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En 1934, il se consacrait à la physique nucléaire et avait monté, avec le concours de groupes industriels, un laboratoire de recherches sur la nucléonique où des résultats d'un intérêt considérable furent obtenus jusqu'en 1940. Helbronner était en outre expert auprès des tribunaux pour toutes les affaires touchant la transmutation des éléments, et c'est ainsi que Jacques Bergier eut l'occasion de rencontrer un certain nombre de faux alchimistes, escrocs ou illuminés, et un alchimiste véritable, un vrai maître.

Mon ami ne sut jamais le nom réel de cet alchimiste, et le saurait-il qu'il se garderait de donner trop d'indices. L'homme dont nous allons parler a disparu depuis longtemps déjà, sans laisser de traces visibles. Il est entré en clandestinité, ayant volontairement coupé tous les ponts entre le siècle et lui. Bergier pense seulement qu'il s'agissait de l'homme qui, sous le pseudonyme de Fulcanelli, écrivit aux environs de 1920 deux livres étranges et admirables : Les Demeures Philosophales et Le Mystère des Cathédrales. Ces livres furent édités par les soins de M. Eugène Canseliet, qui ne révéla jamais l'identité de l'auteur(27). Ils sont certainement parmi les ouvrages les plus importants sur l'alchimie. Ils expriment une connaissance et une sagesse souveraines, et nous savons plus d'un grand esprit qui vénère le nom légendaire de Fulcanelli.

« Pouvait-il, écrit M. Eugène Canseliet, arrivé au faîte de la connaissance, refuser d'obéir aux ordres du Destin ? Nul n'est prophète en son pays. Ce vieil adage donne, peut-être, la raison occulte du bouleversement que provoque, dans la vie solitaire et studieuse du philosophe, l'étincelle de la révélation. Sous l'effet de cette flamme divine, le vieil homme est tout entier consumé. Nom, famille, patrie, toutes les illusions, toutes les erreurs, toutes les vanités tombent en poussière. Et de ces cendres, comme le phénix des poètes, une personnalité nouvelle renaît. Ainsi, du moins, le veut la tradition philosophique.

« Mon maître le savait. Il disparut quand sonna l'heure fatidique, lorsque le signe fut accompli. Qui donc oserait se soustraire à la loi ? Moi-même, malgré le déchirement d'une séparation douloureuse, mais inévitable, s'il m'arrivait aujourd'hui l'heureux avènement qui contraignit mon maître à fuir les hommages du monde, je n'agirais pas autrement. »

M. Eugène Canseliet écrivit ces lignes en 1925. L'homme qui lui laissait le soin d'éditer ses ouvrages allait changer d'aspect et de milieu. En 1937, un après-midi de juin, Jacques Bergier crut avoir d'excellentes raisons de penser qu'il se trouvait en présence de Fulcanelli.

C'est à la demande d'André Helbronner que mon ami rencontra le mystérieux personnage, dans le cadre prosaïque d'un laboratoire d'essai de la Société du Gaz de Paris. Voici exactement la conversation :

« M. André Helbronner, dont vous êtes, je crois, l'assistant, est à la recherche de l'énergie nucléaire. M. Helbronner a bien voulu me tenir au courant de quelques-uns des résultats obtenus, et notamment de l'apparition de la radio-activité correspondant à du polonium, lorsqu'un fil de bismuth est volatilisé par une décharge électrique dans du deutérium à haute pression. Vous êtes très près de la réussite, comme d'ailleurs quelques autres savants contemporains. Puis-je me permettre de vous mettre en garde ? Les travaux auxquels vous vous livrez, vous et vos pareils, sont terriblement dangereux. Ils ne vous mettent pas seuls en péril. Ils sont redoutables pour l'humanité tout entière. La libération de l'énergie nucléaire est plus facile que vous ne le pensez. Et la radio-activité artificielle produite peut empoisonner l'atmosphère de la planète en quelques années. En outre, des explosifs atomiques peuvent être fabriqués à partir de quelques grammes de métal, et raser des villes. Je vous le dis tout net : les alchimistes le savent depuis longtemps. »

Bergier tenta d'interrompre en s'insurgeant. Les alchimistes et la physique moderne ! Il allait se lancer dans les sarcasmes, quand son hôte l'interrompit :

« Je sais ce que vous allez me dire, mais c'est sans intérêt. Les alchimistes ne connaissaient pas la structure du noyau, ne connaissaient pas l'électricité, n'avaient aucun moyen de détection. Ils n'ont donc pu opérer aucune transmutation, ils n'ont donc jamais pu libérer l'énergie nucléaire. Je n'essaierai pas de vous prouver ce que je vais vous déclarer maintenant, mais je vous prie de le répéter à M. Helbronner : des arrangements géométriques de matériaux extrêmement purs suffisent pour déchaîner les forces atomiques, sans qu'il y ait besoin d'utiliser l'électricité ou la technique du vide. Je me bornerai ensuite à vous faire une courte lecture. »

