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— Eh bien, coupez-les, car cela me fait mal.

— Je vous ai déjà dit que jamais je ne ferais quoi que ce soit qui pût vous diminuer physiquement. Les cellules nerveuses se reconstituent très lentement, et je ne veux pas vous priver de votre sens du toucher. La douleur est un avertissement tout à fait naturel. Je ne guéris rien, je me contente simplement d’arrêter toute perte de sang et toute infection. Quoi que vous puissiez penser, je ne possède pas de pouvoir magique. J’ai pu empêcher que cette brûlure ne fasse une grosse cloque en m’opposant à une fuite du plasma et croyez-moi, vous auriez souffert davantage autrement. Mais je ne puis en faire plus. D’ailleurs, même si j’avais le pouvoir de vous épargner de souffrir, je n’en userais pas. Il faut que vous conserviez l’habitude de faire attention à vous. J’ai assez à faire en m’occupant des petites blessures que vous pourrez recevoir. J’attendais toujours l’occasion de vous le dire et j’en profite à présent pour insister sur ce point. Vous devez faire attention comme si je n’existais pas. Autrement vous agiriez un peu comme une personne qui se refuse à observer le code de la route pour la simple raison que son garagiste lui répare gratuitement sa voiture. »

Le Chasseur avait pourtant fait autre chose, mais il n’en parla pas. En effet, une brûlure grave cause le plus souvent une forte commotion. Dans ce cas les vaisseaux sanguins de l’abdomen se relâchent, entraînant une diminution de pression dans le sang et la victime devient pâle et frise souvent l’évanouissement. Prévoyant cela, le Chasseur était intervenu au moment même de l’accident en resserrant les vaisseaux sanguins comme il l’avait fait précédemment autour des muscles de Bob et en synchronisant ses efforts avec le rythme des battements du cœur. Son hôte n’avait donc pas ressenti les nausées qui accompagnent en général de tels accidents. En même temps, le Chasseur avait entouré de ses propres tissus la chair brûlée pour empêcher toute perte de plasma.

C’était la première fois que Bob s’était adressé à son compagnon invisible sur un ton désagréable. Heureusement le jeune garçon avait assez d’équilibre pour comprendre que le Chasseur avait raison et pour dissimuler le léger ennui qu’il ressentait malgré tout devant le refus du Chasseur.

« Au moins, se dit-il, en secouant sa main qui le brûlait toujours, je ne risque pas de complications. »

Cet incident obligeait malgré tout Bob à modifier l’idée qu’il s’était faite de cette vie commune avec le Chasseur. Il avait cru que la période durant laquelle allaient se poursuivre les recherches ouvrait pour lui une vie paradisiaque. Il ne s’était jamais préoccupé sérieusement des petites blessures que l’on pouvait avoir, ni des rhumes et autres ennuis, mais il estimait que l’existence aurait été bien plus agréable s’il n’avait plus à y songer. Les piqûres de moustiques et de mouches lui étaient particulièrement désagréables, et il avait eu plusieurs fois envie de demander au Chasseur ce qu’il pouvait faire pour le protéger de ces sales bêtes, mais à présent il n’osait plus en parler. Mieux valait attendre et aborder ce sujet plus tard.

La nuit était particulièrement calme. Bob demeura assez tard sur le pont et de temps à autre allait échanger quelques mots avec l’homme de veille à la barre. Vers minuit, il quitta la passerelle et resta quelque temps encore accoudé à l’arrière pour regarder le sillage argenté que laissait le navire.

Au cours de la nuit, le vent fraîchit et au réveil la mer était assez forte. Le Chasseur eut l’occasion de rechercher les causes et la nature du mal de mer et arriva à la conclusion qu’il ne pouvait rien y faire sans porter gravement atteinte au sens de l’équilibre de son hôte. Heureusement pour Bob, le vent se calma au bout de quelques heures et les vagues devinrent moins agressives. Le navire avait à peine effleuré la zone de la tempête.

