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Pour l'alchimiste, de même qu'il n'y a pas deux âmes semblables, deux êtres semblables, deux plantes semblables (Pauli dirait : deux électrons semblables), il n'y a pas deux expériences semblables. Si l'on répète des milliers de fois une expérience, quelque chose d'extraordinaire finira par se produire. Nous ne sommes pas assez compétents pour lui donner tort ou raison. Nous nous contentons de remarquer qu'une science moderne : la science des rayons cosmiques, a adopté une méthode comparable à celle de l'alchimiste. Cette science étudie les phénomènes causés par l'arrivée, dans un appareil de détection ou sur une plaque, de particules d'une formidable énergie venant d'étoiles. Ces phénomènes ne peuvent être obtenus à volonté. Il faut attendre. Parfois, on enregistre un phénomène extraordinaire. C'est ainsi que dans l'été 1957, au cours des recherches poursuivies aux États-Unis par le professeur Bruno Rossi, une particule animée d'une énergie formidable, jamais enregistrée jusqu'ici, et venant peut-être d'une autre galaxie que notre Voie lactée, impressionna 1 500 compteurs à la fois dans un rayon de huit kilomètres carrés, créant sur son passage une énorme gerbe de débris atomiques. On ne conçoit aucune machine capable de produire une telle énergie. Jamais un tel événement n'avait eu lieu, de mémoire de savant, et l'on ne sait s'il aura lieu de nouveau. C'est un événement exceptionnel, d'origine terrestre ou cosmique, influençant son creuset, que semble attendre notre alchimiste. Peut-être pourrait-il abréger son attente en utilisant des moyens plus actifs que le feu, par exemple en chauffant son creuset dans un four à induction par la méthode de lévitation(29), ou encore en ajoutant des isotopes radio-actifs à son mélange. Il pourrait alors faire et refaire sa manipulation, non pas plusieurs fois par semaine, mais plusieurs milliards de fois par seconde, multipliant ainsi les chances de capter « l'événement » nécessaire à la réussite de l'expérience. Mais l'alchimiste d'aujourd'hui, comme celui d'hier, travaille en secret, pauvrement, et tient l'attente pour vertu.

Poursuivons notre description : au bout de plusieurs années d'un travail toujours le même, de jour et de nuit, notre alchimiste finit par estimer que la première phase est terminée. Il ajoute alors à son mélange un oxydant : le nitrate de potasse, par exemple. Il y a dans son creuset du soufre provenant de la pyrite et du charbon provenant de l'acide organique. Soufre, charbon et nitrate : c'est au cours de cette manipulation que les anciens alchimistes ont découvert la poudre à canon.

Il va recommencer à dissoudre, puis à calciner, sans relâche, durant des mois et des années, dans l'attente d'un signe. Sur la nature de ce signe, les ouvrages alchimiques diffèrent, mais c'est peut-être qu'il y a plusieurs phénomènes possibles. Ce signe se produit au moment d'une dissolution. Pour certains alchimistes, il s'agit de la formation de cristaux en forme d'étoiles à la surface du bain. Pour d'autres, une couche d'oxyde apparaît à la surface de ce bain, puis se déchire, découvrant le métal lumineux dans lequel semblent se refléter, en image réduite, tantôt la Voie lactée, tantôt les constellations(30).

Ce signe reçu, l'alchimiste retire son mélange du creuset et le « laisse mûrir », à l'abri de l'air et de l'humidité, jusqu'au premier jour du prochain printemps. Quand il reprendra les opérations, celles-ci viseront à ce que l'on nomme, dans les vieux textes, « la préparation des ténèbres ». Des recherches récentes sur l'histoire de la chimie ont montré que le moine allemand Berthold le Noir (Berthold Schwarz) à qui l'on attribue communément l'invention de la poudre à canon en Occident, n'a jamais existé. Il est une figure symbolique de cette « préparation des ténèbres ».

