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Mme Curie, Crookes, Lodge font tourner les tables. Edison tente de construire un appareil qui communiquerait avec les morts. Marconi, en 1901, croit avoir capté des messages de Martiens. Simon Newcomb trouve tout naturel qu'un médium matérialise des coquillages frais du Pacifique. Une tempête de fantastique irréel renverse les chercheurs de réalités.

Mais les purs, les irréductibles, tentent de repousser ce flux. La vieille garde du positivisme livre un baroud d'honneur. Et, au nom de la Vérité, au nom de la Réalité, elle refuse tout en bloc : les rayons X et les ectoplasmes, les atomes et l'esprit des morts, le quatrième état de la matière et les Martiens.

Ainsi, entre le fantastique et la réalité va se dérouler un combat souvent absurde, aveugle, désordonné, qui retentira bientôt sur toutes les formes de la pensée, dans tous les domaines : littéraire, social, philosophique, moral, esthétique. Mais c'est dans la science physique que l'ordre se rétablira, non par régression, amputations, mais par dépassement. C'est en physique que naît une nouvelle conception. On le doit à l'effort de titans comme Langevin, Perrin, Einstein. Une science nouvelle apparaît, moins dogmatique que l'ancienne. Des portes s'ouvrent sur une réalité autre. Comme dans tout grand roman, il n'y a finalement ni bons ni méchants et tous les héros ont raison si le regard du romancier s'est situé dans une dimension complémentaire où les destins se rejoignent, se confondent, portés tous ensemble à un degré supérieur.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Des portes se sont ouvertes dans presque tous les édifices scientifiques, mais l'édifice de la physique est désormais presque sans murs : une cathédrale toute en vitrail où se reflètent les lueurs d'un autre monde, infiniment proche.

La matière s'est révélée aussi riche, sinon plus riche en possibilités que l'esprit. Elle renferme une énergie incalculable, elle est susceptible de transformations infinies, ses ressources sont insoupçonnables. Le terme « matérialiste », au sens du XIXe siècle, a perdu tout sens, de même que le terme « rationaliste ».

La logique du « bon sens » n'existe plus. En physique nouvelle, une proposition peut être à la fois vraie et fausse. A.B. n'est plus égal à B.A. Une même entité peut être à la fois continue et discontinue. On ne saurait plus se référer à la physique pour condamner tel ou tel aspect du possible(2).

Prenez une feuille de papier. Percez-y deux trous, à faible distance. Il est évident, pour le sens commun, qu'un objet suffisamment petit pour passer par ces trous passera par l'un ou l'autre. Aux yeux du sens commun, un électron est un objet. Il possède un poids défini, il produit un éclair lumineux quand il frappe un écran de télévision, un choc quand il frappe un microphone. Voilà notre objet suffisamment petit pour passer par un de nos deux trous. Or, l'observation avec le microscope électronique nous apprendra que l'électron est passé à la fois par les deux trous. Voyons ! S'il est passé par l'un, il ne peut en même temps être passé par l'autre ! Si, il est passé par l'un et l'autre. C'est fou, mais c'est expérimental. De tentatives d'explications sont nées diverses doctrines, la mécanique ondulatoire en particulier. Mais la mécanique ondulatoire ne parvient cependant pas à expliquer totalement un tel fait qui se maintient hors de notre raison, laquelle ne saurait fonctionner que par oui ou non, A ou B. C'est la structure même de notre raison qu'il faudrait modifier pour comprendre. Notre philosophie veut thèse et antithèse. Il faut croire que dans la philosophie de l'électron, thèse et antithèse sont vraies à la fois. Parlerons-nous d'absurde ? L'électron semble obéir à des lois, et la télévision, par exemple, est une réalité. L'électron existe-t-il ou non ? Ce que la nature appelle exister n'a pas d'existence à nos yeux. L'électron est-il de l'être ou du néant ? Voilà une question parfaitement vide de sens. Ainsi disparaissent à la pointe de la connaissance, nos méthodes de pensée habituelles et les philosophies littéraires, nées d'une vision périmée des choses.

