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Secundo, la sortie. Séparation, divorce ou revolver. Savoir si, comment, pourquoi un monsieur et une dame, parce qu’un autre monsieur ou une autre dame ont interféré, vont réussir à se séparer, malgré les lois et les prophètes, les remords et les finances, les familles et les moutards.

Le début, la fin de l’amour, voilà de bonnes histoires ; le milieu n’est censé intéresser personne. Je demande où est le mariage : ce mariage que les mêmes gens vivent, presque tous, et où, presque tous, ils demeurent ; ce mariage lent, long, quotidien, dont le lit n’est pas le seul autel, mais aussi la table de cuisine, le bureau, la voiture, la machine à coudre, le bac à laver. S’ennuient-ils donc si fort dans l’institution, nos voyeurs, qu’ils n’en puissent rêver (rêver seulement : il faut vivre) que le bandant exorde ou l’agréable issue ? C’est leur ration de changement, bien entendu. Mais ce curieux transfert en dit long sur les romances, alléguées par les mêmes, pour sublimer leurs caleçonnades.

Moi, ce qui me fascine (donc me tente et m’effraie) dans le mariage, c’est l’immobilité du couple. C’est le sujet : le seul qui, par définition, ne comporte pas d’intrigue. C’est cet état : le seul qui, par principe, soit permanent chez l’homme ; qui, le plus répandu, soit aussi le plus contraire à sa nature, affamée de renouveau. Je ne suis pas plus doué que les autres. Je crois n’avoir qu’un avantage : mon amitié pour le raisonnable. Je ne puis ni affecter la passion ni me passer d’affection. Ce furent toujours, en milieu bourgeois, de bonnes dispositions matrimoniales.

Mais le mariage aujourd’hui pourrait bien en réclamer d’autres que je possède moins, si j’en juge à la facilité avec laquelle je maudis le livret, à mes heures.

L’autre soir, c’était le premier anniversaire du mien. Un an de mariage, ça porte à réfléchir. Noces de coton ! Je trouvais la tradition prudente qui, à deux ans, les veut seulement de papier, à trois de cuir, à cinq de bois, à dix d’étain, à vingt-cinq d’argent et, progressant enfin dans la joaillerie, prévoit l’or à cinquante, le diamant à soixante, le platine à soixante-dix, pour retomber dans le chêne à quatre-vingts (celui du cercueil, sans doute). Depuis trois semaines le coton volait ; nous ne faisions, Mariette et moi, que nous houspiller. Pour des vétilles. Pour une note de téléphone (le coup de fil matinal à sa mère, quand il dure une heure, il aboutit à des relevés inattendus). Pour une invitation, acceptée par elle, repoussée par moi. Pour un fer électrique qui avait traversé la table. Pour rien. Pour des mots, ricochant sur des mots. Déjà, il y a cinq mois, nous avions connu une épreuve du même genre et Tio m’en avait dit :

— Bah, nous sommes tous des bouteilles de Leyde ! Pour ramener la tension à zéro, il faut de temps en temps se tirer des étincelles.

Cette fois, au moins, les raisons en étaient claires. J’avais mal supporté le dernier épisode de la “modernisation” de la maison. Le lundi (jour de fermeture des boutiques, donc d’envahissement) j’étais tombé sur Mme Guimarch, s’agitant dans une sorte de nuage, en compagnie de la maigre Ariette, de la menue Simone et de l’importante (encore une fois !) Gabrielle, suitée de ses trois féminines dont on ne sait qui est Aline, qui Catherine et qui Martine, mais toutes trois pressées par le chœur des dames de dire bonjour à L’Onclabel et le disant, tandis qu’on les remouchait, tandis que Mme Guimarch, assurant qu’elle arrivait de la succursale, qu’elle y repartait, rajustait la fanchon nouée autour de ses cheveux avant d’annoncer :

— La tante est venue vous voir.

— Ma tante ?

