La distinction est nette entre l'alchimie et les fausses sciences comme la radiesthésie qui introduit les ondes ou des rayons dans ses publications après que la science officielle les a découverts. Tout pourrait nous inviter à penser que l'alchimie est susceptible d'apporter une contribution importante aux connaissances et aux techniques de l'avenir basées sur la structure de la matière.
Nous avons constaté aussi, dans la littérature alchimique, l'existence d'un nombre impressionnant de textes purement délirants. On a parfois voulu expliquer ce délire par la psychanalyse (Jung : Psychologie et Alchimie, ou Herbert Silberer : Problèmes du Mysticisme). Plus souvent comme l'alchimie contient une doctrine métaphysique et suppose une attitude mystique, les historiens, les curieux et surtout les occultistes se sont acharnés à interpréter ces propos démentiels dans le sens d'une révélation supranaturelle, d'une vaticination inspirée. À y regarder de près, il nous a paru raisonnable de tenir, à côté des textes techniques et des textes de sagesse, les textes démentiels pour des textes démentiels. Il nous a paru aussi que cette démence de l'adepte expérimentateur pouvait trouver une explication matérielle, simple, satisfaisante. Le mercure était fréquemment utilisé par les alchimistes. Sa vapeur est toxique et l'empoisonnement chronique provoque le délire. Théoriquement, les récipients employés étaient absolument hermétiques, mais le secret de cette fermeture n'est pas donné à tout adepte, et la folie a pu envahir plus d'un « philosophe chimique ».
Enfin, nous avons été frappés par l'aspect de cryptogramme de la littérature alchimique. Blaise Vigenère, que nous avons cité tout à l'heure, inventa les codes les plus perfectionnés et les méthodes de chiffrage les plus ingénieuses. Ses inventions en cette matière sont encore utilisées aujourd'hui. Or, il est probable que Blaise Vigenère prit contact avec cette science du chiffre en essayant d'interpréter les textes alchimiques. Il conviendrait d'ajouter aux équipes de chercheurs que nous souhaitons voir réunies, des spécialistes du déchiffrage.
« Afin de donner un exemple plus clair, écrit René Alleau(21), nous prendrons celui du jeu d'échecs dont on connaît la simplicité relative des règles et des éléments ainsi que l'indéfinie variété des combinaisons. Si l'on suppose que l'ensemble des traités acroamatiques de l'alchimie se présente à nous comme autant de parties annotées en un langage conventionnel, il faut admettre d'abord, honnêtement, que nous ignorons et les règles du jeu, et le chiffre utilisé. Sinon, nous affirmons que l'indication cryptographique est composée de signes directement compréhensibles par n'importe quel individu, ce qui est précisément l'illusion immédiate que doit provoquer un cryptogramme bien composé. Ainsi la prudence nous conseille-t-elle de ne pas nous laisser séduire par la tentation d'un sens clair et d'étudier ces textes comme s'il s'agissait d'une langue inconnue.
« Apparemment, ces messages ne s'adressent qu'à d'autres joueurs, à d'autres alchimistes dont nous devons penser qu'ils possèdent déjà, par quelque moyen diffèrent de la tradition écrite, la clé nécessaire à la compréhension exacte de ce langage. »
Aussi loin que l'on remonte dans le passé, on trouve des manuscrits alchimiques. Nicolas de Valois, au XVe siècle, en déduisait que les transmutations, que les secrets et les techniques de la libération de l'énergie ont été connus des hommes avant l'écriture même. L'architecture a précédé l'écriture. Elle a peut-être été une forme d'écriture. Aussi bien voyons-nous l'alchimie liée très intimement à l'architecture. Un des textes les plus significatifs de l'alchimie, dont l'auteur est le sieur Esprit Gobineau de Montluisant, s'intitule : « Explications très curieuses des énigmes et figures hiéroglyphiques qui sont au grand portail de Notre-Dame de Paris. » Les ouvrages de Fulcanelli sont consacrés au « Mystère des Cathédrales » et à de minutieuses descriptions des « Demeures Philosophales ». Certaines constructions médiévales témoigneraient de l'habitude immémoriale de transmettre par l'architecture le message de l'alchimie qui remonterait à des âges infiniment reculés de l'humanité.
Newton croyait à l'existence d'une chaîne d'initiés s'étendant dans le temps jusqu'à une très lointaine antiquité, et qui auraient connu les secrets des transmutations et de la désintégration de la matière. Le savant atomiste anglais Da Costa Andrade, dans un discours prononcé devant ses pairs à l'occasion du tricentenaire de Newton, à Cambridge, en juillet 1946, n'a pas hésité à laisser entendre que l'inventeur de la gravitation appartenait peut-être à cette chaîne et n'avait révélé au monde qu'une petite partie de son savoir :
« Je ne peux, a-t-il dit(22), espérer convaincre les sceptiques que Newton avait des pouvoirs de prophétie ou de vision spéciale qui lui auraient révélé l'énergie atomique, mais je dirai simplement que les phrases que je vais vous citer dépassent de beaucoup, dans la pensée de Newton parlant de la transmutation alchimique, l'inquiétude d'un bouleversement du commerce mondial par suite de la synthèse de l'or. Voici ce que Newton écrit :
« “La façon dont le mercure peut être ainsi imprégné a été gardée secrète par ceux qui savaient et constitue probablement une porte vers quelque chose de plus noble (que la fabrication de l'or) qui ne peut être communiqué sans que le monde coure à un immense danger, si les écrits d'Hermès disent vrai.”
« Et plus loin encore, Newton écrit : “Il existe d'autres Grands Mystères que la transmutation des métaux si les grands maîtres ne se vantent point. Eux seuls connaissent ces secrets.”
« En réfléchissant au sens profond de ce passage, souvenez-vous que Newton parle avec la même réticence et la même prudence annonciatrice de ses propres découvertes en optique. »
De quel passé viendraient ces grands maîtres invoqués par Newton, et dans quel passé eux-mêmes auraient-ils puisé leur science ?
« Si je suis monté si haut, dit Newton, c'est que j'étais sur l'épaule des géants. »
Atterbury, contemporain de Newton, écrivait :
« La modestie nous apprend à parler avec respect au sujet des Anciens, surtout quand nous ne connaissons pas parfaitement leurs ouvrages. Newton, qui les savait presque par cœur, avait pour eux le plus grand respect et il les considérait comme des hommes d'un profond génie et d'un esprit supérieur qui avaient porté leurs découvertes en tous genres beaucoup plus loin qu'il ne nous paraît à présent, par ce qui reste de leurs écrits. Il y a plus d'ouvrages antiques perdus que conservés et peut-être nos nouvelles découvertes ne valent-elles pas nos pertes anciennes. »
Pour Fulcanelli, l'alchimie serait le lien avec des civilisations englouties depuis des millénaires et ignorées des archéologues. Bien entendu, aucun archéologue réputé sérieux et aucun historien d'égale réputation n'admettra l'existence dans le passé de civilisations possédant une science et des techniques supérieures aux nôtres. Mais une science et des techniques avancées simplifient à l'extrême l'appareillage, et les vestiges sont peut-être sous nos yeux, sans que nous soyons capables de les voir comme tels. Aucun archéologue et aucun historien sérieux, n'ayant reçu une formation scientifique poussée, ne pourra effectuer des fouilles susceptibles de nous apporter là-dessus quelque lumière. Le cloisonnement des disciplines, qui fut une nécessité du fabuleux progrès contemporain, nous cache peut-être quelque chose de fabuleux dans le passé.