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« Les Anciens connaissaient également des procédés métallurgiques qui semblent oubliés, par exemple la trempe du cuivre dans certains bains organiques. Ils obtenaient ainsi des instruments extraordinairement durs et pénétrants. Ils n'étaient pas moins habiles pour fondre ce métal, même à l'état d'oxyde. Je n'en donnerai qu'un exemple. Un de mes amis, spécialiste de la prospection minière, se trouvait au nord-ouest d'Agadès en plein Sahara. Il y découvrit des minerais de cuivre présentant des traces de fusion et des fonds de creuset contenant encore du métal. Or, il ne s'agissait pas d'un sulfure, mais d'un oxyde, c'est-à-dire d'un corps qui, pour l'industrie actuelle, pose des problèmes de réduction qu'il n'est pas possible de régler sur un simple feu de nomade.

« Dans le domaine des alliages, l'un des plus importants de l'industrie actuelle, bien des faits significatifs n'ont pas échappé aux Anciens. Non seulement ils connaissaient les moyens de produire directement, à partir de minerais complexes, des alliages aux propriétés singulières, procédés auxquels l'industrie soviétique accorde d'ailleurs un très vif intérêt en ce moment, mais encore les Anciens utilisaient des alliages particuliers comme l'électrum que nous n'avons jamais eu la curiosité d'étudier sérieusement, bien que nous en connaissions les recettes de fabrication.

« J'insisterai à peine sur les perspectives du domaine pharmaceutique et médical presque inexploré et ouvert à tant de recherches. Je signalerai seulement l'importance du traitement des brûlures, question d'autant plus grave que les accidents d'automobile et d'aviation la posent pratiquement chaque minute. Or, aucune époque plus que le Moyen Âge, dévasté sans cesse par les incendies, ne découvrit de meilleurs remèdes contre les brûlures, recettes complètement oubliées. Sur ce point, il faut que l'on sache que certains produits de l'ancienne pharmacopée non seulement calmaient les douleurs, mais permettaient d'éviter les cicatrices et de régénérer les cellules.

« Quant aux colorants et aux vernis, il serait superflu de rappeler la très haute qualité des matières élaborées selon les procédés des Anciens. Les couleurs admirables utilisées par les peintres du Moyen Âge n'ont pas été perdues comme on le croit généralement ; je connais en France au moins un manuscrit qui en donne la composition. Personne n'a jamais songé à adapter et à vérifier ces procédés. Or, les peintres modernes, s'ils vivaient encore dans un siècle, ne reconnaîtraient plus leurs toiles car les couleurs utilisées actuellement ne dureront point. D'ailleurs, les jaunes de Van Gogh ont perdu déjà, semble-t-il, l'extraordinaire luminosité qui les caractérisait.

« S'agit-il de mines ? J'indiquerai seulement à ce sujet une étroite liaison entre la recherche médicale et la prospection minière. Les applications thérapeutiques des plantes, ce que l'on appelle la phytothérapie, très connue des Anciens, se relient en effet à une science nouvelle, la biogéochimie. Cette discipline se propose de déceler les anomalies positives concernant les traces de métaux dans les plantes et qui indiquent la proximité des gîtes miniers. Ainsi, peut-on déterminer des affinités particulières de certaines plantes pour certains métaux et par conséquent, ces données sont capables d'être utilisées aussi bien sur le plan de la prospection minière que dans le domaine de l'action thérapeutique. C'est là encore un exemple caractéristique d'un fait qui me semble être le plus important de l'histoire actuelle des techniques, à savoir la convergence des diverses disciplines scientifiques, ce qui implique l'exigence de constantes synthèses.

« Citons encore quelques autres directions de recherches et d'applications industrielles : les engrais, vaste domaine dans lequel les anciens chimistes ont obtenu des résultats généralement ignorés. Je songe notamment à ce qu'ils nommaient « l'essence de fécondité », produit composé de certains sels mêlés à des fumiers digérés ou distillés.

« La verrerie antique, vaste question encore mal connue : les Romains utilisaient déjà des planchers de verre ; d'ailleurs, l'étude des anciens procédés de verriers pourrait apporter une aide précieuse à la solution de problèmes ultra-modernes, comme par exemple la dispersion des terres rares et du palladium dans le verre, ce qui permettrait d'obtenir des tubes fluorescents en lumière noire.