— Je parle de la tante Meauzet ! reprit Mme Guimarch, visiblement étonnée de la confusion et de mon incapacité à comprendre l’importance de l’auguste visite.

Marraine de Mariette, Mme Meauzet, en effet, est ma tante et la preuve, c’est qu’à moins de testament contraire mes éventuels enfants seront pour un cinquième ses éventuels héritiers. La parenté par alliance, au troisième degré, on ne s’en convainc pas vite. Mais ces dames ne s’occupaient déjà plus de moi. L’une d’elles, reprenant le fil d’une conversation troublée par mon arrivée, dit à une autre :

— Cette pauvre Louise, je lui avais pourtant répété : ma cousine, ne signez pas ce bail.

Quel bail ? Quelle Louise ? Je ne m’y reconnaîtrai jamais. Suivant la foule, j’entrai au salon où la pulvérulence atteignit son comble. Sous le lustre à pendeloques, la tante Meauzet, carabosse haute et noire, toussait, gloussait en secouant ses fanons.

— Voilà maître Patelin ! fit-elle, soufflant la malebouche.

Je l’avais déjà vue une fois, la vieillarde, célèbre pour son coup de bec, honorée pour ses rentes qui lui permettent d’exténuer impunément les siens. Elle me toucha le front d’une lèvre poilue, fit deux pas, pointa l’index sur le ventre de Gab :

— C’est trop ! dit-elle, en me regardant.

Déjà, elle se retournait vers Mariette et, du même doigt, lui perçait le nombril :

— Toi, c’est trop peu ! À quoi sert un mari !

Elle fit d’un vert regard le tour de nos sourires et parut enchantée d’y lire quelque gêne. Bien que beaucoup m’eussent félicité de ce qu’elle me reprochait (Vous, au moins, vous prenez votre temps), je savais qu’un certain étonnement (Mais comment faites-vous donc ?) commençait, chez les mêmes, à devenir rêveur. La province a vite fait de soupçonner la graine. Mariette, comme fautive, s’était détournée ; elle caressait les cheveux d’une de ses nièces. Mme Guimarch changea vivement de sujet :

— Vous avez vu le travail ?

Il eût été difficile de l’ignorer : tout le monde s’y prenait les pieds ; rideaux, doubles rideaux, tringles et cordons de tirage gisaient pêle-mêle sur le tapis. Aux fenêtres, désolés, les carreaux tout nus, nous livraient aux coups d’œil furtifs des passants.

— Ils étaient vraiment cuits, ils s’en allaient de partout, fit Mariette.

Elle paraissait quand même ennuyée. Pour la poussière. On croit tenir une maison et, dès qu’on bouge un cadre, dès qu’on arrache une tenture, ce n’est plus que filandres et moutons.

— Ce n’est pas tout, claironna la belle-mère. Venez voir la salle à manger.

Je m’y laissai traîner. Il n’y avait plus de salle à manger. La baie, vide, éclairait une pièce inconnue d’où avait disparu l’ensemble Henri II, dont le fronton à balustres (soixante-deux) donnait exactement, lorsque j’avais six ans, l’âge de feu ma grand-mère. Teck à droite, teck à gauche : sur carpette de crylor et sous luminator danois, triomphait la moderne invasion des Vikings.

— On voulait te faire la surprise, dit Mariette en extase.

Surprise était le mot. Je n’en trouvai qu’un autre :

— Tu…

— Non, dit Mariette, renvoyant l’hommage à qui de droit. C’est marraine.

— Je vous l’avais dit, je ne fais jamais de cadeau de mariage avant un an, je veux d’abord être sûre que ça tienne, fit la donatrice qui lorgnait mon silence, heureuse de ses bienfaits, comme de mon plaisir et de mon impuissance à lui en exprimer la nature.

Une main sur mon épaule, une autre sur celle de sa filleule, elle ajouta, pointant le menton vers la belle-mère :

— C’est d’ailleurs Marie qui s’est occupée de tout.