La Terre est liée à l'univers, l'homme n'est pas seulement en contact avec la planète qu'il habite. Les rayons cosmiques, la radioastronomie, les travaux de physique théorique révèlent des contacts avec la totalité du cosmos. Nous ne vivons plus dans un monde fermé : un esprit vraiment témoin de son temps ne saurait l'ignorer. Comment, dans ces conditions, la pensée, sur le plan social, par exemple, peut-elle demeurer aux prises avec des problèmes non pas même planétaires, mais étroitement régionaux, provinciaux ? Et comment notre psychologie, telle qu'elle s'exprime dans le roman, peut-elle rester aussi fermée, réduite aux mouvements infraconscients de la sensualité et de la sentimentalité ? Tandis que des millions de civilisés ouvrent des livres, vont au cinéma ou au théâtre pour savoir comment Françoise sera émue par René, mais haïssant la maîtresse de son père, deviendra lesbienne par sourde vengeance, des chercheurs qui font chanter aux nombres une musique céleste se demandent si l'espace ne se contracte pas autour d'un véhicule(3). L'univers tout entier serait dès lors accessible : il serait possible de se rendre sur l'étoile la plus lointaine dans l'espace d'une vie humaine. Si de telles équations se trouvaient confirmées, la pensée humaine en serait bouleversée. Si l'homme n'est pas limité à cette Terre, de nouvelles questions se poseront sur le sens profond de l'initiation et sur d'éventuels contacts avec des intelligences du Dehors.

Où en sommes-nous encore ? En matière de recherche sur les structures de l'espace et du temps, nos notions de passé et d'avenir ne tiennent plus. Au niveau de la particule, le temps circule dans les deux sens à la fois : avenir et passé. À une vitesse extrême, limite de celle de la lumière qu'est-ce que le temps ? Nous sommes à Londres en octobre 1944. Une fusée V2, volant à 5 000 kilomètres-heure est au-dessus de la ville. Elle va tomber. Mais ce va s'applique à quoi ? Pour les habitants de la maison qui sera écrasée dans un instant, et qui n'ont que leurs yeux et leurs oreilles, la V2 va tomber. Mais pour l'opérateur du radar, qui se sert des ondes se propulsant à 300 000 kilomètres-seconde (vitesse par rapport à laquelle la fusée rampe), la trajectoire de la bombe est déjà fixée. Il observe : il ne peut rien. À l'échelle humaine, rien ne peut déjà plus intercepter l'instrument de mort, rien ne peut prévenir. Pour l'opérateur, la fusée s'est déjà écrasée. À la vitesse du radar, le temps ne s'écoule pratiquement pas. Les habitants de la maison vont mourir. Dans le super-œil du radar, ils sont déjà morts.

Autre exemple : on trouve dans les rayons cosmiques, lorsqu'ils atteignent la surface de la Terre des particules, les mésons mu, dont la vie sur le globe n'est que d'un millionième de seconde. Au bout de ce millionième de seconde, ces éphémères se détruisent eux-mêmes par radio-activité. Or, ces particules sont nées à 30 kilomètres dans le ciel, région où l'atmosphère de notre planète commence à être dense. Pour franchir ces 30 kilomètres, elles ont déjà dépassé leur temps de vie, considéré à notre échelle. Mais leur temps n'est pas le nôtre. Elles ont vécu ce voyage dans l'éternité et ne sont entrées dans le temps que lorsqu'elles ont perdu leur énergie, arrivant au niveau de la mer. On envisage de construire des appareils où le même effet serait produit. On créerait ainsi des tiroirs du temps, où se trouveraient rangés des objets de faible durée, conservés dans la quatrième dimension. Ce tiroir serait un anneau creux de verre, placé dans un énorme champ de forces, et où les particules tourneraient si vite que le temps, pour celles-ci, aurait pratiquement cessé de couler. Une vie d'un millionième de seconde pourrait être ainsi maintenue et observée durant des minutes ou des heures…