Le mélange est placé dans un récipient transparent, en cristal de roche, fermé de manière spéciale. On a peu d'indications sur cette fermeture, dite fermeture d'Hermès, ou hermétique. Le travail consiste désormais à chauffer le récipient en dosant, avec une infinie délicatesse, les températures. Le mélange, dans le récipient fermé, contient toujours du soufre, du charbon et du nitrate. Il s'agit de porter ce mélange à un certain degré d'incandescence en évitant l'explosion. Les cas d'alchimistes gravement brûlés ou tués sont nombreux. Les explosions qui se produisent ainsi sont d'une violence particulière et dégagent des températures auxquelles, logiquement, on ne saurait s'attendre.

Le but poursuivi est l'obtention, dans le récipient, d'une « essence », d'un « fluide », que les alchimistes nomment parfois « l'aile de corbeau ».

Expliquons-nous là-dessus. Cette opération n'a pas d'équivalent dans la physique et la chimie modernes. Cependant, elle n'est pas sans analogies. Lorsque l'on dissout dans le gaz ammoniac liquide un métal tel que le cuivre, on obtient une coloration bleu foncé qui vire au noir pour les grandes concentrations. Le même phénomène se produit si l'on dissout dans le gaz ammoniac liquéfié de l'hydrogène sous pression on des amines organiques, de manière à obtenir le composé instable NH4 qui a toutes les propriétés d'un métal alcalin et que, pour cette raison, on a appelé « ammonium ». Il y a lieu de croire que cette coloration bleu-noir, qui fait songer à « l'aile de corbeau » du fluide obtenu par les alchimistes, est la couleur même du gaz électronique. Qu'est-ce que le « gaz électronique » ? C'est, pour les savants modernes, l'ensemble d'électrons libres qui constituent un métal et lui assurent ses propriétés mécaniques, électriques et thermiques. Il correspond, dans la terminologie d'aujourd'hui, à ce que l'alchimiste appelle « l'âme » ou encore « l'essence » des métaux. C'est cette « âme » ou cette « essence » qui se dégage dans le récipient hermétiquement clos et patiemment chauffé de l'alchimiste.

Il chauffe, laisse refroidir, chauffe à nouveau, et ceci pendant des mois ou des années, observant à travers le cristal de roche la formation de ce qui est aussi nommé « l'œuf alchimique » : le mélange changé en un fluide bleu-noir. Il ouvre finalement son récipient dans l'obscurité, à la lumière seule de cette sorte de liquide fluorescent. Au contact de l'air, ce liquide fluorescent se solidifie et se sépare.

Il obtiendrait ainsi des substances tout à fait nouvelles, inconnues dans la nature et ayant toutes les propriétés d'éléments chimiques purs, c'est-à-dire inséparables par les moyens de la chimie.

Des alchimistes modernes prétendent avoir ainsi obtenu des éléments chimiques nouveaux, et ceci en quantités pondérables. Fulcanelli aurait extrait d'un kilo de fer, vingt grammes d'un corps tout à fait nouveau dont les propriétés chimiques et physiques ne correspondent à aucun élément chimique connu. La même opération serait applicable à tous les éléments, dont la plupart donneraient deux éléments nouveaux par élément traité.

Une telle affirmation est de nature à choquer l'homme de laboratoire. Actuellement, la théorie ne permet pas de prévoir d'autres séparations d'un élément chimique que celles-ci :

La molécule d'un élément peut prendre plusieurs états : orthohydrogène et parahydrogène, par exemple.

Le noyau d'un élément peut prendre un certain nombre d'états isotopiques caractérisés par un nombre de neutrons différent. Dans le lithium 6, le noyau contient trois neutrons et dans le lithium 7, le noyau en contient quatre.

Nos techniques, pour séparer les divers états allotropiques de la molécule et les divers états isotopiques du noyau, exigent la mise en œuvre d'un énorme matériel.