Ce serait peu de dire que Robert et le Chasseur furent surpris à l’annonce de cette nouvelle : ils tombèrent des nues. Sans mot dire, ils regardaient tous deux le directeur, M. Raylance, qui avait fait venir Bob dans son bureau pour le mettre au courant de son proche départ. Le Chasseur, de son côté, essayait vainement de lire les quelques papiers posés sur son bureau.
Au bout de quelques instants seulement, Bob recouvra l’usage de la parole.
« Mais pourquoi, monsieur ? Il est arrivé quelque chose à la maison ?
— Non. Tout va fort bien là-bas. Nous croyons simplement que dans votre intérêt il est préférable que vous passiez quelques mois chez vous. C’est tout. Vous avez dû vous rendre compte que vos notes n’étaient pas les mêmes ces derniers temps ? »
Cette simple remarque permit au Chasseur de comprendre ce qui se passait. Et il se morigéna de ne pas y avoir pensé plus tôt. Mais Bob ne réalisa pas tout de suite le motif de cette décision.
« Vous voulez dire, monsieur, que je suis renvoyé ? Je ne croyais pas en être déjà là… et il n’y a que quelques jours que…
— Mais non, mon petit, il n’est nullement question de cela. » Le directeur ne comprit pas ce que signifiait la dernière remarque de Bob. « Nous avons simplement remarqué que vous aviez beaucoup changé ces derniers temps et le docteur estime qu’un peu de repos vous sera salutaire. Nous serons toujours très heureux de vous accueillir l’année prochaine et si vous le désirez nous pouvons vous envoyer un résumé des cours qui guidera les professeurs que vous pourrez avoir là-bas. Vous serez à même, ainsi, de travailler à votre guise durant tout l’été et je ne doute pas que l’année prochaine il vous sera possible de suivre vos camarades dans la classe supérieure. Vous êtes d’accord, je suppose, à moins que vous n’ayez pas envie de retourner chez vous », ajouta-t-il en souriant.
Bob esquissa un vague sourire avant de répondre : « Non, monsieur, je suis toujours très content de revoir mes parents, enfin je voulais dire… » Il s’arrêta, un peu embarrassé à la recherche d’une phrase atténuant l’effet de ses dernières paroles.
M. Ray lance se mit à rire un peu trop fort.
« Ne vous en faites pas, Bob, je comprends très bien ce que vous voulez dire. Allez faire vos valises et dire au revoir à vos amis. Je vais essayer de vous avoir une place dans l’avion de demain. Je regrette beaucoup que vous nous quittiez et vous nous manquerez énormément dans l’équipe de hockey. De toute façon, la saison est presque terminée et vous nous reviendrez pour les matches de l’année prochaine. Bonne chance, mon petit ! »
Ils se serrèrent la main et Bob quitta la pièce sans bien savoir ce qu’il faisait. Il ne dit rien au Chasseur. D’ailleurs c’était inutile puisque ce dernier avait assisté à l’entretien. Bob avait depuis longtemps abandonné l’habitude d’accorder une importance quelconque aux faits et gestes des grandes personnes pour la simple raison qu’elles étaient plus âgées que lui. Cependant, il s’efforça de découvrir s’il n’existait pas de motifs cachés derrière la décision du directeur. Finalement, il estima que mieux valait prendre les événements comme ils venaient et il abandonna la suite au Chasseur.
Il serait peut-être hasardeux d’affirmer que celui-ci était satisfait du travail accompli. C’était un bon détective, qui ne s’était jamais attribué les succès dus à l’intelligence, et à la puissance physique de son hôte. Bien sûr Bob n’était pas Jenver, mais il était arrivé à se sentir très attaché au jeune garçon.
Au cours du voyage, Bob parla avec le Chasseur toutes les fois que l’occasion se présentait, mais leurs entretiens portaient uniquement sur les événements du parcours. Ils ne parlèrent affaires qu’au moment où l’avion survolait le Pacifique, car Bob avait admis sans presque y songer que le Chasseur prendrait la direction de toutes les opérations dès qu’ils atteindraient l’endroit de leur rencontre.
