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— Quelle est la largeur de l’île ?

— La branche nord-ouest a près de cinq kilomètres de long et l’autre trois. La chaussée qui s’étend en arrière du port vers le milieu du lagon doit avoir cinq cents mètres, ou peut-être un peu plus, mettons près d’un kilomètre. Il y a à peu près la même distance jusqu’à l’autre route pavée qui passe au milieu du village, à environ trois kilomètres du petit chemin qui conduit chez moi. »

Le crayon de Bob allait d’un point à un autre de la carte sans raison bien précise, car il s’animait à mesure qu’il parlait. Le Chasseur suivait tous les mouvements avec un grand intérêt et estima que le moment était venu de demander une explication au sujet des réservoirs auxquels le jeune garçon avait fait allusion à plusieurs reprises.

« On les appelle des réservoirs de culture, expliqua Bob ; ils contiennent des bactéries qui, en dévorant toutes les plantes qu’on y verse, finissent par produire une sorte d’huile. C’est là tout le secret de l’affaire. On colle tout ce qu’on peut trouver dans le réservoir, puis l’on pompe l’huile qui finit par monter à la surface. De temps à autre il faut enlever les saletés qui se trouvent au fond et je vous assure que c’est un drôle de travail.

« Depuis des années les gens se plaignaient du danger que constituait le pétrole, qui d’après eux coulait dans la mer. N’importe qui aurait pu leur dire que les flammes qu’ils apercevaient sur les marais étaient simplement produites par les gaz provenant des herbes qui pourrissaient. En fin de compte quelqu’un fut assez astucieux pour éclaircir le mystère et un biologiste venu spécialement découvrit une bactérie permettant d’obtenir de l’huile au lieu de ces gaz des marais, perdus pour tout le monde. Tous les détritus de l’île ne furent bientôt plus suffisants pour alimenter les cinq réservoirs. Tout ce qui pousse sur l’extrémité nord-est de l’île est périodiquement coupé pour alimenter ceux-ci. Les détritus que l’on en retire sont employés comme engrais. Ils dégagent une odeur épouvantable, mais heureusement cette partie se trouve sous le vent. Des tuyaux relient les réservoirs au point de chargement.

— Personne ne vit au sud des collines ?

— Non. La branche de l’île où habitent mes parents est la plus exposée au vent, et je vous assure que lorsque je parle de vent ce n’est pas une petite histoire. Vous aurez peut-être l’occasion de voir ce qu’est un véritable cyclone. L’autre versant est en général plus ou moins couvert de ce fameux engrais et personne n’a envie de s’y installer, croyez-moi. »

Le Chasseur venait d’avoir une idée qu’il supposait excellente. Il ne savait pas encore s’il serait possible de la mettre en pratique, mais ses connaissances en biologie l’amenaient tout naturellement à songer à des améliorations auxquelles les hommes n’avaient pas pensé.

Bob se lança dans une description enthousiaste de ses promenades passées, et le Chasseur apprit à connaître la barrière de récifs et comment l’on parvenait à passer à travers l’entrelacs des coraux. En résumé il sut tout ce qu’il était possible de connaître sans avoir réellement parcouru l’île.

Lorsqu’ils remontèrent sur le pont, on apercevait au loin le sommet de la montagne surplombant Tahiti. Bob ne perdit d’ailleurs pas une seule minute à contempler le spectacle. Il se dirigea vers un panneau et descendit dans la salle des machines. Un seul homme était de service, et dès qu’il aperçut le garçon il étendit la main vers le téléphone comme pour appeler à l’aide, mais n’acheva pas son geste et dit en riant :

« Vous voilà encore ! Ne vous approchez pas des turbines avec ces chaussures-là. Je n’ai pas envie d’aller vous dérouler de l’arbre de couche. Vous ne connaissez pas encore par cœur tout ce qu’il y a à voir ici ? »

Bob obéit et resta sur la passerelle qui courait tout autour de la salle bruyante. Son regard ne quittait pas les cadrans qui s’étageaient devant le mécanicien. Il savait ce que signifiaient certains d’entre eux, et le marin lui expliqua l’emploi des autres. Leur mystérieux pouvoir d’attraction s’évanouissait au fur et à mesure qu’il en découvrait l’usage. Et le jeune garçon recommença à rôder autour des machines. Un autre mécanicien venait d’entrer pour surveiller la marche des immenses turbines. Il écoutait attentivement le doux bruissement du métal en s’efforçant de déceler la fuite d’huile, ou le mauvais joint qui risquait de tout arrêter sans le moindre avertissement. Bob, très intéressé, le regardait faire. Il savait jusqu’à quel point il pouvait rester là sans être considéré comme un gêneur et sa visite se renouvela plusieurs fois pendant la traversée.

À un certain moment il se trouvait tout près du puits de l’arbre de couche pendant que le mécanicien surveillait un coussinet. Le voisinage était évidemment dangereux. Le Chasseur ne s’aperçut pas immédiatement que son hôte risquait un accident. Il était habitué à voir des machines beaucoup moins grosses et dont toutes les parties mobiles étaient soigneusement protégées. Il aperçut les bielles et les pistons travaillant à peu près à l’air libre, mais ne songea pas un instant au danger que cela présentait, lorsqu’un chapelet d’injures jaillit du tumulte de l’arbre d’hélice. À l’instant même Bob retira brusquement sa main et le Chasseur ressentit en même temps que son hôte la brusque douleur causée par une traînée d’huile bouillante sur la peau du jeune garçon. Dans la demi-obscurité, le mécanicien avait versé une quantité trop grande de lubrifiant sur le palier qu’il surveillait. Le trop-plein s’était échappé de tous côtés avec les résultats douloureux que l’on connaît.

Le mécanicien sortit en reculant de sa position incommode en donnant libre cours à sa colère. L’huile l’avait brûlé à plusieurs endroits, mais dès qu’il vit Bob il lui demanda, très inquiet :

« Tu es blessé, petit ? »

Il savait très bien ce qui se passerait s’il arrivait un accident à Bob pendant que celui-ci était avec lui. Le commandant avait donné des ordres particulièrement stricts pour préciser ce qui était permis ou défendu à l’enfant. Bob avait également d’excellentes raisons pour ne pas ébruiter l’affaire et il tint sa main derrière son dos en répondant de son air le plus naturel :

« Non, pas du tout, mais que vous est-il arrivé ?

— Tu trouveras du baume pour les brûlures dans la petite armoire là-bas. Ce n’est pas grave, mais ça cuit. Je vais m’en coller une bonne couche. Pas la peine d’embêter les autres là-haut. »

Bob lui décocha une grimace en guise de réponse et alla chercher la pommade. Il aida le mécanicien à se soigner et quitta la salle des machines pour regagner sa cabine. La douleur se faisait plus intense. Dès qu’il fut seul et certain de pouvoir lire la réponse en toute tranquillité, il demanda au Chasseur :

« Je croyais que vous pouviez me protéger des blessures ? Regardez ce que vous avez pu faire à mon ancienne coupure. » Et il indiquait la longue cicatrice que l’on distinguait à peine encore sur son bras.

« Je me suis contenté d’empêcher tout épanchement de sang et j’ai détruit les bactéries dangereuses, répliqua le Chasseur, mais une brûlure est très différente d’une coupure. Pour vous empêcher de souffrir il faudrait couper les nerfs.