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«  Glatigny a un réflexe d'officier de tradition ; il ne peut croire que ce nha-quê accroupi qui fume du tabac puant commandait comme lui un bataillon, avait le même rang et les mêmes responsabilités que lui… C'est donc l'un des responsables de la division 308, la meilleure, la mieux encadrée de toute l'Armée Populaire ; c'est ce paysan sorti de sa rizière qui l'a battu, lui, Glatigny, le descendant d'une des grandes dynasties militaires d'Occident… »

Paul Mousset, journaliste célèbre, correspondant de guerre en Indochine et en Algérie, me disait : « J'ai toujours eu le sentiment que le boy, le petit boutiquier, étaient peut-être les grands responsables… Le monde nouveau camoufle ses chefs, comme ces insectes qui ressemblent à des branches, à des feuilles… »

Après la chute de Staline, les experts politiques ne parviennent pas à se mettre d'accord sur l'identité du véritable gouvernant de l'U.R.S.S. Au moment où ces experts nous assurent enfin que c'est Béria, on apprend que celui-ci vient d'être exécuté. Nul ne saurait désigner nommément les vrais maîtres d'un pays qui contrôle un milliard d'hommes et la moitié des terres habitables du globe…

La menace de guerre est le révélateur de la forme réelle des gouvernements. En juin 1955, l'Amérique avait prévu une « opération-alerte » au cours de laquelle le gouvernement quittait Washington pour aller travailler « quelque part aux États-Unis ». Dans le cas où ce refuge se trouvait détruit, une procédure était prévue aux termes de laquelle ce gouvernement transférait ses pouvoirs à un gouvernement fantôme (l'expression textuelle est « gouvernement d'ombres ») d'ores et déjà désigné. Ce gouvernement comporte des sénateurs, des députés et des experts dont les noms ne peuvent être divulgués. Ainsi le passage à la cryptocratie, dans un des pays les plus puissants de la planète, est officiellement annoncé.

En cas de guerre, sans doute verrions-nous se substituer aux gouvernements apparents, ces « gouvernements d'ombres », installés peut-être dans les cavernes de Virginie pour les U.S.A., sur une station flottante dans l'Arctique pour l'U.R.S.S. Et, à partir de ce moment, ce serait crime de trahison que de dévoiler l'identité des responsables. Armées de cerveaux électroniques pour réduire au minimum le personnel administratif, des sociétés secrètes organiseraient le gigantesque combat des deux blocs de l'humanité. Il n'est pas même exclu que ces gouvernements siègent hors de notre monde, dans des satellites artificiels tournant autour de la terre.

Nous ne faisons pas de la philosophie-fiction ou de l'histoire-fiction. Nous faisons du réalisme fantastique.

Nous sommes sceptiques sur beaucoup de points où des esprits qui passent pour « raisonnables » le sont moins. Nous ne cherchons pas du tout à orienter l'attention vers quelque vain occultisme, vers quelque interprétation magico-délirante des faits. Nous ne proposons pas quelque religion. Nous ne croyons qu'en l'intelligence. Nous pensons qu'à un certain niveau, l'intelligence est elle-même une société secrète. Nous pensons que son pouvoir est illimité quand elle se développe tout entière, comme un chêne en pleine terre, au lieu d'être rabougrie comme dans un pot à fleurs.

C'est en fonction des perspectives que nous venons de découvrir, d'autres encore, plus étranges, et qui se déploieront bientôt sous nos yeux, qu'il convient donc de reconsidérer l'idée de société secrète. Nous n'avons pu, ici comme ailleurs, qu'esquisser le travail de recherches et de réflexions. Nous savons bien que notre vision des choses risque de paraître folle : c'est que nous disons rapidement et brutalement ce que nous avons à dire, comme on frappe à la porte d'un dormeur quand le temps presse.

L'ALCHIMIE COMME EXEMPLE

I

Un alchimiste au café Procope, en 1953. – Conversation à propos de Gurdjieff – Un homme qui prétend savoir que la pierre philosophale est une réalité. – Bergier m'entraîne à toute vitesse dans un drôle de raccourci. – Ce que je vois me libère du bête mépris du progrès. – Nos arrière-pensées sur l'alchimie : ni révélation, ni tâtonnement. – Courte méditation sur la spirale et l'espérance.

