On sait que c'est un ingénieur allemand, chargé de construire les égouts de Bagdad, qui découvrit dans le bric-à-brac du musée local, sous la vague étiquette « objets de culte », des piles électriques fabriquées dix siècles avant Volta, sous la dynastie des Sassanides.
Tant que l'archéologie ne sera pratiquée que par les archéologues, nous ne saurons pas si la « nuit des temps » était obscure ou lumineuse.
« Jean-Frédéric Schweitzer, dit Helvétius, violent adversaire de l'alchimie, rapporte que dans la matinée du 27 décembre 1666, un étranger se présenta chez lui(23). C'était un homme d'apparence honnête et grave, et de mine autoritaire, vêtu d'un simple manteau, comme un mennonite. Ayant demandé à Helvétius s'il croyait à la pierre philosophale (ce à quoi le fameux docteur répondit par la négative), l'étranger ouvrit une petite boîte d'ivoire « contenant trois morceaux d'une substance ressemblant à du verre ou à de l'opale ». Son propriétaire déclara que c'était la fameuse pierre, et qu'avec une quantité aussi minime, il pouvait produire vingt tonnes d'or. Helvétius en tint un fragment dans la main, et, ayant remercié le visiteur de son amabilité, il le pria de lui en donner un peu. L'alchimiste refusa d'un ton brusque, ajoutant avec plus de courtoisie que, pour toute la fortune d'Helvétius, il ne pourrait se séparer de la moindre parcelle de ce minéral, pour une raison qu'il ne lui était pas permis de divulguer. Prié de fournir la preuve de ses dires, en réalisant une transmutation, l'étranger répondit qu'il reviendrait trois semaines plus tard, et montrerait à Helvétius une chose susceptible de l'étonner. Il revint ponctuellement au jour dit, mais refusa d'opérer, affirmant qu'il lui était interdit de révéler le secret. Il condescendit pourtant à donner à Helvétius un petit fragment de la pierre « pas plus gros qu'un grain de sénevé ». Et comme le docteur émettait le doute qu'une quantité aussi infime pût produire le moindre effet, l'alchimiste brisa le corpuscule en deux, en jeta une moitié et lui tendit l'autre en disant : « Voici même ce qui vous suffit. »
« Notre savant dut alors avouer qu'à la première visite de l'étranger, il avait réussi à s'approprier quelques particules de la pierre et qu'elles avaient changé le plomb, non point en or, mais en verre. – « Vous auriez dû protéger votre butin avec de la cire jaune, répondit l'alchimiste, cela aurait aidé à pénétrer le plomb et à le transformer en or. » L'homme promit de revenir le lendemain matin, à neuf heures, et de réaliser le miracle, – mais il ne vint pas, et le surlendemain non plus. Ce que voyant, la femme d'Helvétius le persuada de tenter lui-même la transmutation :
« Helvétius procéda conformément aux directives de l'étranger. Il fit fondre trois drachmes de plomb, entoura la pierre de cire, et la laissa tomber dans le métal liquide. Celui-ci se changea en or ! « Nous le portâmes immédiatement à l'orfèvre, qui déclara que c'était l'or le plus fin qu'il eût jamais vu, et il en offrit cinquante florins l'once. » Helvétius, en concluant son rapport, nous dit que le lingot d'or était toujours en sa possession, preuve tangible de la transmutation. « Puissent les Saints Anges de Dieu veiller sur lui (l'alchimiste anonyme) comme sur une source de bénédictions pour la chrétienté. Telle est notre prière constante, pour lui et pour nous. »
« La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Spinoza, que nous ne pouvons compter au nombre des naïfs, voulut avoir le fin mot de l'histoire. Il rendit visite à l'orfèvre qui avait expertisé l'or. Le rapport fut plus que favorable : au cours de la fusion de l'argent incorporé au mélange s'était également transformé en or. L'orfèvre, Brechtel, était monnayeur du duc d'Orange. Il connaissait certainement son métier. Il semble difficile de croire qu'il ait pu être la victime d'un subterfuge, ou qu'il ait voulu abuser Spinoza. Spinoza se rendit alors chez Helvétius qui lui montra l'or et le creuset qui avait servi à l'opération Des bribes du précieux métal adhéraient encore à l'intérieur du récipient ; comme les autres, Spinoza fut convaincu que la transmutation avait réellement eu lieu. »
