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« Même pour des découvertes plus importantes que celles-là, nous méconnaissons l'influence des données fournies par les Anciens. Christophe Colomb a sincèrement avoué tout ce qu'il devait aux savants, aux philosophes, aux poètes antiques. On ignore généralement que Colomb recopia deux fois le chœur du second acte de Médée, une tragédie de Sénèque, où l'acteur parlait d'un monde dont la découverte était réservée aux siècles futurs. On peut consulter cette copie dans le manuscrit de las profecias, lequel se trouve à la bibliothèque de Séville. Colomb s'est souvenu aussi de l'affirmation d'Aristote dans son traité de De Caelo à propos de la sphéricité de la terre.

« Joubert n'avait-il pas raison d'observer que « rien ne rend les esprits si imprudents et si vains que l'ignorance du temps passé et le mépris des anciens livres » ? Comme Rivarol l'écrivait admirablement : « Tout État est un vaisseau mystérieux qui a ses ancres dans le ciel » ; on pourrait dire à propos du temps que le vaisseau de l'avenir à ses ancres dans le ciel du passé. Seul, l'oubli nous menace des pires naufrages.

« Il semble atteindre ses limites avec l'histoire incroyable, si elle n'était vraie, des mines d'or de la Californie. En juin 1848, Marshall en découvrit pour la première fois des pépites sur le bord d'un cours d'eau près duquel il surveillait la construction d'un moulin. Or, Fernand Cortez était déjà passé par là, cherchant, en Californie, des Mexicains que l'on disait porteurs de trésors considérables ; Cortez bouleversa le pays, fouilla toutes les huttes sans même songer à ramasser un peu de sable ; pendant trois siècles, les bandes espagnoles, les missions de la Compagnie de Jésus piétinèrent le sable aurifère, cherchant toujours plus loin l'Eldorado. Pourtant, en 1737, plus de cent ans avant la découverte de Marshall, les lecteurs de la Gazette de Hollande auraient pu savoir que les mines d'or et d'argent de Sonora étaient exploitables car leur journal en donnait la position exacte. De plus, en 1767, on pouvait acheter à Paris un livre intitulé Histoire naturelle et civile de la Californie où l'auteur, Buriell, décrivait les mines d'or et rapportait les témoignages des navigateurs à propos des pépites. Personne ne remarqua ni cet article, ni cet ouvrage, ni ces faits qui, un siècle plus tard, suffirent à déterminer la « ruée vers l'or ». D'ailleurs, lit-on encore les récits des anciens voyageurs arabes ? On y trouverait pourtant des indications fort précieuses pour la prospection minière.

« L'oubli, en réalité, n'épargne rien. De longues recherches, des contrôles précis m'ont donné la conviction que l'Europe et la France possèdent des trésors qu'elles n'exploitent pratiquement point : à savoir les documents anciens de nos grandes bibliothèques. Or, toute technique industrielle doit être élaborée à partir de trois dimensions : l'expérience, la science et l'histoire. Éliminer ou négliger cette dernière, c'est faire preuve d'orgueil et de naïveté. C'est aussi préférer courir le risque de trouver ce qui n'existe pas encore plutôt que de chercher raisonnablement à adapter ce qui est à ce que l'on désire obtenir. Avant d'engager des investissements coûteux, un industriel doit être en possession de tous les éléments technologiques d'un problème. Or, il est clair que la seule recherche de l'antériorité des brevets ne suffit absolument pas à faire le point d'une technique à un moment donné de l'histoire. En effet, les industries sont beaucoup plus anciennes que les sciences ; elles doivent donc être parfaitement informées de l'histoire de leurs procédés dont elles sont souvent moins bien averties qu'elles ne le croient.

« Les Anciens, par des techniques très simples, obtenaient des résultats que nous pouvons reproduire, mais que, souvent, nous serions bien en peine d'expliquer, malgré le lourd arsenal théorique dont nous disposons. Cette simplicité était le don par excellence de la science antique.

« Oui, me direz-vous, mais l'énergie nucléaire ? À cette objection, je répondrai par une citation qui devrait nous faire quelque peu réfléchir. Dans un livre très rare, presque inconnu, même de beaucoup de spécialistes, paru voici plus de quatre-vingts ans et intitulé Les Atlantes, un auteur qui se cacha prudemment sous le pseudonyme de Roisel exposa les résultats de cinquante-six années de recherches et de travaux sur la science antique. Or, exposant les connaissances scientifiques qu'il attribue aux Atlantes, Roisel écrit ces lignes extraordinaires à son époque : « La conséquence de cette activité incessante est en effet l'apparition de la matière, de cet autre équilibre dont la rupture déterminerait également de puissants phénomènes cosmiques. Si, par une cause inconnue, notre système solaire était désagrégé, ses atomes constituants devenus par l'indépendance immédiatement actifs brilleraient dans l'espace d'une lumière ineffable qui annoncerait au loin une vaste destruction et l'espérance d'un monde nouveau. » Il me semble que ce dernier exemple suffit à faire comprendre toute la profondeur du mot de Mlle Bertin : « Il n'y a de nouveau que ce qui est oublié. »

« Voyons maintenant quel intérêt pratique présente pour l'industrie un sondage systématique du passé. Quand je prétends qu'il faut se pencher avec le plus vif intérêt sur les travaux anciens, il ne s'agit pas du tout d'effectuer un travail d'érudition. Il faut seulement, en fonction d'un problème concret posé par l'industrie, rechercher dans les documents scientifiques et techniques anciens, s'il existe, ou bien des faits significatifs négligés, ou bien des procédés oubliés, mais dignes d'intérêt et se rapportant directement à la question posée.

« Les matières plastiques dont nous croyons l'invention très récente, auraient pu être découvertes beaucoup plus tôt si l'on s'était avisé de reprendre certaines expériences du chimiste Berzelius.

« En ce qui concerne la métallurgie, je signalerai un fait assez important. Au début de mes recherches sur certains procédés chimiques des Anciens, j'avais été assez surpris de ne pouvoir reproduire au laboratoire des expériences métallurgiques qui me semblaient pourtant décrites fort clairement. En vain, je cherchai à comprendre les raisons de cet échec, car j'avais observé les indications et les proportions données. En réfléchissant, je m'aperçus que j'avais commis pourtant une erreur. J'avais utilisé des fondants chimiquement purs, alors que les Anciens se servaient de fondants impurs, c'est-à-dire de sels obtenus à partir de produits naturels et capables, par conséquent, de provoquer des actions catalytiques. En effet, l'expérience confirma ce point de vue. Les spécialistes comprendront quelles perspectives importantes ouvrent ces observations. Des économies de combustible et d'énergie pourraient être réalisées par l'adaptation à la métallurgie de certains procédés anciens qui, presque tous, reposent sur l'action de catalyseurs. Sur ce point, mes expériences ont été confirmées aussi bien par les travaux du docteur Ménétrier sur l'action catalytique des oligo-éléments que par les recherches de l'Allemand Mittash sur la catalyse dans la chimie des Anciens. Par des voies différentes, des résultats convergents ont été obtenus. Cette convergence semble prouver qu'en technologie, le temps est venu de tenir compte de l'importance fondamentale de la notion de qualité et de son rôle dans la production de tous les phénomènes quantitatifs observables.