C'est en mars 1953 que j'ai rencontré pour la première fois un alchimiste. Cela se passait au café Procope qui connut, à cette époque, un court regain de vie. Un grand poète, alors que j'écrivais mon livre sur Gurdjieff, m'avait ménagé cette rencontre et je devais revoir souvent cet homme singulier sans toutefois percer ses secrets.

J'avais, sur l'alchimie et les alchimistes, des idées primaires, puisées dans l'imaginerie populaire, et j'étais loin de savoir qu'il y avait encore des alchimistes. L'homme qui était assis en face de moi, à la table de Voltaire, était jeune, élégant. Il avait fait de fortes études classiques, suivies d'études de chimie. Présentement, il gagnait sa vie dans le commerce et fréquentait beaucoup d'artistes, ainsi que quelques gens du monde.

Je ne tiens pas un journal intime, mais il m'arrive, en quelques occasions importantes, de noter mes observations ou mes sentiments. Cette nuit-là, rentré chez moi, j'écrivis ceci :

«  Quel âge peut-il avoir ? Il dit trente-cinq ans. Cela confond. La chevelure blanche, frisée, découpée sur le crâne comme une perruque. Des rides nombreuses et profondes sous une chair rose, dans un visage plein. Très peu de gestes, lents, mesurés, habiles. Un sourire calme et aigu. Des yeux rieurs, mais qui rient de manière détachée. Tout exprime un autre âge. Dans ses propos, pas une fêlure, un écart, une retombée de la présence d'esprit. Il y a du sphinx derrière cet affable visage hors du temps. Incompréhensible. Et ce n'est pas seulement mon impression. A.B., qui le voit presque tous les jours depuis des semaines, me dit qu'il ne l'a jamais, une seconde, pris en défaut « d'objectivité supérieure ».

« Ce qui lui fait condamner Gurdjieff :

«  1° Qui éprouve le besoin d'enseigner ne vit pas entièrement sa doctrine et n'est pas au sommet de l'initiation.

« 2° À l'école de Gurdjieff, il n'y a pas d'intercession matérielle entre l'élève que l'on a persuadé de son néant et l'énergie qu'il doit parvenir à posséder pour passer à l'être réel. Cette énergie – « cette volonté de la volonté », dit Gurdjieff – l'élève doit la trouver en lui-même, rien qu'en lui-même. Or, cette démarche est partiellement fausse et ne peut conduire qu'au désespoir. Cette énergie existe hors de l'homme, et il s'agit de la capter. Le catholique qui avale l'hostie : captation rituelle de cette énergie. Mais si vous n'avez pas la foi ? Si vous n'avez pas la foi, ayez un feu : c'est toute l'alchimie. Un vrai feu. Un feu matériel. Tout commence, tout arrive par le contact avec la matière.

«  3° Gurdjieff ne vivait pas seul, toujours entouré, toujours en phalanstère. « Il y a un chemin dans la solitude, il y a des rivières dans le désert. » Il n'y a ni chemin ni rivière dans l'homme mêlé aux autres.

« Je pose, sur l'alchimie, des questions qui doivent lui paraître d'une écœurante sottise. Il n'en montre rien et répond :

«  Rien que matière, rien que contact avec la matière, travail sur la matière, travail avec les mains. Il insiste beaucoup là-dessus :

« — Aimez-vous le jardinage ? Voilà un bon début, l'alchimie est comparable au jardinage.

« — Aimez-vous la pêche ? L'alchimie a quelque chose de commun avec la pêche.

«  Travail de femme et jeu d'enfant.

«  On ne saurait enseigner l'alchimie. Toutes les grandes œuvres littéraires qui ont passé les siècles portent une partie de cet enseignement. Elles sont le fait d'hommes adultes – vraiment adultes – qui ont parlé à des enfants, tout en respectant les lois de la connaissance adulte. On ne prend jamais une grande œuvre en défaut sur « les principes ». Mais la connaissance de ces principes et la voie qui mène à cette connaissance doivent demeurer cachées. Cependant, il y a un devoir d'entraide pour les chercheurs du premier degré.