L'homme prit sur son bureau l'ouvrage de Frédéric Soddy : L'interprétation du Radium, l'ouvrit et lut :

« Je pense qu'il a existé dans le passé des civilisations qui ont connu l'énergie de l'atome et qu'un mauvais usage de cette énergie a totalement détruites. »

Puis il reprit :

« Je vous demande d'admettre que quelques techniques partielles ont survécu. Je vous demande aussi de réfléchir au fait que les alchimistes mêlaient à leurs recherches des préoccupations morales et religieuses, tandis que la physique moderne est née au XVIIIe siècle de l'amusement de quelques seigneurs et de quelques riches libertins. Science sans conscience… J'ai cru bien faire en avertissant quelques chercheurs, de-ci, de-là, mais je n'ai nul espoir de voir cet avertissement porter ses fruits. Au reste, je n'ai pas besoin d'espérer. »

Bergier devait toujours garder dans l'oreille le son de cette voix précise, métallique et digne.

Il se permit de poser une question :

« Si vous êtes alchimiste vous-même, monsieur, je ne puis croire que vous passiez votre temps à tenter de fabriquer de l'or, comme Dunikovski ou le docteur Miethe. Depuis un an, j'essaie de me documenter sur l'alchimie, et je nage parmi les charlatans ou les interprétations qui me semblent fantaisistes. Vous, monsieur, pouvez-vous me dire en quoi consistent vos recherches ?

— Vous me demandez de résumer en quatre minutes quatre mille ans de philosophie et les efforts de toute ma vie. Vous me demandez en outre de traduire en langage clair des concepts pour lesquels n'est pas fait le langage clair. Je puis tout de même vous dire ceci : vous n'ignorez pas que, dans la science officielle en progrès, le rôle de l'observateur devient de plus en plus important. La relativité, le principe d'incertitude vous montrent à quel point l'observateur intervient aujourd'hui dans les phénomènes. Le secret de l'alchimie, le voici : il existe un moyen de manipuler la matière et l'énergie de façon à produire ce que les scientifiques contemporains nommeraient un champ de force. Ce champ de force agit sur l'observateur et le met dans une situation privilégiée en face de l'univers. De ce point privilégié, il a accès à des réalités que l'espace et le temps, la matière et l'énergie, nous masquent d'habitude. C'est ce que nous appelons le Grand Œuvre.

— Mais la pierre philosophale ? La fabrication de l'or ?

— Ce ne sont que des applications, des cas particuliers. L'essentiel n'est pas la transmutation des métaux, mais celle de l'expérimentateur lui-même. C'est un secret ancien que plusieurs hommes par siècle retrouvent.

— Et que deviennent-ils alors ?

— Je le saurai peut-être un jour. »

Mon ami ne devait jamais revoir cet homme qui a laissé une trace ineffaçable sous le nom de Fulcanelli. Tout ce que nous savons de lui est qu'il survécut à la guerre et disparut complètement après la Libération. Toutes recherches échouèrent pour le retrouver(28).

Nous voici maintenant un matin de juillet 1945. Encore squelettique et blafard, Jacques Bergier, vêtu de kaki, est en train de découper un coffre-fort au chalumeau. C'est un avatar de plus. Durant ces dernières années, il a été successivement agent secret, terroriste et déporté politique. Le coffre-fort se trouve dans une belle villa, sur le lac de Constance, qui fut la propriété du directeur d'un grand trust allemand. Découpé, le coffre-fort livre son mystère : une bouteille contenant une poudre extrêmement lourde. Sur l'étiquette : « Uranium, pour applications atomiques. » C'est la première preuve formelle de l'existence en Allemagne d'un projet de bombe atomique suffisamment poussé pour exiger de grandes quantités d'uranium pur. Goebbels n'avait pas tout à fait tort quand, du bunker bombardé, il faisait circuler dans les rues en ruine de Berlin le bruit que l'arme secrète était sur le point d'éclater au visage des « envahisseurs ». Bergier rendit compte de la découverte aux autorités alliées. Les Américains se montrèrent sceptiques et déclarèrent sans intérêt toute enquête sur l'énergie nucléaire. C'était une feinte. En réalité, leur première bombe avait explosé en secret, à Alamogordo, et une mission américaine dirigée par le physicien Goudsmith était, en ce moment même, en Allemagne, à la recherche de la pile atomique que le professeur Heisenberg avait construite avant l'effondrement du Reich.