« Mais, dites-moi, Chasseur, comment allez-vous vous y prendre pour retrouver le charmant ami que vous cherchez ? Et dans ce cas que ferez-vous ? Avez-vous un moyen de venir à bout de lui sans que l’hôte qui l’a adopté en subisse les conséquences ? »
Cette question eut l’effet d’un coup de fouet. Pour une fois, le Chasseur s’estima heureux que son mode de langage fût moins rapide que celui de Bob. Pendant quelques secondes il se demanda si, par hasard, il n’avait pas oublié quelque part la masse de tissus qui lui servait normalement de cerveau.
Sans aucun doute, celui qu’il poursuivait avait eu le temps de se cacher et devait à présent avoir élu domicile dans le corps d’un être humain comme lui-même l’avait fait. Quoi de plus normal ? En temps ordinaire, un fugitif de cette espèce que ni la vue, ni le son, ni l’odeur, ni le toucher ne pouvaient révéler, était décelé à l’aide des tests physiques, chimiques, et biologiques qui étaient mis en œuvre avec ou sans le consentement de la créature qui servait d’hôte. Le Chasseur était très au courant de tous ces tests et dans certains cas, il pouvait s’en servir si rapidement qu’il parvenait à dire si un représentant de son propre peuple était présent dans un organisme suspect, avant même que l’autre n’ait eu le temps de s’en apercevoir. Bob avait déclaré que cent soixante personnes habitaient l’île. Quelques jours suffiraient pour les passer au crible, mais il ne pouvait pas appliquer les tests indispensables : tout son matériel et son équipement avaient disparu avec l’engin qu’il avait amené sur la Terre. En admettant qu’il pût retrouver l’épave, il ne pouvait quand même pas supposer que ses instruments et les bouteilles contenant les produits chimiques aient pu supporter le choc et cinq mois d’immersion dans l’eau salée !
Il était seul. Jamais un policier n’avait été aussi perdu dans un monde inconnu, loin de ses laboratoires et de l’aide si précieuse que ses semblables lui avaient toujours apportée. Ses compatriotes ignoraient absolument où il se trouvait parmi les cent milliards de soleils qui rayonnaient dans la voie lactée…
Il se souvint alors que Bob lui avait déjà posé cette même question les jours précédents et qu’il avait toujours réussi à ne pas y répondre sous un prétexte quelconque. Mais à présent la situation était claire : ils se lançaient effectivement à la recherche d’une aiguille dans une meule de foin. De plus l’aiguille, mortellement empoisonnée, avait réussi à se glisser dans l’une des minuscules brindilles de la meule.
La question de Bob demeura sans réponse.
VII
LE PLATEAU…
Le gros appareil les amena de Seattle à Honolulu puis à Apia. De là, un avion plus petit les conduisit jusqu’à Tahiti et à Papeete. Vingt-cinq heures après avoir quitté Boston, Bob put montrer au Chasseur le pétrolier ravitaillant les petites îles des alentours, et sur lequel ils accompliraient la dernière partie de leur voyage. Le navire était aisément reconnaissable à sa silhouette particulière et devait faire ce service depuis longtemps.
Robert était le seul passager, et il prit place avec ses valises sur une allège qui le conduisit au navire.
Le Chasseur se rendit compte que ce bateau avait été construit beaucoup plus pour porter de lourdes charges que pour la vitesse. Il était très large pour sa longueur et le milieu était occupé par les réservoirs qui dépassaient à peine de quelques mètres la ligne de flottaison. L’avant et l’arrière étaient beaucoup plus hauts, et reliés entre eux par une passerelle surplombant les cales. De là, des échelles permettaient de descendre sur le pont pour accéder aux vannes et aux treuils. Un énorme marin au visage tanné regardait Bob qui grimpait l’échelle de pilote. Le commandant grommelait des paroles incompréhensibles, car des expériences passées lui avaient appris qu’il était impossible d’empêcher le garçon de se promener partout, et il n’allait plus vivre que dans la crainte de voir celui-ci se rompre les os. Il n’avait nulle envie de déposer chez M. Kinnaird un enfant avec des fractures multiples.