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Lorsqu’il retourna dans sa chambre, son camarade s’y trouvait déjà, ce qui excluait toute conversation jusqu’à l’extinction des feux. Et même après, Bob ne voulait pas courir le risque de voir son voisin de lit se réveiller en pleine nuit pour découvrir qu’il parlait tout seul. En outre, il ne pourrait pas voir très nettement les réponses du Chasseur dans le noir.

Le lendemain, un lundi, les classes se déroulèrent comme d’habitude et il ne put être seul qu’après le déjeuner. Il prit quelques livres sous le bras et se mit désespérément à la recherche d’une salle de classe vide. Et là, parlant à mi-voix afin de ne pas attirer l’attention des gens qui pouvaient passer dans le couloir, il donna libre cours à toutes les idées qu’il avait emmagasinées depuis la veille. Il commença pourtant par un autre sujet.

« Il me faut absolument trouver un autre moyen pour vous parler, déclara-t-il. Vous pouvez toujours me parler si je ne suis pas occupé à regarder autre chose, mais il m’est impossible de vous dire le moindre mot si je ne suis pas seul, à moins de passer pour un fou. J’ai eu une idée hier soir et n’ai pas trouvé depuis l’occasion de vous la communiquer.

— Le problème de la conversation n’est pas difficile à résoudre, répondit le Chasseur. Vous n’aurez qu’à parler en un murmure presque inaudible, sans même entrouvrir les lèvres, car je peux interpréter très aisément les mouvements de vos cordes vocales et de votre langue. J’aurais d’ailleurs dû y penser plus tôt, mais je n’avais jusqu’alors accordé aucune attention particulière à la nécessité où nous sommes de conserver le secret. Je vais d’ailleurs commencer dès maintenant. Mais dites-moi bien vite quelle était cette idée qui vous préoccupait tant ?

— Je ne vois pas le moyen de retourner chez moi à moins de feindre une maladie et de me faire accorder un congé de convalescence. Je ne peux pas espérer tromper les médecins, mais vous pouvez certainement faire naître chez moi assez de symptômes pour qu’ils n’y comprennent plus rien. Qu’en pensez-vous ? »

Le Chasseur hésita un long moment avant de répondre :

« C’est évidemment possible, mais votre proposition ne m’enchante pas. Vous ne pouvez pas comprendre à quel point est ancrée chez nous notre répugnance à faire quoi que ce soit qui pût mettre en danger la santé de notre hôte. En cas de nécessité, et avec un être dont la structure physique est entièrement connue, je pourrais à la rigueur, en dernier ressort, accepter votre plan. Mais dans votre cas, je ne suis pas sûr qu’un mal permanent ne résulterait pas de mon intervention.

— Vous vivez dans mon corps depuis plus de cinq mois, m’avez-vous dit, et j’ai l’impression que vous me connaissez suffisamment, objecta Robert.

— Je connais votre structure, mais ignore tout de vos réactions aux diverses maladies. Vous représentez pour moi une espèce entièrement nouvelle sur laquelle je ne possède que des données uniques : les vôtres. J’ignore pendant combien de temps vos cellules peuvent subsister sans nourriture ou oxygène ; quelle est la dose limite de concentration acide que votre sang peut supporter ; quelles relations existent entre votre système circulatoire et votre système nerveux. Je pourrais, bien entendu, essayer de trouver une réponse à toutes ces questions ; mais je ne suis pas certain de pouvoir y parvenir sans vous rendre sérieusement malade ou même vous tuer. Je pourrais toujours faire quelques tentatives dans le domaine que vous proposez, mais je m’y refuse absolument. D’autre part, sur quoi vous basez-vous pour affirmer que l’on vous renverrait chez vous si vous êtes malade ? Ne vous soignerait-on pas ici ? »

Bob conserva le silence pendant plusieurs minutes. Il n’avait pas songé à cette dernière éventualité.

