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On parle de relevailles. On peut aussi parler de recouchailles. Et là-dessus, il faut se taire ou avoir la franchise féroce ; et faire sien le mot de Curnonsky, gourmet national qui, reprenant d’un plat, disait :

— C’est bon, mais ce n’est pas meilleur.

Quel mari ne crierait comme les autres : rendez-moi le meilleur, rendez-moi le départ. Pas la première fois, non : c’est plaisir solitaire. Mais rendez-moi l’ensuite : la fraîche, la vive partie, de l’un, de l’autre, tous deux ignorant qu’ils tirent sur la corde et que ce violon ne pourra pas se retendre. Tant que Mariette, sous moi, sur moi, en haut, en bas, dans toutes les poses, je l’ai sentie fille dévorant le garçon, je n’ai eu de femme que sur mon livret. Puis je l’ai trouvée, un soir, dans mon lit : toujours agréable, mais répétitive.

Entendons-nous : au-dessous de l’enchantement, la courbe se maintient au niveau de la joie et fait des pointes aux bonnes heures (le singulier, abusif, donne bonheur). Une coiffure, un déshabillé, un rien, renouvelant le trop légitime et voilà mon ami qui se redresse. Il n’a plus le même appétit chaque jour, c’est tout.

Avec la grossesse les choses sont devenues moins claires. La bête s’interrompt, dans ces cas-là, mais nous sommes humains. Citons cette fois nos classiques : Je continue, Madame. Il y a délicatesse à donner jusqu’au bout la preuve d’un amour resté indifférent à ce qui vous abîme. Et si mes autres motifs ne vous irritent pas, laissez-moi les nommer. Il y a l’habitude : on monte sur ce qu’on a. Il y a la nécessité : il faut bien que ça se fasse. Il y a la vanité : je rebêche mon champ. Il y a l’appréhension : qui rejoint la vôtre et nous aiguise. Il y a même l’insolite : cette visite à la poupée russe. Et ce refus enfin : dire non à celle qui disparaît, à la nubile trahie par cette poitrine qui suinte, et que la nuit, le drap et son mari recouvrent, encore un peu tendron, pour la dernière fois.

Vers la fin, bien sûr, pour ménager le faix qui talonnait aux portes, nous avons su souscrire à l’abstinence. Bon, ça. Pour vous. Pour moi, peut-être, aussi. J’en sais qui sans vergogne, en de telles occasions, s’en iraient voir les filles. Je ne l’ai pas voulu. Et pourtant dans la ville, bleue et blanche à souhait, l’enfant de Marie, chérie ! et d’autres, aussi rapides, soignent très volontiers les époux engorgés.

Maintenant tu m’es rendue. En partie. J’aimais, pour te mettre en train, ces joutes légères, ces frôlements de doigts qui soulèvent la chair de poule, à la limite du supportable. J’aimais, après le descellement, rester serré contre toi et jusqu’à l’ankylose t’envelopper d’un seul bras, dont la main se remodelait sur ton sein. Mais tout le secteur, bardé d’ouate, réservé au déjeuner de Nicolas — premier service — m’est interdit. Il me reste plus haut la bouche qui est bien la même, sur des dents de bréchouse ; et plus bas, ton ensemble Rubens, encadrant ce triangle qu’a rasé l’accoucheur et qui pour l’instant fait étrille. Bonne surprise. S’il n’est pas sûr qu’où est passé le père passe aussi bien l’enfant, où est passé l’enfant devrait flotter le père. Mais te revoilà, mon étroite, haletante et qui — seul changement — me souffles dans l’oreille :

— Attention, hein !

Oui, bien sûr. Tout à l’heure tu feras sur ta mécanique un petit devoir de calcul. Plus attentive à ses glandes, plus naturelle et plus précise, femme fouillée par les médecins a la pudeur moins aiguë. Il suffit pour m’en convaincre de savoir où va cette main et d’apprécier l’insistance qu’elle met à tirer de moi la récidive espérée.

5

Ça fuit par un bout, ça fuit par l’autre. Qu’importe ! Dans le lardon, tout est mignon : ni bave, ni colique, ni fureur à s’égorger de cris n’empêcheront jamais que ces porcelets ne soient roses.

Les autres enfants, quand je les vois dans la rue, avec leur bouille fraîche, leurs raies tirées de nuque en nez, leurs souliers luisants, leurs proprets sarraus, j’imagine qu’ils font le bonheur de Gabrielle ou de ses pareilles ; et, en effet, ils le font. Mais pomponner n’est qu’une joie. Palper, c’est la béatitude. Nous avons joui, mes frères, des mains, de la bouche et du reste ; nous avons joui des creux et des bosses et des longues échappées de peau qui ont du grain, qui ont du lisse, qui ont des frémissements chauds… Mais nos femmes, qui sont si lentes à rendre la pareille, qui hésitent à tâter de l’homme dans l’ombre, regardez-les sur l’épiderme de gosse jouir librement et vingt fois plus qu’avec le nôtre.

Comme elles la triturent, la viande douce ! C’est quatre ou cinq fois par jour que j’assiste à la scène ou que je la devine, au parfum. Mariette est seule ; ou avec sa mère ; ou encore avec des amies : changer le bébé devant elles est un critère d’intimité, montrant à quel point elles peuvent familièrement communier dans le décrottage. Mais rien ne vaut Gabrielle qui sait traiter une croûte, qui a des opinions autorisées sur la consistance des produits. Ariette aussi est appréciée : elle fait ses classes, elle aime servir de nurse. Mais de Simone, que ses glandes ne travaillent pas encore, qui fait de la révolte contre la condition féminine, il n’y a pas grand-chose à tirer. Elle pince le nez :

— Ah, le dégoûtant !

Sur le lange inondé, le dégoûtant tout nu, pédale avec ardeur. La tête roule, les bras battent, le torse fait le soufflet, le ventre descend par bourrelets successifs jusqu’au zizi dont les grandes bourses vides, où rien n’est encore descendu, sont tout emplâtrées de jaune d’or. Si Gabrielle il y a, Gabrielle opine, avec le détachement des connaisseurs :

— Le lactéol, tout de même, il n’y a que ça. Tu vois, c’est très bien, aujourd’hui.

— Oui, dit Mariette, et son petit machin est moins irrité.

C’est l’instant délicat du sacerdoce. Lava me et super nivem dealbabor. Le solide est enlevé avec la couche antipeluche, vivement roulée en boule. L’éponge douce entre en action, poursuit des coulées de safran sur ces cuisses renflées de poulet qui ne cessent de se détendre :

— Tu vas rester un peu tranquille, non ?

Verso. On soulève. L’éponge passe de l’autre côté, dans le sillon rouge où flamboie le trou de balle, étoilé de petits plis. On rince. On vérifie. Tout est net. Et le meilleur commence : on passe aux détails. Mariette sans cesser de bavarder, manie la saupoudreuse, comme une salière, en laisse tomber ce qu’il faut, où il faut. Bambinose, couche, culotte imperméable se superposent. Voyons le nez. Voyons l’oreille. Le coton-tige s’enfonce, sans faire naître de grimace. Brassière de laine, maintenant. Bavoir, épinglé d’or. On regarde le chef-d’œuvre. On n’y peut résister :