La transmutation, pour l'alchimiste, est un phénomène secondaire, réalisé simplement à titre de démonstration. Il est difficile de se faire une opinion sur la réalité de ces transmutations, quoique diverses observations, comme celle d'Helvétius ou celle de Van Helmont, par exemple, semblent frappantes. On peut alléguer que l'art du prestidigitateur est sans limite, mais quatre mille ans de recherches et cent mille volumes ou manuscrits auraient-ils été consacrés à une fourberie ? Nous proposons autre chose, comme on le verra tout à l'heure. Nous le proposons timidement, car le poids de l'opinion scientifique acquise est redoutable. Nous essaierons de décrire le travail de l'alchimiste, qui aboutit à la fabrication de la « pierre » ou « poudre de projection », et nous verrons que l'interprétation de certaines opérations se heurte à notre savoir actuel sur la structure de la matière. Mais il n'est pas évident que notre connaissance des phénomènes nucléaires soit parfaite, définitive. La catalyse, en particulier, peut intervenir dans ces phénomènes d'une manière encore inattendue pour nous(24).
Il n'est pas impossible que certains mélanges naturels produisent, sous l'effet des rayons cosmiques, des réactions nucléo-catalytiques à grande échelle, conduisant à une transmutation massive d'éléments. Il faudrait voir là une des clés de l'alchimie et la raison pour laquelle l'alchimiste répète indéfiniment ses manipulations, jusqu'au moment où les conditions cosmiques sont réunies.
L'objection est : si des transmutations de cette nature sont possibles, que devient l'énergie dégagée ? Bien des alchimistes auraient dû faire sauter la ville qu'ils habitaient et quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés de leur patrie par la même occasion. De nombreuses et immenses catastrophes auraient dû se produire.
Les alchimistes répondent : c'est justement parce que de telles catastrophes ont eu lieu dans un lointain passé, que nous craignons la terrible énergie contenue dans la matière et que nous gardons secrète notre science. En outre, le « Grand Œuvre » est atteint par phases progressives et celui qui, au terme de dizaines et de dizaines d'années de manipulations et d'ascèse, apprend à déchaîner les forces nucléaires, apprend également quelles précautions il convient d'observer pour éviter le danger.
Argument valable ? Peut-être. Les physiciens d'aujourd'hui admettent que, dans certaines conditions, l'énergie d'une transmutation nucléaire pourrait être absorbée par des particules spéciales qu'ils appellent neutrinos, ou antineutrinos. Quelques preuves de l'existence du neutrino semblent avoir été apportées. Il y a peut-être des types de transmutations qui ne libèrent que peu d'énergie, ou dans lesquelles l'énergie libérée s'en va sous forme de neutrinos. Nous reviendrons sur cette question.
M. Eugène Canseliet, disciple de Fulcanelli et l'un des meilleurs spécialistes actuels de l'alchimie, tomba en arrêt sur un passage d'une étude que Jacques Bergier avait écrite en préface à l'un des ouvrages classiques de la Bibliothèque Mondiale. Il s'agissait d'une anthologie de la poésie du XVIe siècle. Dans cette préface, Bergier faisait allusion aux alchimistes et à leur volonté de secret. Il écrivait : « Sur ce point particulier, il est difficile de ne pas leur donner raison. S'il existe un procédé permettant de fabriquer des bombes à hydrogène sur un fourneau de cuisine, il est nettement préférable que ce procédé ne soit pas révélé. »
M. Eugène Canseliet nous répondit alors : « Il ne faudrait surtout pas que l'on prit cela pour une boutade. Vous avez vu juste, et je suis bien placé pour affirmer qu'il est possible de parvenir à la fission atomique en partant d'un minerai relativement commun et bon marché, et cela par un processus d'opérations ne réclamant rien d'autre qu'une bonne cheminée, un four de fusion de charbon, quelques brûleurs Meker et quatre bouteilles de gaz butane. »