« Je n’en sais rien, admit-il finalement. Nous devons trouver quelque chose qui entraîne à coup sûr une longue convalescence. » Cette idée peu agréable le fit tressaillir. « Je persiste à croire que vous pourriez faire quelque chose dans ce domaine sans avoir de remords. »

Le Chasseur admit volontiers que c’était en son pouvoir, mais qu’il se refusait toujours à agir sur le déroulement normal de la vie physique de son hôte. Il promit cependant d’y réfléchir et conseilla au jeune garçon d’en faire autant, tout en lui demandant de trouver une autre idée.

Tout en étant peu au courant de la psychologie humaine, le Chasseur devinait que Bob n’abandonnerait pas son idée avant d’être convaincu qu’elle était impossible à réaliser. Le jeune garçon y tenait et ne pouvait pas comprendre pourquoi elle répugnait tant aux sentiments du Chasseur.

Comme prévu, les procédés de conversation se développèrent au cours des jours suivants. Le Détective était à présent capable d’interpréter les mouvements de la langue et des cordes vocales du garçon, même lorsque celui-ci conservait les lèvres presque serrées et parlait dans un murmure imperceptible. Le mode de réponse était relativement aisé : il suffisait que les occupations de Bob lui permissent de tourner les yeux vers un endroit assez clair. En même temps, ils se mirent d’accord sur un certain nombre d’abréviations et leurs échanges gagnèrent en rapidité. Mais, ni l’un ni l’autre ne trouvèrent l’idée de génie qui permettrait à Bob de quitter l’école.

Au cours de cette période, un observateur aurait trouvé assurément très drôle la situation, s’il avait pu surveiller les rapports entre Bob et le Chasseur, et surtout, ce qui se passait dans les bureaux des dirigeants de l’école. D’un côté, le Chasseur et son hôte s’efforçaient de découvrir un moyen de quitter l’école et de l’autre les directeurs s’étonnaient du brusque changement de leur élève. Ils ne manquaient pas de faire remarquer à quel point ses notes étaient moins bonnes et plusieurs professeurs estimèrent que mieux vaudrait pendant quelque temps renvoyer le jeune homme chez ses parents.

La simple présence du Chasseur, ou plutôt la connaissance que Bob en avait, entraînait ainsi une situation qui devait les conduire normalement à la réalisation de leurs vœux. Le jeune garçon ne souffrait d’aucune atteinte physique, mais les problèmes qui le préoccupaient et les conversations qu’il tenait avec le Chasseur amenaient chez lui un comportement qui ne manquait pas d’inquiéter ses éducateurs.

On consulta le docteur, qui déclara que le jeune homme était en parfaite santé. Il examina une fois de plus la cicatrice du bras, craignant qu’une complication insoupçonnée pût être responsable de l’état général, mais ne trouva rien. Le rapport médical n’apporta donc aucun élément d’appréciation aux professeurs. De jeune garçon sociable et agréable, que tout le monde avait aimé, Bob était devenu un être solitaire, renfermé et souvent même désagréable.

On demanda alors au docteur d’avoir un nouvel entretien avec Bob ; mais la conversation n’apporta aucun élément nouveau. Le médecin eut seulement l’impression qu’un problème très sérieux occupait l’esprit de Bob et que celui-ci n’avait aucune envie d’en faire part à autrui. En fin de compte il recommanda le repos de l’élève dans sa famille, pour quelques mois. C’était tellement plus simple ainsi !

Le directeur écrivit à M. Kinnaird pour le mettre au courant de la situation et l’informer que, s’il n’y voyait aucune objection, Bob rentrerait immédiatement dans sa famille jusqu’à la prochaine année scolaire.

Le père de Bob n’attachait pas beaucoup d’importance aux théories du docteur, car il croyait bien connaître son fils quoique ne l’ayant vu qu’assez rarement au cours des dernières années. Il acquiesça cependant à la proposition du directeur. Après tout, si son fils ne se portait pas bien en pension, c’était du temps perdu. L’île comptait un excellent médecin et une très bonne école, quoi que en dise Mme Kinnaird. On pourrait donc lui faire donner quelques leçons afin qu’il ne perdît pas complètement son année. En plus de toutes ces raisons, M. Kinnaird était ravi de la possibilité qui s’offrait à lui de voir son fils. Il envoya un télégramme autorisant le retour de Bob et se prépara à l’accueillir.