Dès qu’il put se mêler de nouveau aux membres de l’équipage, Bob oublia aussitôt ses ennuis passés. Il savait que peu après midi l’on apercevrait son île à l’horizon. Au cours des quelques heures qui lui restaient il courut du pont à la passerelle, pour repartir aussi vite vers les machines, faisant le tour de tous les amis qu’il comptait à bord et frôlant des dangers qu’il ne soupçonnait même pas.

VIII

MISE EN SCENE

Dans la terminologie géographique, l’île était classée dans les « Terres hautes » parce que la montagne sous-marine qui la formait s’élevait au-dessus de la surface de l’eau, au lieu d’en approcher simplement et de servir ainsi de base aux coraux, comme c’était le cas pour de nombreuses îles. En dépit de cette classification, le point culminant de l’île ne dépassait pas trente mètres. Il fallut donc que le navire arrivât presqu’au port pour que Bob pût montrer quelque chose à son compagnon invisible.

Le Chasseur estima qu’il était temps d’examiner sérieusement la situation, et il projeta devant les yeux de Bob :

« Je me suis rendu compte que ce voyage vous amusait beaucoup, mais nous allons débarquer bientôt et, si cela ne vous ennuie pas, j’aimerais revoir votre carte. »

Le Chasseur n’avait évidemment aucun moyen d’exprimer la moindre émotion dans son écriture, mais Bob sentit que ses mots dénotaient un grand sérieux.

« D’accord », répondit Bob en se dirigeant vers sa cabine. Dès que la feuille de papier fut posée devant lui, le détective alla droit à la question :

« Bob, avez-vous réfléchi à ce que nous allons faire pour attraper le fugitif que je poursuis ? Vous m’avez posé cette question il y a quelque temps et je n’ai jamais répondu.

— Oui ! Sur le moment cela m’a paru étonnant. Mais tout est si étrange avec vous, du moins pour moi. Il vous sera sans doute possible de découvrir votre petit copain par un moyen ou un autre. S’il est caché comme vous, vous ne pourrez certainement pas le voir. Avez-vous un moyen quelconque qui vous permette de le détecter ?

— Ne vendez pas la peau de l’ours », répondit le Chasseur qui ne se donna pas la peine d’expliquer le sens de sa phrase et qui précisa : « Je n’ai aucun appareil avec moi. N’oubliez pas que je suis seul sur votre planète. Que feriez-vous si vous étiez dans mon cas ? »

Bob réfléchit un long moment avant de dire :

« Si vous pouvez entrer dans un corps, je suppose que vous êtes à même de découvrir si l’un de vos semblables s’y trouve déjà. »

La phrase était plus affirmative qu’interrogative. Néanmoins, le Chasseur émit le signe bref que Bob avait appris à considérer comme un accord.

« Combien vous faudrait-il de temps pour vous en rendre compte ? continua Bob. Pourriez-vous passer dans la peau de quelqu’un d’autre assez rapidement, pendant que je lui serre la main, par exemple ?

— Non, il faut plusieurs minutes pour entrer dans un corps comme le vôtre, sans attirer l’attention. Les pores de votre peau sont larges, mais je suis quand même plus gros. Si vous lâchiez la main de l’autre personne avant que je ne vous aie complètement quitté, ma position serait des plus précaires. Je pourrais évidemment vous quitter la nuit et m’atteler à la tâche pendant que tout le monde dort. Ma vitesse est extrêmement limitée et je ne saurais que faire si j’entrais dans le corps où se trouve mon fugitif. Je serais sans doute obligé de le faire en dernier ressort mais avant de faire un essai sur quelqu’un, je voudrais être tout à fait sûr du terrain sur lequel je m’engage. Il faut que vous m’aidiez.

— Je ne connais rien à vos méthodes habituelles, répondit Bob lentement. Je ne vois pas le moyen de rester assez longtemps auprès de tous les gens qui habitent l’île. Nous pourrions cependant essayer de retrouver les traces de votre collègue en partant de l’endroit où il est arrivé sur la Terre. Puis nous tâcherions de localiser les personnes qui ont pu lui donner refuge. Qu’en pensez-vous ?