui nous frappe, enfin, c'est l'affirmation réitérée des Rose-Croix et des alchimistes, selon laquelle le but de la science des transmutations est la transmutation de l'esprit lui-même. Il ne s'agit ni de magie, ni de récompense descendue du ciel, mais d'une découverte des réalités qui oblige l'esprit de l'observateur à se situer autrement. Si nous songeons à l'évolution extrêmement rapide de l'état d'esprit des plus grands atomistes, nous commençons à comprendre ce que voulaient dire les Rose-Croix. Nous sommes dans une époque où la science, à son extrémité, atteint l'univers spirituel et transforme l'esprit de l'observateur lui-même, le situe à un autre niveau que celui de l'intelligence scientifique devenue insuffisante. Ce qui arrive à nos atomistes est comparable à l'expérience décrite par les textes alchimiques et par la tradition Rose-Croix. Le langage spirituel n'est pas un balbutiement qui précède le langage scientifique, c'est bien plutôt l'aboutissement de celui-ci. Ce qui se passe dans notre présent a pu se passer dans des temps anciens, sur un autre plan de connaissance, de sorte que la légende Rose-Croix et la réalité d'aujourd'hui s'éclairent mutuellement. Il faut regarder les choses anciennes avec des yeux nouveaux, cela aide à comprendre demain.

Nous ne sommes déjà plus au temps où le progrès s'identifie exclusivement à l'avance scientifique et technique. Une autre donnée apparaît, celle que l'on trouve chez les Supérieurs Inconnus des siècles passés lorsqu'ils montrent l'observation du Liber Mundi débouchant sur « autre chose ». Un physicien éminent, Heisenberg, déclare aujourd'hui : « L'espace dans lequel se développe l'être spirituel de l'homme a d'autres dimensions que celle dans laquelle il s'est déployé pendant les siècles derniers. »

Wells mourut découragé. Ce puissant esprit avait vécu de la foi dans le progrès. Or, Wells, au soir de sa vie, voyait ce progrès prendre des aspects effrayants. Il n'avait plus confiance. La science risquait de détruire le monde, les plus grands moyens d'anéantissement venaient d'être inventés. « L'homme, dit en 1946 le vieux Wells désespéré, est parvenu au terme de ses possibilités. » C'est à ce moment que le vieil homme qui avait été un génie de l'anticipation cessa d'être un contemporain du futur. Nous commençons à deviner que l'homme n'est parvenu qu'au terme d'une de ses possibilités. D'autres possibilités apparaissent. D'autres voies s'ouvrent, que le flux et le reflux de l'océan des âges couvrent et découvrent tour à tour. Wolfgang Pauli, mathématicien et physicien mondialement connu, faisait naguère profession de scientisme étroit dans la meilleure tradition du XIXe siècle. En 1932, au congrès de Copenhague, par son scepticisme glacé et sa volonté de puissance, il apparaissait comme le Méphisto de Faust. En 1955, cet esprit pénétrant avait si largement étendu ses perspectives qu'il se faisait le peintre éloquent d'une voie de salut intérieur longtemps négligée. Cette évolution est typique. Elle est celle de la plupart des grands atomistes. Ce n'est pas une retombée dans le moralisme ou dans une vague religiosité. Il s'agit, au contraire, d'un progrès dans l'équipement de l'esprit d'observation ; d'une réflexion nouvelle sur la nature de la connaissance. « En face de la division des activités de l'esprit humain en domaines distincts, strictement maintenue depuis le XVIIe siècle, dit Wolfgang Pauli, j'imagine un but qui serait la domination des contraires, une synthèse embrassant l'intelligence rationnelle et l'expérience mystique de l'unité. Ce but est le seul qui s'accorde au mythe, exprimé ou non, de notre époque. »

II

Les prophètes de l'Apocalypse. – Un Comité du Désespoir. – La mitrailleuse de Louis XVI. – La Science n'est pas une Vache Sacrée. – Monsieur Despotopoulos veut occulter le progrès. – La légende des Neuf Inconnus.

Il y eut, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, à l'orée des temps modernes, une pléiade de penseurs violemment réactionnaires. Ils voyaient dans la mystique du progrès social une duperie ; dans le progrès scientifique et technique une course à l'abîme. C'est Philippe Lavastine, nouvelle incarnation du héros du Chef-d'Œuvre inconnu de Balzac, et disciple de Gurdjieff, qui me les fit connaître. À cette époque où je lisais René Guénon, maître de l'antiprogressisme, et fréquentais Lanza del Vasto de retour des Indes, je n'étais pas loin de me ranger aux raisons de ces penseurs à contre-courant. C'était tout de suite après la guerre. Einstein venait d'envoyer son fameux télégramme :