« Quant à l'industrie textile, malgré le triomphe des plastiques ou plutôt en raison même de ce triomphe, elle devrait s'orienter vers la production, par le commerce de luxe, de tissus de très haute qualité, qui pourraient être par exemple teints selon les normes antiques, ou bien encore essayer de fabriquer cette singulière étoffe connue sous le nom de Piléma. Il s'agissait de tissus de lin ou de laine traités par certains acides et qui résistaient au tranchant du fer comme à l'action du feu. D'ailleurs, le procédé a été connu des Gaulois et ils l'utilisaient pour la fabrication des cuirasses.

« L'industrie de l'ameublement, en raison du prix encore très élevé des revêtements plastiques, pourrait trouver aussi des solutions avantageuses en adaptant des procédés anciens qui augmentaient considérablement, par une sorte de trempe, la résistance du bois aux divers agents physiques et chimiques. Les entreprises de travaux publics auraient intérêt à reprendre l'étude de ciments spéciaux dont les proportions sont données dans les traités des XVe et XVIe siècles et qui présentent des caractéristiques très supérieures à celles du ciment moderne.

« L'industrie soviétique a utilisé récemment, dans la fabrication des outils de coupe, de la céramique plus dure que les métaux. Ce durcissement pourrait également être étudié à la lumière des anciens procédés de trempe.

«  Enfin, sans pouvoir insister sur ce problème, j'indiquerai une orientation des recherches physiques qui pourrait avoir des conséquences profondes. Je fais allusion à des travaux concernant l'énergie magnétique terrestre. Il y a dans ce sens des observations très anciennes qui n'ont jamais été sérieusement vérifiées malgré leur intérêt incontestable.

«  Qu'il s'agisse finalement des expériences du passé ou des possibilités de l'avenir, je crois que le réalisme profond nous enseigne à nous détourner du présent. Cette affirmation peut sembler paradoxale, mais il suffit de réfléchir pour comprendre que le présent n'est qu'un point de contact entre la ligne du passé et celle de l'avenir. Appuyés fermement sur l'expérience ancestrale, nous devons regarder devant nous plutôt qu'à nos pieds et ne pas tenir compte exagérément du bref intervalle de déséquilibre durant lequel nous traversons l'espace et la durée. Le mouvement de la marche nous le prouve et la lucidité de notre regard doit maintenir égale la balance entre ce qui a été et ce qui va être. »

IV

Le Savoir et le Pouvoir s'occultent. – Une vision de la guerre révolutionnaire. – La technique ressuscite les Guildes. – Le retour à l'âge des Adeptes. – Un romancier avait vu juste : il y a des « Centrales d'Énergie ». – De la monarchie à la cryptocratie. – La société secrète, future forme de gouvernement. – L'intelligence est elle-même une société secrète. – On frappe à la porte.

Dans un article très étrange, mais qui, semble-t-il, reflétait l'opinion de beaucoup d'intellectuels français, Jean-Paul Sartre refusait purement et simplement à la bombe H le droit à l'existence. L'existence, dans la théorie de ce philosophe, précède l'essence. Mais voici un phénomène dont l'essence ne lui convient pas : il en refuse l'existence. Singulière contradiction ! « La bombe H, écrivait Jean-Paul Sartre, est contre l'histoire. » Comment un fait de civilisation pourrait-il être « contre l'histoire » ? Qu'est-ce que l'histoire ? Pour Sartre, c'est le mouvement qui doit nécessairement amener les masses au pouvoir. Qu'est-ce que la bombe H ? Une réserve de puissance maniable par quelques hommes. Une société très étroite de savants, de techniciens, de politiques, peut décider du sort de l'humanité. Pour que l'histoire ait le sens que nous lui avons assigné, supprimons la bombe H. Ainsi voyait-on le progressisme social exiger l'arrêt du progrès. Une sociologie née au XIXe siècle réclamait le retour à son époque d'origine. Qu'on nous entende bien : il ne s'agit pas pour nous, ni d'approuver la fabrication des armes de destruction, ni d'aller contre la soif de justice qui anime ce qu'il y a de plus pur dans les sociétés humaines. Il s'agit d'examiner les choses d'un point de vue différent.